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IV.

Bossuet reçoit l'abjuration du duc de Richemond. 1685.

Dans l'intervalle de l'oraison funèbre de la princesse Palatine et de celle du chancelier Le Tellier, Bossuet avoit eu un ministère plus consolant à remplir. Il fut appelé à Fontainebleau pour recevoir l'abjuration du duc de Richemond, fils naturel de Charles II et de la duchesse de Portsmouth. Louis XIV crut devoir mettre une espèce d'appareil dans une cérémonie qui flattoit son zèle pour la religion catholique; et dans ses opinions de grandeur et de convenance, il pensa que l'honneur de présenter à l'Eglise le fils d'un roi ne pouvoit appartenir qu'à Bossuet. Louis XIV devoit signer, le 22 octobre 1685, la révocation de l'édit de Nantes; et il voulut, par égard pour le rang et la naissance de ce jeune seigneur, que la cérémonie de son abjuration précédât cet acte d'autorité. Elle eut lieu dans la chapelle du Roi à Fontainebleau, le 21 octobre 1683, à l'issue de la messe. Ce fut Bossuet qui dit la messe en crosse et en mitre. Il prêcha sur le fameux texte : Compelle intrare, tiré de l'Evangile du jour. « La Cour, » dit l'abbé Ledieu, fondit en larmes par la considéra>>tion de la miséricorde de Dieu qui appelle à lui ceux » qu'il veut appeler..Le Roi fut ravi d'entendre Bossuet » expliquer ses sentiments et sa doctrine sur ce passage » de l'Ecriture, » dont on a fait quelquefois un usage contraire à l'esprit de l'Evangile, aux intentions de Louis XIV et au vœu des évêques les plus éclairés.

Bossuet expliqua ce texte1 « selon l'interprétation de >> saint Augustin, selon la conduite que ce Père de l'E>>> glise avoit constamment suivie, et qui étoit conforme » à celle de toute l'Eglise catholique *. Madame la Dau>> phine, princesse de beaucoup d'esprit et de beau

1 Mts. de Ledieu.

Nous n'avons point trouvé le manuscrit de ce discours parmi les papiers de Bossuet. Il est vraisemblable qu'il le pronon a sans 'avoir écrit. Il eût été intéressant de connoitre l'interprétation que Bussuet donnoit à ces paroles de l'Ecriture.

» coup de goût, fut transportée en entendant ce dis» cours. Elle ne parla que du sermon de M. de Meaux » à toutes les personnes qui assistoient à son diner. Je » n'ai jamais ouï parler comme parle M. de Meaux, >> disoit-elle; il me fait un plaisir que je ne puis expri>> mer; et plus je l'entends, plus je l'admire. »

V. Bossuet exhorte à la mort madame la Dauphine. Peu d'années après (1690), Bossuet eut de bien tristes fonctions à remplir auprès de cette même princesse, en qualité de son premier aumônier.

Marie-Anne-Christine-Victoire de Bavière, Dauphine de France, auroit pu être heureuse, si le mérite, l'esprit, les qualités aimables et la seconde place de la cour la plus brillante de l'Europe, pouvoient donner le bonheur. Mais cette princesse, par une disposition trop marquée de son âme et de son caractère à la tristesse et à la mélancolie, se plaisoit à vivre dans la solitude au milieu de la cour de Louis XIV. Elle avoit même fini, dans les dernières années de sa vie, par se soustraire presque entièrement au joug de la représentation qui pesoit sur elle depuis la mort de la reine, sa belle-mère. Elle n'y étoit que trop autorisée par la décadence sensible de sa santé, également altérée par les vapeurs qui la dominoient, et par le profond ennui qui la dévoroit: espèce de maladie de l'âme, qui est peut-être autant la cause que l'effet des vices de notre constitution.

Lorsque madame la Dauphine mourut, elle étoit devenue presque étrangère à sa famille, à la cour et aux événements publics. Elle tomba malade au mois de février 1690, et sa maladie fut assez longue. Bossuet avoit passé tout le carême auprès d'elle; elle voulut recevoir le viatique le jeudi saint. Il accompagna cette cérémonie d'une exhortation qui fit couler les larmes de Louis XIV et de toute la cour présente à ce triste spectacle. Quelques jours après, il lui administra l'extrêmeonction; et elle mourut le 20 avril 1690, indifférente à

la vie, aux honneurs, à la perspective du trône, tranquille et résignée par les paroles pleines de foi, d'espérance et de charité, dont Bossuet n'avoit cessé de l'entretenir.

Peu de moments avant qu'elle rendit le dernier soupir, Bossuet s'approcha avec respect ¡de Louis XIV, qui étoit dans la chambre de cette princesse, et lui dit avec ane tristesse religieuse : « Il faudroit que Votre Majesté » se retirât. Non, non, reprit Louis XIV, il est bon » que je voie comment meurent mes pareils. »

VI.- Oraison funèbre du grand Condé.

Nous sommes arrivés au moment où nous allons entendre pour la dernière fois la voix de Bossuet gémir sur les tombeaux; et c'est par un chef-d'œuvre qu'il va descendre de la chaire funèbre. Après le grand Condé, nul ne pouvoit aspirer à un tel orateur.

Ce ne sont ni le respect, ni la reconnoissance, ni les égards dus au rang et au malheur, qui conduisent Bossuet au tombeau du grand Condé; il cède à un sentiment plus puissant et plus exalté. Le grand Condé avoit toujours été le héros de son cœur et de son imagination. Ce prince, encore bien jeune, avoit deviné Bossuet plus jeune encore. Ces deux hommes avoient tant de conformité par l'élévation du génie, la fierté de caractère, et l'espèce de domination qu'ils exerçoient sur l'opinion publique, que la distance des rangs et des conditions disparoissoit pour ne laisser apercevoir que les deux hommes les plus extraordinaires du beau siècle où ils s'étoient rencontrés. La reconnoissance avoit d'abord attaché Bossuet au grand Condé, qui s'étoit toujours déclaré son protecteur; mais l'amitié les unit ensuite par des liens plus touchants; et l'on vit s'établir entre eux une intimité dont on observe peu d'exemples entre les princes et de simples particuliers. Toute la vie de Bossuet fut un long et tendre dévouement aux intérêts de ce prince et de sa maison; et cet intérêt survécut à celui qui en avoit été le premier et

le principal objet. On vit plus d'une fois Bossuet, longtemps après avoir cessé d'exercer les fonctions de précepteur du Dauphin, les reprendre auprès du petitfils du grand Condé 1, présider à son éducation, diriger ses études pendant ses séjours à Versailles; et un an seulement avant sa mort, assister encore aux leçons de ses maîtres.

Le grand Condé, que ses infirmités avoient éloigné du commandement des armées depuis la campagne de 1675, s'étoit entièrement fixé à Chantilli depuis 1680, peu de temps après la mort de la duchesse de Longueville sa sœur. Il ne se montroit plus à Versailles que deux ou trois fois dans l'année, quoiqu'il eût toujours conservé sa place au conseil.

C'étoit dans cette noble retraite, embellie plus encore par son nom et par les glorieux souvenirs de tant de victoires, que par les efforts et les merveilles de l'art, qu'il se plaisoit à cultiver son esprit dans le commerce et l'entretien des hommes de génie qu'il y avoit attirés, ou qui venoient l'y chercher. C'étoit dans le calme de ce doux loisir, dont on ne connoît jamais autant le charme que lorsqu'il succède aux agitations d'une vie que l'ambition, les passions et la gloire ont tourmentée, qu'il se livroit à la méditation de ces grandes vérités religieuses, dont le tumulte des camps et le mouvement du monde lui avoient fait perdre la trace, sans les avoir jamais entièrement effacées de son esprit. Le grand Condé l'a déclaré lui-même en mourant : « Je 2 » n'ai jamais douté des mystères de la religion, quoi » qu'on ait dit. Chrétiens, vous devez l'en croire; dans » l'état où il est, il ne doit plus rien au monde que la » vérité. » C'est Bossuet qui parle.

«On voyoit le grand Condé à Chantilli comme à la >> tête des armées, sans envie, sans faste, sans ostenta» tion, toujours grand dans l'action et dans le

' M. le duc.

repos; on

Oraison funèbre du grand Condé, OEuvres de Bossuet, t. IV. p. 640 et suiv.

» le voyoit s'entretenant avec ses amis dans ces superbes >> dallées, au bruit de ces eaux jaillissantes qui ne se >> taisoient ni jour ni nuit; c'étoit toujours le même >> homme, et sa gloire le suivoit partout. Qu'il est beau, » après les combats et le tumulte des armes, de savoir » encore goûter ces vertus paisibles et cette gloire tran>> quille qu'on n'a point à partager avec le soldat, non >> plus qu'avec la fortune, où tout charme et rien n'é» blouit, qu'on regarde sans être étourdi par le son >> des trompettes, ni par le bruit des canons, ni par >> les cris des blessés ; où l'homme paroît tout seul aussi >> grand, aussi respecté que lorsqu'il donne des ordres, >> et que tout marche à sa parole. »

C'étoit dans cet asile d'un grand homme, qu'un autre grand homme venoit souvent goûter les douceurs de l'amitié et les faciles plaisirs de ces entretiens, dont la religion, la philosophie et les lettres étoient l'inépuisable sujet.

En voyant Bossuet et le grand Condé se promener au bruit de ces fontaines, à l'ombre de ces arbres antiques, qui avoient vu tant de héros de tous les âges oublier leur propre gloire pour s'entretenir des embellissements de leur retraite, se disputer le mérite d'y apporter le plus de goût et d'affection, on sent combien la véritable gloire est supérieure à cette petite ambition des âmes vulgaires, qui ne savent ni connoître, ni apprécier la véritable grandeur.

En parcourant les papiers de Bossuet, nous avons trouvé une lettre écrite de la main du grand Condé. Elle peint avec tant de naïveté la simplicité de leurs goûts et de leurs relations, que nous sommes convaincus qu'on ne la lira pas sans intérêt.

Chantilli, 19 septembre 1685.

« Je suis ravi1 que vous soyez content de mon fon» tenier. Quand on ne peut pas rendre de grands ser»vices à ses amis, on est ravi au moins de leur en pou'Lettre du grand Condé à Bossuet.

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