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dés depuis quinze siècles, les novateurs du seizième avoient tout attaqué, et prétendu tout renverser. Il est vrai que Luther annonça et promit d'abord une humble soumission au jugement du Pape et de l'Eglise. Mais cet homme ardent, incapable de garder aucune mesure, irrité d'un jugement qu'il avoit lui-même provoqué, se hâta de rétracter ses premiers engagements. Fier de ses succès, enhardi par le nom, la puissance et l'éclat de ses protecteurs, il ébranla tous les fondements du christianisme, et porta une main téméraire à toutes les institutions de l'Eglise. Il mit en controverse les points les plus importants de la doctrine chrétienne; il foula aux pieds ses institutions les plus précieuses, conserva, ou retrancha à son gré des sacrements que leur origine divine et la tradition de quinze siècles avoient consacrés; altéra, effaça, abrogea les rites les plus anciens de l'Eglise ; et s'interdit à lui-même tout espoir de retour à l'ordre et à la vérité, en contestant à l'Eglise le droit même de le juger. Infidèle à ses propres maximes, il posa un principe éternel de discorde, et ouvrit la porte à tous les genres de fanatisme, en transmettant à chaque particulier un droit qu'il refusoit à l'Eglise entière, celui d'être interprète et juge de la parole de Dieu.

Calvin, encore plus hardi, acheva de détruire ce que Luther avoit conservé. Dans sa sombre haine contre toutes les puissances et toutes les autorités, il s'indigna de voir au-dessus de lui des rois et des papes, des grands et des évêques; et, soulevant toutes les passions de la multitude, il transporta la démocratie dans la religion et dans la société politique. Le contraste de son culte et de ses principes de gouvernement avec le culte et les formes de gouvernement qui avoient dominé jusqu'alors, dut nécessairement mettre aux prises toutes les classes de la société les unes avec les autres, et armer toutes les passions et toutes les haines. Son vœu fut rempli, le sang coula dans toute l'Europe, et ses disciples furent si fanatiques par la crainte d'être su

perstitieux, qu'ils finirent par faire monter sur l'échafaud un roi protestant, pour une légère différence dans les habits et les cérémonies ecclésiastiques.

Comment pouvoir convenir d'un principe commun de décision avec des hommes qui établissoient en principe, que nulle autorité n'avoit droit de juger et de soumettre leurs opinions. Les succès qui avoient couronné leur audace exaltoient leurs prétentions et leur présomption, et ils parloient de leur foi et de leur doctrine avec une confiance et une fierté qu'ils empruntoient du grand nombre de leurs disciples.

Jusqu'à Bossuet, la plus grande partie des controverses agitées entre les théologiens catholiques et les théologiens protestants n'avoient porté que sur des points particuliers. Bossuet lui-même s'étoit borné à satisfaire les doutes et à résoudre les objections que des protestants incertains et sincères étoient venus soumettre à ses lumières. Son bel ouvrage de l'Exposition de la foi catholique n'étoit qu'une simple apologie du concile de Trente. Les catholiques, se trouvant en possession de la doctrine et de la discipline qu'ils avoient reçues de leurs pères, avoient cru qu'il devoit leur suffire d'en montrer l'exacte conformité avec la doctrine et la discipline de tous les siècles qui les avoient précédés.

Ce système de défense avoit été inspiré par un sentiment estimable de modération; il paroissoit laisser aux protestants de bonne foi plus de facilité pour se désabuser des préventions dont on les avoit nourris. Ces préventions s'étoient transmises de génération en génération depuis cent cinquante ans, sans examen et sans discussion. La plupart des protestants, contemporains de Bossuet, ignoroient eux-mêmes l'histoire des motifs, ou des prétextes qui avoient provoqué une séparation si violente, et entraîné tant de calamités. Ils se représentoient leurs premiers réformateurs comme des sages exempts de toutes les passions humaines, uniquement inspirés par l'amour de la vérité et invariable

ment attachés à la doctrine antique et pure des beaux jours du christianisme naissant, qu'ils avoient eu le bonheur de dégager des nuages dont la superstition des siècles suivants l'avoient enveloppée.

Bossuet vient détruire leur illusion. Il se présente tout-à-coup, l'Histoire des Variations à la main.

Il dit aux luthériens et aux calvinistes : « Qui êtes» vous? d'où venez-vous? Vous parlez de votre doctrine! >> avez-vous une foi et une doctrine? Non, vous n'en » avez pas. La foi qui change n'est point une foi; elle » n'est point la parole de Dieu, qui est immuable. Si >> vous en avez une, elle doit se trouver dans vos sym>> boles et dans vos professions de foi. Les voici; j'y ai » cherché ce que vos pères ont dit et enseigné; ils ne >> l'ont pas su eux-mêmes, ils ont dit et enseigné les >> dogmes les plus opposés. J'y cherche ce que vous » penserez et ce que vous professez aujourd'hui; vous » ne le savez pas vous-mêmes. Vous vous dites disciples » de Luther; vous vous dites disciples de Calvin, et >> vous frémissez d'horreur lorsqu'on vous rappelle les >> axiomes barbares qu'ils ont donnés pour fondement >> de leur doctrine. Vous les abjurez hautement; vous >> protestez qu'ils sont aujourd'hui désavoués par tous >> les luthériens et tous les calvinistes. Vous ne voulez >> pas que je vous attribue les torts et les erreurs per»sonnelles de vos premiers chefs; j'y consens. Qu'êtes» vous donc? Où irois-je chercher les règles et les prin»cipes de votre croyance? Ce sera, dites-vous, dans le » recueil des symboles et des professions de foi que nous >> avons promulgués nous-mêmes. Eh bien! les voici; » c'est de vos mains que je les ai pris et reçus. Je ne » prétends faire valoir contre vous ni les jugements de >>nos papes et de nos évêques, ni les décrets de nos >> conciles généraux, ni douze cents ans d'une tradi>>tion invariable. Vos chefs vous ont dit que de telles » autorités ne méritoient aucun égard. Je ne veux dis>>cuter avec vous que les actes que vous présentez vous» mêmes comme l'expression fidèle de votre foi et de

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>> votre doctrine, comme le résultat des profondes mé>> ditations de vos plus grands théologiens et des longues >> discussions de vos colloques et de vos synodes géné>> raux. Vous les avez acceptés comme la règle de la >> croyance commune de tous les membres de votre >> communion. Vous leur avez donné le titre imposant >> de profession de foi, pour leur imprimer le caractère >> le plus auguste et le plus invariable en matière de >> religion. Vous ne pouvez plus ni les désavouer, ni les » rejeter. Ils sont le seul lien qui vous réunit sous la >> forme d'une communion chrétienne. Otez ces sym>> boles extérieurs, vous n'êtes plus que des particuliers >> plus ou moins recommandables par vos vertus, vos » talents, vos lumières et vos connoissances. Mais vous >> n'offrez plus ni l'idée, ni l'autorité d'une réunion >> d'hommes professant la même doctrine et le même » culte. Je vous invite à parcourir avec moi cette longue » suite de vos professions de foi ; et nous verrons si vous >> ètes en droit d'interroger l'Eglise romaine sur sa » croyance, vous qui ne savez pas même encore ce que » vous croyez et ce que vous devez croire. »

Ces paroles que nous avons osé nous permettre de placer dans la bouche de Bossuet, nous ont paru rendre la pensée, l'intention et le plan de l'Histoire des Variations.

II.

- De l'Histoire des Variations. 1688.

C'étoit en 1688 que Bossuet composoit son Histoire des Variations des églises protestantes, l'un des ouvrages les plus étonnants de l'homme qui excite le plus l'étonnement et l'admiration.

La pensée d'un tel ouvrage et son exécution demandoient à la fois le concours du génie et les connoissances les plus profondes dans l'histoire, la religion et la politique.

Il falloit réunir sous un seul point de vue, dans un tableau historique dont le cadre étoit nécessairement circonscrit, le récit des révolutions religieuses et po

litiques qui avoient ébranlé en même temps toutes les parties de l'Europe chrétienne, lorsque du fond de la Saxe, Luther donna le signal de ces terribles discordes qui ravagèrent pendant cent cinquante ans les plus belles contrées du monde civilisé.

Ces grandes scènes de l'histoire n'étoient pas le principal sujet du plan de Bossuet; elles n'étoient que le lien nécessaire qui devoit en unir toutes les parties; mais par un avantage précieux, qu'un écrivain tel que Bossuet ne pouvoit pas négliger, elles devoient servir à répandre un grand intérêt sur des questions d'un genre plus sévère.

Luther avoit porté les premiers coups aux institutions antiques consacrées par le respect des siècles, il avoit ébranlé les autels à l'ombre desquels il avoit été élevé. Mais bientôt, à son exemple, ses premiers disciples lui disputèrent l'autorité qu'il avoit conquise; et après avoir combattu pour lui, ils combattirent contre lui. La réforme naissante fut déchirée en deux partis, aussi acharnés l'un contre l'autre qu'ils l'étoient contre l'Eglise romaine; et ces deux grandes branches du protestantisme se sous-divisèrent en une multitude de sectes différentes, qui se prodiguèrent les censures, les outrages et les violences.

Il ne suffisoit pas encore aux vues de Bossuet de montrer comment les communions protestantes différoient entre elles dans leurs professions de foi : il entreprit de faire voir comment chacune d'elles avoit successivement varié dans la profession de sa propre doctrine.

Par une idée aussi neuve que profonde, Bossuet se place avec l'Eglise romaine, comme simple spectateur des violents débats de ces sectes innombrables, il se borne à les mettre aux prises les unes avec les autres; et il renverse ensuite chacune d'elles, en lui opposant les actes publics et contradictoires de ses propres symboles.

Il ne pouvoit appartenir qu'à Bossuet d'apporter dans l'exposé de ces questions si obscures une clarté dont

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