Page images
PDF
EPUB

Après avoir déploré la situation des esprits en Angleterre, la corruption des gens en place et de ceux qui veulent y parvenir, l'ignorance de la nation sur ses vrais intérêts et au milieu des intérêts étrangers, Bentham se demande comment on pourrait se flatter de voir s'introduire un système plus favorable au bien public; comment pourrait se changer la marche d'une nation qui suit une route dont le terme est un abime.... Peut-on croire que les whigs, les membres de l'opposition, se rallieront au bien public, et voudront sincèrement une réforme qui les priverait de l'espérance d'exploiter le public à leur tour? Bentham n'ose s'en flatter, quoique l'opposition compte parmi ses membres des hommes éminens en vertus comme en talens, et vraiment citoyens; mais ce sont des exceptions; et le gros du parti est guidé, non par des vues élevées, mais par des passions, ou ce qu'on croit être l'intérêt du parti.

Comme le système suivi de tourner les sacrifices de la nation au profit des privilégiés est de nature à s'étendre et à croître sans cesse, parce qu'on est toujours obligé de soutenir un abus par un autre, il se peut que la part de souffrance de chaque individu venant à surpasser la chance qu'il espère en retirer en parvenant à prendre sa 'à se dého

l'oppression, sauf à renoncer aux abus. Il se peut que l'administration actuelle se consolide au point d'ôter tout espoir à l'opposition de se mettre à sa place. Alors l'opposition se jeterait dans le parti du bien public. Il faut attendre aussi beaucoup des progrès lents, mais infaillibles, de l'opinion. Une foule de gens indépendans et qui ne prennent pas leur part des abus, les soutiennent encore pour se préserver des maux plus grands qu'ils appréhendent. Cette terreur peut diminuer par degrés. Les maux causés par une révolution aussi violente que la révolution française, par un despotisme militaire aussi sanglé que celui de Bonaparte, sont une garantie que les mêmes maux ne se renouvelleront pas. Les passions populaires sont fatiguées; les esprits les plus violens sont devenus modérés; tout le monde a acquis plus d'expérience pour se garantir des excès; et si le despotisme se rend trop redoutable, bientôt on le redoutera plus qu'une révolution. Parmi ceux qui le soutiennent eux-mêmes, il y a un grand nombre de personnes qui, privées de ce que nous avons appelé probité politique, ne sont pas privées de probité naturelle. Elles justifient à leurs propres yeux, par différens sophismes, l'appui intéressé qu'elles prêtent à une adminis

tration anti-nationale. Une autre administration, disent-elles, ne vaudrait pas mieux; ce seraient de nouveaux abus mis à la place de ceux-ci, et la nation ne se trouverait pas soulagée. Autant soutenir ceux dont je profite.

Mais une fois que les yeux plus ouverts, les mêmes personnes ne peuvent plus croire aux belles protestations de ceux qui dirigent; lorsqu'elles s'aperçoivent que d'éclatans succès ne peuvent pas être attribués à leur habilité, et que ces succès n'ont procuré à la nation, ni la gloire, ni le profit dont on l'avait bercée; lorsqu'elles voient qu'il n'y a pas d'autre plan que de bâtir un despotisme pur et simple sur l'abrutissement de la nation pour l'exprimer plus à l'aise alors il peut arriver que la probité naturelle l'emporte sur la probité politique, et que trop de gens cessant de soutenir ce qui n'est plus soutenable, tout pouvoir insensé et pervers tombe de lui-même laisse enfin respirer le bon sens.

et

J. B. S.

[ocr errors]

ACTES DE GOUVERNEMENT.

GOUVERNEMENT DE FRANCE.

Débats et jugement sur la saisie du troisième volume du Censeur Européen.

10.1

1

UNE des dispositions les plus malheureuses du peuple français, c'est son insouciance pour l'observation des formes judiciaires. Cette disposition est peut-être l'obstacle le plus fort qui s'oppose à l'établissement de la liberté, ou, ce qui est la même chose, à l'extinction de l'arbitraire. Up homme est-il mis en jugement? On se demande tout de suite s'il a un caractère estimable ou méprisable. Dans le premier cas, on s'intéresse à luj, on murmure contre ses persécuteurs, crie à l'iniquité. Dans le second, on l'abandonne, on applaudit à la justice qui le frappe. Mais, Cens. Europ. TOM. V.

9

on

dans l'un, ni dans l'autre, personne ne s'informe si l'on a suivi à son égard les règles prescrites par les lois.

Qu'un homme condamné par l'opinion réclame l'observation des formes prescrites par les lois, on est faché que les lois mettent des entraves à son supplice: on voudrait, s'il était possible, le punir, d'abord à cause du crime qu'on lui impute, et ensuite à cause des efforts qu'il fait pour échapper au châtiment qu'on croit qu'il a mérité. Que l'exécution des formes prescrites soit réclamée par un homme dont le caractère est sans reproche: on s'indigne encore ; on est fàché qu'un tel homme s'abaisse à de pareils moyens, et ne veuille pas se fier à son innocence et à l'intégrité de ses juges. La persévérance qu'il met à demander la rigoureuse observation des lois, fait douter si en effet il ne se sentirait pas coupable; ou, s'il 'est impossible qu'on élève un doute pareil, on l'accuse tout au moins d'être un petit esprit, de recourir à ce qu'on appelle des chicanes de cureur, à des moyens indignes d'un honnête homme.

T

[ocr errors]

pro

D'où naît cette disposition? Hélas! de notre ignorance. Nous demandons à grands cris qu'on nous donne la liberté, et nous n'en connaissons pas même les élémens; nous voulons être libres,

[ocr errors]
« PreviousContinue »