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elles ne paroissoient pas susceptibles, et une exactitude qui devoit résister à l'épreuve de toutes les critiques.

Mais ce qui est remarquable, c'est que ce fut un écrivain protestant qui fit naître à Bossuet l'idée d'écrire un ouvrage qui devoit être si fatal à la cause des églises protestantes.

On peut se rappeler que lorsque Bossuet publia son Exposition de la foi catholique, le ministre La Bastide l'accusa d'avoir varié dans sa doctrine; il en alléguoit pour preuve les premiers imprimés de cette Exposition, que l'on supposoit en opposition avec l'ouvrage, tel que Bossuet l'avoit publié lui-même. On à vu1 que cette prétendue contradiction n'avoit pas le plus léger fondement; mais en supposant mème qu'elle eût été aussi réelle qu'elle étoit frivole et hasardée, une pareille accusation étoit entièrement étrangère à la doctrine de l'Eglise catholique: indépendamment du droit naturel qui appartient à tout écrivain de se réformer lui-même dans le cours de son travail, ce n'est point dans les opinions particulières d'un auteur qu'on doit aller puiser la véritable doctrine d'une église ou d'une communion religieuse; c'est dans la profession solennelle de ses dogmes, tels qu'elle les a déclarés dans ses symboles, ses confessions de foi, ses décrets authentiques.

L'écrit du ministre La Bastide tomba sous les yeux de Bossuet en 1682. Il étoit alors occupé à lire le Syntagma Confessionum, récemment imprimé à [Genève. Cet ouvrage est un recueil complet de toutes les professions de foi des églises protestantes depuis la Confession d'Augsbourg en 1530, jusqu'à celles des derniers temps.

Il fut frappé des variations et des contradictions qu'offroit cet amas de doctrines, non- seulement opposées entre elles, mais dont les auteurs avoient sans cesse varié dans leurs systèmes et dans leurs principes; et cependant on lisoit dans chacune de ces confessions de foi, si contraires l'une à l'autre, qu'elle n'étoit qué

1 Liv. III.

l'expression pure et invariable de la parole de Dieu consignée dans les livres sacrés.

Bossuet entrevit d'un coup d'œil tous les avantages qu'il pouvoit recueillir de cet assemblage singulier de doctrines bizarres. Il sembloit que les protestants n'eussent composé ce recueil que pour montrer la main des hommes, incertains et changeants dans leurs conceptions, et pour avertir les maîtres et les disciples de l'instabilité des pensées humaines, lorsqu'elles n'ont plus ce point d'appui, qui ne peut reposer que sur l'autorité d'une Eglise, juge suprême et infaillible des controverses.

Cependant la première pensée de Bossuet s'étoit bornée à présenter ces variations sous la forme d'un discours préliminaire, qu'il se proposoit de placer à la tête d'une nouvelle édition de son Exposition de la foi catholique. Mais à peine avoit-il commencé ce nouveau travail, que son plan s'étendit, les idées et les faits, les preuves et les raisonnements se présentèrent en foule; et ce qui ne devoit être qu'une préface, devint un des plus magnifiques ouvrages de Bossuet.

Mais dès 1683 il fut obligé de suspendre cette belle entreprise, pour obéir aux intentions de Louis XIV, en écrivant sa célèbre Défense des quatre Articles du clergé de France. Les affaires de son diocèse, les Instructions qu'il publia, les Oraisons funèbres de la reine MarieThérèse, de la princesse Palatine, du chancelier Le Tellier et du grand Condé l'occupèrent une partie des années 1685 et 1686; et ce ne fut qu'en 1687, qu'il put reprendre son Histoire des Variations, qu'il acheva , et qu'il publia en 1688.

On étoit instruit que Bossuet s'occupoit de ce travail. Comme plusieurs années s'écoulèrent sans qu'on le vit paroître, les protestants sembloient triompher de ces délais, dont ils ignoroient les véritables motifs. Ils affeclèrent même de répandre que Bossuet s'étoit vu dans l'impuissance de réaliser un projet plus séduisant que facile à exécuter.

Mais lorsqu'on a lu l'Histoire des Variations, on est, pour ainsi dire, accablé des études et des recherches que supposoit un pareil ouvrage. Il exigeoit l'examen le plus attentif et le plus scrupuleux d'une multitude d'actes, dont le plus grand nombre n'existoit que dans les pays étrangers. Bossuet ne se dissimuloit pas qu'il intentoit une accusation grave et solennelle contre toutes les communions protestantes; et qu'il auroit à répondre, non- seulement au public, mais encore à chacune des sectes dont il dénonçoit l'instabilité et les variations. Aussi voit-on par sa correspondance avec M. Obrecht, et un grand nombre d'autres personnes, le soin presque minutieux qu'il apportoit à n'alléguer aucun fait et à ne citer aucun acte qui ne fût appuyé sur des témoignages authentiques, dont les protestants eux-mêmes ne pouvoient contester l'autorité.

Bossuet exprime dès la préface de son Histoire des Variations l'esprit dans lequel il a conçu son travail. C'est là qu'on apprend à ne pas confondre l'impartialité avec l'indifférence. On affecte trop souvent de représenter l'indifférence d'un historien comme un titre, qui semble lui donner plus de droits à la confiance; mais cette indifférence n'est le plus ordinairement qu'un moyen facile et vulgaire de dénaturer le véritable caractère de l'histoire, en enveloppant dans un égal mépris les vérités qui commandent le respect et la confiance, avec les illusions et les préjugés que l'esprit de secte et de parti se plait à entretenir et à propager.

« Pour le fond des choses, on sait bien, dit Bossuet', » de quel avis je suis. Car assurément je suis catho» lique, aussi soumis qu'aucun autre aux décisions de >> l'Eglise. Après cela, d'aller faire le neutre et l'indiffé>> rent à cause que j'écris une histoire, ou de dissimu>>ler ce que suis, quand tout le monde le sait, et » que j'en fais gloire, ce seroit faire au lecteur une » illusion trop grossière. Mais avec cet aveu sincère, 1 Préface de l'Histoire des Variations.

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» je maintiens aux protestants qu'ils ne peuvent me >> refuser leur créance, et qu'ils ne liront jamais une >> histoire, quelle qu'elle soit, plus indubitable que » celle-ci, puisque, dans ce que j'ai à dire contre leurs églises et leurs auteurs, je n'en raconterai rien qui >> ne soit authentique, et prouvé clairement par leurs >> propres témoignages. »

>>

Il étoit facile à Bossuet de montrer que les premiers réformateurs, tels que Luther, Mélanchton, Bucer et Calvin, avoient varié dans leurs opinions, et Bossuet produit en effet les témoignages les plus singuliers de leurs variations.

C'est ainsi que Luther, après avoir posé pour fondement de sa doctrine, « que le libre arbitre étoit tout» à-fait éteint dans le genre humain depuis la chute » d'Adam.....; que le libre arbitre n'étoit qu'un vain >> nom..........; que Dieu fait en nous le mal comme le >> bien......; que la grande perfection de la foi, est de >> croire que Dieu est juste, quoiqu'il nous rende né>> cessairement damnables par sa volonté; en sorte » qu'il semble se plaire aux supplices des malheureux >> (ce sont ses propres paroles), ce même Luther sur la fin de sa vie parut pencher vers l'excès opposé; en attribuant au libre arbitre une efficacité dans l'ordre du salut, qu'il ne peut jamais avoir sans le secours de la grâce.

C'est ainsi que Mélanchton, d'abord défenseur zélé de la présence réelle, à l'exemple de Luther son maître, finit par goûter le sentiment de Zuingle, inventeur du sens figuré.

C'est ainsi que Calvin, masquant d'abord ses véritables sentiments sous les expressions les plus propres à établir la doctrine de la présence réelle, se dépouilla bientôt du voile dont il n'avoit consenti à s'envelopper que par la crainte d'irriter Luther qu'il redoutoit, et dénatura toutes les acceptions du langage humain, pour faire triompher le sens figuré en dépit de ses propres déclarations.

C'est ainsi que Bucer, « grand architecte de subti>>lités théologiques,» dit Bossuet, ne s'occupoit qu'à rédiger des confessions de foi équivoques, propres à tromper les partis les plus opposés, et à satisfaire également les défenseurs de la présence réelle et ceux du sens figuré.

Toutes ces contradictions et toutes ces inconséquences n'étoient que les travers de quelques hommes emportés, qui avoient perdu le pouvoir de s'arrêter à des principes invariables, en abjurant l'autorité de l'Eglise. Dans le plan qu'avoit conçu Bossuet, à peine daigne-t-il faire remarquer ces contradictions personnelles, qui ne servent qu'à attester l'instabilité de caractère et d'esprit de ces hommes si vantés dans leur parti.

Mais le véritable objet de Bossuet étoit de montrer, par des actes authentiques, que les églises protestantes, tantôt amies et tantôt ennemies, embarrassées de s'expliquer elles-mêmes sur ce qu'elles croyoient ou sur ce qu'elles ne croyoient pas, avoient abrogć, dans le court espace de quelques années, leurs premiers symboles de doctrine, et avoient successivement adopté les professions de foi les plus opposées, en produisant les unes et les autres comme la plus pure et fidèle interprétation de la parole de Dieu.

III.- Confession d'Augsbourg en 1530. Variations des

*luthériens.

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A la tête de ces symboles, Bossuet place la célèbre confession de foi présentée à Charles-Quint à la diete d'Augsbourg, en 1530, la première de toutes dans l'ordre des temps, celle qui sert encore de règle de foi à une grande partie de l'Allemagne et aux royaumes du Nord, et qu'affectent de respecter ceux même qui la rejettent. « Elle1 fut rédigée par Mélanchton, le plus » éloquent et le plus poli, aussi bien que le plus mo» déré de tous les disciples de Luther. »

1 Préface de l'Histoire des Variations.

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