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sans doute, eut comme Napoléon le mérite de faire rédiger de bonnes lois civiles et de bons règlemens d'administration; mais qui, comme lui, mit en vigueur de très-mauvais codes criminels, et qui anéantit toutes les libertés nationales.

On regrette surtout que le chancelier ait commencé par appeler la charte constitutionnelle une ordonnance de réformation. « Quelle faute ! dit madame de Staël; » n'était-ce pas faire sentir que ce qui était donné >> par le roi pouvait être retiré par ses successeurs? » Ce n'est pas tout encore dans le préambule de » la charte, il est dit que l'autorité tout entière ré» side dans la personne du roi..... Mais si les rois » sont les maîtres absolus des peuples, ils doivent » exiger les impôts, et non les demander; mais s'ils » ont quelque chose à demander à leurs sujets, il » s'ensuit nécessairement qu'ils ont aussi quelque » chose à leur promettre. »>

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En émettant la charte, le législateur-roi a voulu sans doute consacrer les bienfaits sortis de la révolution, en rejetant ses attentats voilà ce qu'il ne faut pas perdre de vue dans l'examen de cet acte; les événemens ne tarderont guère à faire connaître si le moderne Numa fut bien inspiré ou bien secondé par les personnages qu'il appela pour la confection de ce pacte fondamental! Ce pacte, religieusement observé, doit faire naître la tranquillité publique du sein même des tempêtes, relever l'état de ses ruines, et réconcilier la nation avec la famille des anciens souverains si ce résultat n'a pas lieu, ce ne sera pas à la nation que la postérité fera des reproches, car le peuple d'Israël n'embrassait pas avec plus d'ardeur l'espoir d'entrer dans la terre promise.

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La charte, à tout prendre, malgré d'assez nom

breuses imperfections, des discordances dans certains détails, malgré plusieurs réticences, malgré des commentaires indiscrets, malgré les explications inconsidérées du chancelier Dambray, la charte (si toutefois les ministres ne la violent pas) se popularisera de plus en plus, parce qu'en annonçant le dessein de fermer le cercle des révolutions elle rétracte les doctrines contre-révolutionnaires et efface les prétentions émanées de l'ancien régime; prétentions et doctrines en, horreur à la nation qui, depuis vingt-cinq ans, ne cesse de réclamer les droits du citoyen, l'égalité politique.

Les chambres législatives se forment. Désignées par le roi, elles se constituent immédiatement. La chambre des pairs se compose de cent cinquante-quatre pairs nommés à vie, savoir : quatre-vingt-six sénateurs, plusieurs maréchaux et généraux, trois prélats ecclésiastiques, les ducs et pairs reconnus sous Louis XVI, et quelques nobles de l'ancien régime qui jouissent de la faveur des princes réintégrés. Aussitôt l'appel nominal a lieu, et, sans attendre, sans le moindre examen préalable, chaque membre de l'une et de l'autre chambre prête serment à la charte dont il vient d'entendre une lecture rapide. Je ne sais s'il existe, à aucune époque de notre histoire, rien qui fasse mieux apercevoir cette singulière inadvertance qui caractérise les Français, et qu'on leur a reprochée dans tous les siècles. Ces mêmes hommes, qui se jugeraient téméraires de donner précipitamment une promesse qui les engagerait à la moindre obligation dans des affaires privées, s'empressent de jurer obéissance éternelle aux soixante-seize articles d'un nouveau pacte social dont aucune réflexion n'a pu leur faire apprécier les dispositions. Censés les représen

tans de la France, ils jurent au nom de trente millions d'individus.

De tous les peuples anciens, le plus inconsidéré et le plus inconséquent vivait dans l'Attique. Cependant les Athéniens instituèrent un tribunal particulièrement chargé de la révision des lois; si ce tribunal en reconnaissait de contradictoires, il les faisait afficher ensemble pour dénoncer cette contradiction à tous les concitoyens. Aussitôt ceux-ci s'assemblaient et décidaient, à la pluralité des suffrages, laquelle des deux lois serait abrogée. Les Français ne sont-ils pas bien plus légers? et, quelle opinion l'histoire leur laisse-t-elle de tous ces législateurs? Louis XVIII aura des ministres et des magistrats qui ne se feront point de scrupule de retirer de cent volumineux recueils, des ordonnances royales, des décrets des assemblées nationales, des arrêtés impériaux : ils en feront l'application sous le régime de la charte, lorsqu'ils croiront pouvoir s'en servir avec avantage pour le système qu'ils voudront faire prévaloir. Un des plus grands malheurs. attachés au régime de l'arbitraire, c'est que tous les principes déjà suivis se perdent successivement d'un règne à l'autre; même sous un seul règne, on peut compter autant d'administrations qui diffèrent par leur esprit et leur tendance, qu'on voit de favoris ou de ministres se remplacer. La charte n'étant pas encore soutenue de lois réglémentaires, laisse mille portes ouvertes à l'arbitraire et à l'incertain : elles ne seront fermées que lorsque, dans cet amas énorme de lois et de règlemens émis avant et depuis nos troubles, l'on aura fait un choix bien déterminé de tout ce qui doit se conserver dans notre droit civil et administratif. Il est à craindre que les ministres s'opposent à la confection d'un travail non-seulement important, mais

nécessaire : il leur est si commode d'exhumer de quel que carton telle ou telle disposition qui favorise leurs injustices!

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6 juin. La chambre des députés présente une adresse au roi sur la charte qui sanctionne le vœu des Français. « Votre Majesté a senti qu'elle imprime rait >> aux lois de la France un caractère plus irrévocable, en sanctionnant le vœu des Français. C'est, en >> effet, en accueillant les principales dispositions présentées par les différens corps de l'état, c'est en écoutant tous les vœux, que votre majesté a >> formé cette charte constitutionnelle qui, par » concours de toutes les volontés, raffermit à la fois >> les bases du trône et de la liberté publique. Interrogeant les siècles, votre majesté a combiné d'an» ciens usages avec des mœurs nouvelles, et nos in>>stitutions se trouvent accommodées aux temps, » aux progrès de l'esprit, à l'état de la civilisation, » aux rapports des nations entre elles...... La charte >> ouvre aux accens de la vérité toutes les voies » pour arriver jusqu'au trône, puisqu'elle consacre » la liberté de la presse et le droit de pétition. Entre >> les garanties qu'elle donne, la France remarquera » la responsabilité des ministres qui trahiraient la >> confiance de votre majesté, en violant les droits publics et privés que consacre la charte constitu» tionnelle. En vertu de cette charte, la noblesse ne se présentera désormais aux regards du peuple, qu'entourée de témoignages d'honneur et de gloire » que ne pourront plus altérer les souvenirs de la » féodalité. Les principes de la liberté civile se >> trouvent établis sur l'indépendance du pouvoir judiciaire et la conservation du jury, précieuse garantie de TOUS LES DROITS. Enfin, si les

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» droits et les besoins publics faisaient désirer des » améliorations, la charte constitutionnelle qui ren» ferme en elle-même les moyens de les accorder, » doit rassurer toutes les opinions et dissiper toutes » les inquiétudes. C'est ainsi, qu'après avoir sage>>ment balancé les pouvoirs publics, la charte con»stitutionnelle promet à la France, et la jouissance » de cette liberté politique qui, en élevant la na» tion, donne plus d'éclat au trône lui-même, et les » bienfaits de cette liberté civile qui, en faisant » chérir par toutes les classes l'autorité royale qui » les protége, rend l'obéissance, à la fois plus » douce et plus sûre. Aussi nous l'intime » confiance que l'assentiment des Français donnera à » cette charte un caractère tout-à-fait national...... » L'adresse eût dû ajouter si cette charte est exécutée.

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Telles sont les présomptueuses assurances, qu'après quelques instans de méditation sur l'ensemble et les détails de ce code, sorti comme de dessous terre ou tombé comme des nues, viennent exprimer deux cents individus entièrement obscurs jusqu'à ce jour, et qui ne furent législateurs que de nom! Quand donc auraient-ils réfléchi sur le mécanisme des sociétés, observé les besoins politiques de la France, ces élus du sénat impérial, dont tous les devoirs consistaient à jeter une boulé dans l'urne du scrutin, toutes les fois que des commissaires du despote venaient leur faire une lecture rapide des articles d'un acte ou d'un règlement de législation, à la confection desquels ils n'avaient nullement participé ? Et, comme on l'observe dans l'article précédent, ces deux cents individus engagent aussitôt l'assentiment de tous les Français, quoique sans mission à cet égard!!!

TOME VIII.

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