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» et définies, de consigner à la postérité par l'Ecriture » ce qu'elle avoit reçu de ses ancêtres par la tradi» tion. >>

C'est en conformité de cette maxime, que lorsque de nouvelles erreurs se sont élevées dans l'Eglise, et qu'on a cru nécessaire de convoquer des conciles pour les proscrire, les conciles n'ont fait que confronter les nouvelles doctrines avec les témoignages de l'Ecriture et ceux de la tradition; et ils ont ensuite déclaré qu'elles étoient contraires à la parole de Dieu et à la foi de leurs églises.

On ne prononçoit jamais les décisions qu'en proposan la foi des siècles passés. Tous les conciles qui se succédoient, avoient l'attention de rappeler la foi et la doctrine des conciles qui les avoient précédés; la chaîne de la tradition n'étoit jamais interrompue sur un seul point. La parole de Dieu, consignée dans l'Ecriture, étoit la loi suprême de toutes les décisions; mais pour en fixer l'interprétation et prévenir toute variation, on ne trouvoit point de plus sûre interprétation que celle qui avoit toujours été publique et solennelle dans l'Eglise; ainsi on faisoit gloire à Chalcédoine d'entendre l'Ecriture sainte comme on avoit fait à Ephèse, et à Ephèse comme on avoit fait à Constantinople et à Nicée.

« Il est vrai, observe Bossuet, qu'on ne définit ex>> pressément à Nicée, que ce qui avoit été révoqué en » doute, qui étoit la divinité du Fils de Dieu. Car l'E>> glise, toujours ferme dans la foi, ne se presse pas dans >> ses décisions; et, sans vouloir émouvoir de nouvelles >> difficultés, elle ne les résout par des décrets exprès, » qu'à mesure qu'on élève les difficultés. »

On estimoit autant les derniers conciles que les premiers, parce qu'ils suivoient toujours les mêmes vestiges. C'étoit dans cet esprit que le concile de Chalcédoine disoit aux eutychiens : « Vous réclamez les an>> ciens conciles; le concile de Chalcédoine doit vous » suffire, puisque, par la vertu du Saint-Esprit, tous » les conciles orthodoxes y sont renfermés. >>

Si l'on demande à quoi servent donc les nouvelles décisions des conciles, puisqu'ils ne font que déclarer ce qui étoit et ce qu'on pensoit avant eux? Bossuet répond avec saint Vincent de Lérins : « Que les conciles, par >> leurs décisions, donnent par écrit à la postérité ce » que les anciens avoient cru par la seule tradition; >> qu'ils expriment en peu de mots le principe et la >> substance de la foi; que pour en faciliter l'intelli>> gence, ils expriment par quelque terme nouveau >> mais précis, la doctrine qui n'avoit jamais été nou» velle: Dicunt novè, non dicunt nova. »

Bossuet observe avec raison que, lorsqu'on parle des saints Père qui forment la tradition, « on entend leur >> consentement et leur unanimité. Si quelques-uns >> d'eux ont eu quelque chose de particulier dans leurs >> sentiments, ou dans leurs expressions, tout cela s'est » évanoui, et n'a pas fait tige dans l'Eglise. Ce n'étoit » pas là ce qu'ils y avoient appris, ni ce qu'ils avoient » tiré de la racine. »

Jurieu avoit produit dans ses Lettres pastorales, comme un témoignage des variations de l'ancienne Eglise, la doctrine sur la grâce, qu'il prétendoit n'avoir été bien connue et bien expliquée que depuis saint Augustin. Mais c'étoit précisément sur cet article que saint Augustin, qu'il appeloit à son appui, lui répondoit: «Que la foi chrétienne et l'Eglise catholique » n'ont jamais varié. Lorsque Pélage et Célestius pa» rurent, leurs profanes nouveautés, dit saint Augustin, >> firent horreur par toute la terre à toutes les oreilles >> chrétiennes en Orient comme en Occident. » A peine purent-ils séduire cinq ou six évêques, qui furent bientôt chassés de leurs siéges par l'unanime consentement de tous leurs collègues, et avec l'applaudissement de tous les peuples et de toute l'Eglise catholique.

Après avoir repoussé les accusations téméraires de Jurieu contre l'invariabilité de la doctrine des premiers siècles de l'Eglise, Bossuet fait voir que le système de

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Jurieu tend à livrer le christianisme tout entier à l'invasion des sociniens; et telle est la force des raisonnements de Bossuet, qu'il finit par en arracher l'aveu à Jurieu lui-même.

XIII. - Du IIe Avertissement aux protestants.

Il arrivoit quelquefois à Jurieu ce qui arrive presque toujours à ceux qui écrivent beaucoup, surtout dans le genre polémique. Occupés à se défendre ou à attaquer, ils ne sont frappés que du danger de succomber à l'objection du moment, et ils oublient les faits et les principes qu'ils ont avoués ou établis dans leurs écrits antérieurs. Bossuet avoit fait observer, dans une addition au livre xiv de l'Histoire des Variations, que Jurieu convenoit lui-même que les premiers réformateurs, tels que Luther et Mélanchton, avoient établi comme fondement de toute leur doctrine ces étonnants axiomes : « que Dieu fait les hommes damnables nécessai>>rement par sa volonté; en sorte qu'il semble prendre >> plaisir au supplice des malheureux, et est plus digne » de haine que d'amour. Que l'adultère de David et » la trahison de Juda ne sont pas moins l'œuvre de >> Dieu que la conversion de saint Paul. » C'étoit véritablement faire Dieu auteur du péché, comme le disoit Bossuet.

Jurieu se récria avec chaleur contre l'inculpation de Bossuet, et déclara qu'il n'étoit jamais convenu « que » Luther et Mélanchton eussent professé une telle doc>> trine. » Il s'abandonna même à un tel excès d'emportement, qu'il osa traduire Bossuet « au tribunal de » Dieu comme un insigne calomniateur. »

Il avoit entièrement oublié que lui-même il avoit consigné cet aveu dans les mêmes termes, dans un écrit adressé quelques années auparavant au ministre luthérien Scultet.

Jurieu avoit eu alors la fantaisie de proposer un traité de paix et une tolérance mutuelle entre les luthériens et les calvinistes. Les luthériens y résistoient fortement,

à cause de la dureté de la doctrine de Calvin. Jurieu ne désavouoit pas que Calvin n'eût professé des principes insoutenables; mais il prétendoit que ses disciples y avoient renoncé depuis cent ans. D'ailleurs, ajoutoit-il, la doctrine de Luther et de Mélanchton n'étoit pas moins injurieuse à la sainteté et à la justice de Dieu; et il citoit à ce sujet les paroles de Luther et de Mélanchton, telles que Bossuet vient de les rapporter; et Bossuet n'avoit fait que rappeler à Jurieu ce qu'il avoit déclaré lui-même dans un écrit public imprimé et signé de lui. Jurieu ne répondit rien, parce qu'il n'y avoit rien à répondre.

Mais on trouve dans le second Avertissement aux protestants1 une objection de Jurieu assez spécieuse pour faire impression sur les personnes peu familiarisées avec ces matières, et qui parut à Bossuet mériter une attention particulière. C'est ici qu'il faut admirer la profonde sagesse et la scrupuleuse exactitude de Bossuet dans les questions les plus difficiles et les plus délicates de la théologie.

On sait que l'Eglise a abandonné à la liberté des écoles la discussion des opinions particulières de quelques théologiens sur le concours de la grâce et de la liberté dans les actes humains. Parmi ces opinions, celle des thomistes est célèbre dans l'école; et personne n'ignoroit dans le public que Bossuet penchoit pour cette opinion. Ce n'est pas qu'il la jugeât exempte de difficulté, ni susceptible d'une démonstration très-claire et très-satisfaisante. Il la croyoit seulement plus propre que toute autre à résoudre quelques objections et quelques difficultés dans une matière qui en offre un si grand nombre d'insolubles.

Jurieu ne manqua pas de demander à Bossuet comment il prétendoit concilier la liberté de l'homme avec la grâce efficace et la prémotion physique des thomistes.

Il faut entendre la réponse de Bossuet. Il eût été à dé'OEuvres de Bossuet, tom, vII. pag. 388.

sirer pour le repos de l'Eglise, que les auteurs de tant de systèmes n'eussent pas eu la prétention d'expliquer ce que Bossuet jugeoit inexplicable.

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« M. Jurieu voudroit que je lui apprisse comment » s'accorde le libre arbitre, ou le pouvoir de faire ou »> ne pas faire, avec la grâce efficace et les décrets » éternels. Foible théologien, qui fait semblant de ne >> pas savoir combien de vérités il nous faut croire, quoique nous ne sachions pas toujours le moyen de » les concilier ensemble. Que diroit-il à un socinien >> qui lui demanderoit d'expliquer comment s'accorde » l'unité de Dieu avec la Trinité? Entrera-t-il avec lui » dans cet accord, et s'engagera-t-il à lui expliquer le » secret incompréhensible de l'Etre divin? Ne croi» roit-il pas l'avoir vaincu, en lui montrant que ces >> deux choses sont également révélées; et par consé» quent, malgré qu'il en ait, et malgré la petitesse de >> l'esprit humain qui ne peut les concilier parfaitement, » qu'il faut bien que l'infinité immense de l'être de >> Dieu les concilie et les unisse.

>> Mais sans nous arrêter à ce mystère, qu'est-ce en » tout et partout que notre foi, qu'un recueil de vérités >> saintes qui surpassent notre intelligence, et que >> nous aurions non pas crues, mais entendues parfaite»ment, si nous pouvions le concilier ensemble par » une méthode manifeste ?........ Mais cela n'est pas ainsi, » et quand cela sera, ce ne sera plus cette vie, mais >> la future; ce ne sera plus la foi, mais la vision. Que » faut-il faire en attendant, sinon croire et adorer ce » qu'on n'entend pas, unir par la foi ce qu'on ne peut >> unir par l'intelligence, et en un mot, comme dit » saint Paul, réduire son esprit en captivité sous l'o>>béissance de Jésus-Christ?

» Que sert donc d'alléguer la grâce efficace et les >> thomistes? Ces docteurs, comme les autres catho»liques, sont d'accord à ne point mettre dans le choix » de l'homme une inévitable nécessité, mais une li» berté entière de faire et de ne pas faire. S'ils ont de

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