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moment l'attention de la chambre sur le discours de M. Ferrand.

» Toutefois, en vous soumettant quelques réflexions sur l'exposé fait par M. Ferrand, la commission, plus prudente que lui, n'entrera pas dans la discussion aussi inutile qu'elle pourrait devenir funeste, sur les torts des différens partis pendant notre longue et violente révolution. Elle ne s'engagera pas dans l'imprudente recherche des erreurs et des sacrifices réciproques, des infortunes et des fautes communes. Que pourrait-il servir de reconnaître les liaisons qui existent entre les événemens les plus opposés en apparence, et de découvrir, par exemple, que les plus grands attentats n'ont peut-être été que les suites nécessaires des premières et imprudentes résistances? Il y a, messieurs, des époques de crise dans les nations et de changement dans l'esprit des siècles, où la balance du bien et du mal ne saurait être tenue par la main incertaine des hommes. Il est plus sage, il est plus humain, il est plus sûr de confondre tous les débats du passé dans un oubli profond, sincère, et de s'abandonner sans réserve et sans regret à une réconciliation générale.

>> Mais nous demanderons à M. Ferrand si ceux qui ont versé leur sang en servant leur pays; si les honorables victimes de leur amour pour la patrie ou pour leur roi; si ceux qui ont eu le courage de braver le danger, et dont les généreux efforts avaient pour but de détourner l'orage ou d'arrêter les progrès du mal; si ces fonctionnaires zélés, ces magistrats intègres, défendant, au prix de leur liberté et de leur vie, les principes de justice et d'une saine morale, si des milliers de citoyens recommandables par leurs talens et leurs vertus, traînés dans les cachots ou con

duits à l'échafaud, ont suivi une ligne moins droite que ceux qui se sont séparés de la patrie, même pour de justes motifs. Nous lui demanderons si ceux-ci auraient seuls des droits à l'affection paternelle du monarque, tandis que les autres ne pourraient implorer que sa souveraine justice ou sa royale indulgence..... Le roi n'a et ne peut avoir au fond de son cœur que la ferme volonté de tenir les promesses qu'il a faites. Il a déclaré que toutes les propriétés étaient inviolables ; que les droits acquis à des tiers devaient être maintenus 1..... On ne peut donc pas espérer de voir arriver une époque qui permette de diminuer les exceptions contenues dans le projet de loi qui nous occupe. Pourquoi donner aux uns des espérances qu'on ne pourra jamais réaliser ? Pourquoi inspirer aux autres des craintes mal fondées ?

» Cédant à ses opinions particulières, oubliant qu'il parlait au nom du roi et aux députés de la nation, M. Ferrand n'a vu qu'une partie des maux qui ont accablé la France; une seule classe de citoyens lui a inspiré de l'intérêt; mais les émigrés sont-ils les seuls qui aient éprouvé des pertes et des malheurs? Tous les intérêts n'ont-ils pas eté froissés par la révolution?....... Non, l'exposé fait par M. Ferrand n'est point l'expression de la volonté du roi; disons-le franchement, le ministre a substitué l'aigreur de ses ressentimens particuliers aux sentimens du monarque. Nous sommes cependant loin de douter de son attachement et de son entier dévoûment pour la personne auguste et sacrée du roi ; mais nous croyons devoir lui rappeler que l'infortuné Louis XVI, dans son

1 Article 9 de la Charte, ordonnance du 21 août, article 1er. du projet de loi.

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Testament, dans ce monument de ses vertus et de sa bonté, a également pardonné à ses ennemis et à ceux qui, par un faux zèle, ou par un zèle mal entendu, lui avaient fait beaucoup de mal.

» Mais si le discours de M. Ferrand a inspiré de la méfiance, s'il a fait naître des inquiétudes dans les esprits, s'il a pu faire croire à d'arrière-pensées, les intentions du roi, ses promesses, lors de sa déclaration du 2 mai, et lors de la séance royale dans laquelle il a donné à la France cette Charte, fruit de sa sagesse et de ses profondes méditations, qui fait maintenant la loi fondamentale de l'état; ses promesses réitérées dans l'ordonnance du 21 août et dans le préambule du projet de loi qui fait l'objet de mon rapport, doivent nous rassurer.

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» Père de tous ses sujets, le roi ne veut pas, il ne voudra jamais, établir entre eux des distinctions injurieuses, ni une ligne de démarcation qui serait outrageante pour l'immense majorité de la nation. Le roi sait, et nous savons tous, que ce serait en vain qu'on voudrait rétrograder, parce qu'il n'est aucune puissance humaine qui puisse anéantir les effets de la révolution, ni réparer tous les maux qu'elle a faits.

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Que cette terrible révolution soit pour nous et pour nos neveux une leçon écrite.

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Après vingt-cinq ans d'agitations, de troubles et de malheurs, nous avons tous besoin de repos; mais nous ne pouvons le trouver que dans l'union franche et loyale de tous les membres de la grande famille, dans l'oubli de nos divisions. Le bonheur de l'état exige que tous les Français, sans distinction de parti et d'opinion, abjurent tout esprit de haine et de ressentiment, se rallient de bonne foi autour du trône. Le vœu le plus cher au cœur du roi est que

tous les Français vivent en frères, et que jamais aucun souvenir amer ne trouble la sécurité qui doit suivre la charte qu'il nous a accordée.

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Mais c'est assez, Messieurs, insister sur le discours de M. Ferrand. En vous présentant les réflexions de votre commission, j'ai fait tout ce qui a dépendu de moi pour concilier les égards dus au caractère du ministre d'état, avec la volonté fortement et formellement exprimée par vos bureaux, dont quelques-uns voulaient même qu'on demandât la suppression de ce discours. »

Le rapporteur est M. Bedoch. Croira-t-on que M. Ferrand ait osé calomnier le roi, au point de dire assez publiquement qu'il avait soumis son discours à sa majesté, et qu'elle l'avait approuvé? M. Ferrand ira plus loin: il dira que c'est d'ordre du roi qu'il a parlé de la ligne droite, et que l'intention de sa majesté est de rendre à la noblesse et au clergé les biens dont ils ont été dépouillés !!!..... Croirat-on que, pour s'excuser, pour conjurer l'animadversion publique élevée contre lui, M. Ferrand ait osé dire à ses amis, que le roi avait manifesté, dès 1795, l'intention de ne faire aucune grâce aux membres de la convention qui avaient voté la mort de Louis XVI? M. Ferrand disait : « Je sais, de science certaine, » que Cambacérès, et trois autres de ses collègues, » ayant offert leurs services à Louis XVIII, en » mars 1796, le roi avait daigné leur accorder des lettres de grâce, M***, faisant les fonctions de » garde des sceaux, ayant représenté au roi que sa majesté outre-passait les droits de la puissance royale > en accordant ces lettres, et qu'il ne croyait pas pouvoir y apposer le grand sceau, le roi lui avait » dit : « Scellez toujours; quand je serai monté sur

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>> mon trône, mes parlemens sauront bien me prouver » que j'ai outre-passé, comme vous le dites, les droits » de la puissance royale; et les gens auxquels je fais grâce seront rompus en place de Grève avec mes » lettres de grâce au cou. » Assurément Louis XVIII n'a jamais proféré de telles paroles, n'a jamais eu de pareils sentimens, sa royale clémence envers les régicides a éclaté, au contraire, dans tout son jour ! M. Ferrand prêtait ses propres inspirations au roi; ce publiciste d'étrange sorte n'a-t-il pas eu, dans son ouvrage sur les révolutions, l'inconcevable délire d'avancer que les fauteurs de la révolution devaient être rangés en catégories; que les plus coupables (les régicides) devaient étre écartelés. Venaient ensuite les coupables à rompre, à pendre, à envoyer aux galères, à exproprier, selon la nature de leur participation aux forfaits ou aux délits de la révolution ; il n'est pas jusqu'aux constitutionnels, aux modérés, contre lesquels il ne décernât une peine afflictive et infamante! Telle était à cette époque l'opinion de certaines personnes!!! L'ex-parlementaire ne faisait grâce qu'aux individus partisans de ses doctrines politiques. Que de maux n'a pas entraînés pour la France le discours de M. Ferrand, ministre de Louis XVIII! Le succès obtenu, en 1815, par Bonaparte s'évadant de l'île d'Elbe, en fut, en très-grande partie, le résultat. Et le même M. Ferrand sollicitera, au 20 mars 1815, la clémence de Ronaparte; il se retirera dans les environs d'Orléans, et, n'obtenant pas l'autorisation de rester en France, il se rendra à Gand, oubliant cette fois-ci de suivre la ligne droite !

Par une loi relative aux dettes contractées en pays 21 décemb. étranger, par le roi et les princes de la famille royale, les sommes dont le roi se reconnait personnellement

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