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» la peine à l'accorder avec l'immutabilité de Dieu, ils >> ne succombent pourtant pas à la difficulté. Ils rament >> de toute leur force, pour s'empêcher d'être jetés » contre l'écueil. »

Jurieu avoit encore objecté à Bossuet le prétendu semi-pelagianisme des molinistes, dont le système est abandonné à la liberté des écoles.

L'opinion personnelle de Bossuet différoit de celle des molinistes; mais il ne se croyoit pas en droit de condamner ce que l'Eglise n'a pas condamné.

« Quant à ce que M. Jurieu nous objecte, que nos >> molinistes sont semi-pélagiens, s'il en avoit seulement » ouvert les livres, il auroit appris qu'ils reconnoissent » pour tous les élus une préférence gratuite de la di>> vine miséricorde, une grâce toujours prévenante, >> toujours nécessaire pour toutes les œuvres de piété. >> C'est ce qu'on ne trouvera jamais dans les semi-pé>> lagiens. Que si on passe plus avant, ou qu'on fasse

précéder la grâce par quelque acte purement hu» main, à quoi on l'attache, je ne craindrai point >> d'être contredit par aucun catholique, en assurant » que ce seroit de soi une erreur mortelle, qui ôteroit >> le fondement de l'humilité, et que l'Eglise ne tolé>> reroit jamais, après avoir décidé tant de fois, encore >> en dernier lieu dans le concile de Trente, que tout » le bien, jusqu'aux premières dispositions de la >> conversion du pécheur, vient d'une grâce exci>> tante et prévenante, qui n'est précédée par aucun » mérite. >>

XIV. Du IIIe Avertissement aux protestants.

Le sujet du troisième Avertissement aux protestants 1 rentre en grande partie dans ce qui a fait la matière du second. C'est toujours sur la question de l'Eglise, « question que les protestants évitent, autant qu'ils » peuvent, d'agiter, dit Bossuet, comme l'écueil où ils >> viennent toujours se briser. » Mais les variations et Euvres de Bossuet, tom. vII. pag. 405.

les contradictions continuelles de Jurieu lui donnent lieu d'y ajouter de nouveaux développements et des réflexions qui sont d'un grand intérêt.

Bossuet fait remarquer que dans l'origine, les luthériens eux-mêmes convenoient qu'on pouvoit se sauver dans l'Eglise romaine; « ils faisoient même sem>> blant de ne vouloir pas y renoncer. Les deux partis » de la réforme, tant les zuingliens que ceux de la » confession d'Augsbourg, se soumettoient au concile » que le pape assembleroit; ils mettoient au nombre » des plus grands saints les plus zélés défenseurs de l'E» glise et de la croyance romaine, tels que saint Ber» nard, saint Bonaventure, saint François d'Assise; et >> Luther reconnoissoit en termes magnifiques le salut' » et la sainteté dans cette Eglise.

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Les calvinistes eux-mêmes persévérèrent longtemps dans la même opinion; et Bossuet rappelle ce qui se passa à l'occasion de l'abjuration d'Henri IV, à qui les théologiens protestants avouèrent pour la plupart qu'avec eux l'état étoit plus parfait, mais qu'on pouvoit être sauvé dans l'Eglise catholique : fait remarquable, confirmé par le témoignage du duc de Sully, sincèrement attaché à la religion protestante.

Cet aveu avoit donné lieu aux catholiques de demander aux protestants à quoi donc avoit servi d'allumer le feu des guerres civiles et religieuses dans toute l'Europe, et d'y avoir fait couler des torrents de sang pendant cent cinquante ans, pour se séparer avec tant de violence d'une Eglise dans laquelle ils convenoient eux-mêmes qu'on pouvoit faire son salut. L'objection étoit pressante et pouvoit faire impression sur les esprits raisonnables. La conversion d'Henri IV, justifiée de leur propre aveu, et dont l'exemple avoit été suivi par les chefs de plusieurs maisons puissantes, porta tout-à-coup les ministres protestants à rétracter un aveu si préjudiciable aux intérêts politiques de leur parti. Ce fut alors qu'ils imaginèrent, pour fasciner l'esprit de la multitude, de déclarer par un décret solennel d'un de

leurs synodes, que le Pape étoit l'antechrist, que Rome étoit Babylone, et que tout le culte de l'Eglise romaine n'étoit qu'un amas d'idolâtries. Ils se flattèrent d'avoir établi par ces déclamations extravagantes une barrière insurmontable entre Rome et Genève.

Cependant, lorsque vers le commencement du règne de Louis XIV, le gouvernement et le clergé de France eurent formé le projet de ramener les protestants par des discussions raisonnées; lorsque Bossuet eut commencé à introduire dans ce genre de controverses une méthode qui mettoit toutes les classes de catholiques et de protestants à portée de réduire ces étranges accusations à leur juste valeur, et de demander des preuves et des faits au lieu de déclamations, les ministres les plus habiles se sentirent obligés à abjurer jusqu'à un certain point la rigueur de leurs principes. Ils sentirent. en effet qu'il étoit un peu dur de damner impitoyablement tout ce qui avoit professé la religion romaine depuis douze cents ans; car ils n'avoient jamais désavoué qu'on ne pût encore y obtenir le salut au cinquième siècle, quoique on y fût déjà un peu idolâtre. Ils étoient d'autant plus embarrassés à justifier cette proscription générale, qu'ils convenoient eux-mêmes que, lorsque les premiers réformateurs firent entendre leur nouvelle doctrine, ils n'avoient pas trouvé un seul individu qui déclarât qu'il avoit toujours pensé comme eux. Ainsi l'idolâtrie étoit universelle dans l'Eglise latine comme dans l'Eglise grecque, dans tout l'Orient comme dans tout l'Occident.

Mais la grande difficulté étoit de concilier le salut avec cette profession publique de l'idolâtrie.

Le ministre Claude, le plus habile et le plus subtil de tous les protestants, imagina tout-à-coup l'opinion

* Luther, et quelques autres déclamateurs virulents, avoient à la vérité donné au Pape et à Rome les noms d'antechrist et de Babylone; mais jamais aucune de leurs assemblées ecclésiastiques n'avoient osé en faire l'objet d'un décret formel. Mélanchton les avoit même effacés de la confession d'Augsbourg, où Luther avoit voulu les faire insérer.

ce

la plus extraordinaire et la plus bizarre qui ait pu jamais se présenter à un homme de sens et d'esprit fut de convenir qu'on pouvoit à la vérité se sauver dans l'Eglise romaine avant la réforme; mais il ne consentoit à accorder le salut qu'à ceux qui faisoient profes→ sion de sa doctrine sans y croire.

Vint peu de temps après le ministre Jurieu, qui sentil facilement qu'il étoit aussi ridicule que contraire à la morale, de ne sauver que des hypocrites; et il établit l'opinion directement opposée. Il déclara que tous ceux qui avoient professé de bonne foi la doctrine de l'Eglise romaine avant la réforme, avoient pu y obtenir le salut; ce qui étoit un peu plus raisonnable et plus conforme aux premières notions de l'équité.

Ce fut même pour développer son opinion avec plus d'étendue, qu'il bâtit son fameux système de l'Eglise. C'est dans l'exposé de ce système qu'il porte si loin la tolérance, qu'il donne une si grande latitude à l'accès d'indulgence qui l'avoit subitement saisi, qu'il finissoit par reconnoitre comme membres vivants de l'Eglise les hérétiques de toutes les sectes et de toutes les communions, à commencer par les idolâtres de l'Eglise romaine, parce que les uns et les autres professoient les principes fondamentaux du christianisme.

Bossuet profita de cet aveu pour obliger Jurieu, en le pressant de conséquence en conséquence, à convenir, bon gré mal gré, que les sociniens eux-mêmes, qui nioient la divinité de Jésus-Christ, étoient des membres vivants de l'Eglise chrétienne.

Jurieu sentit alors qu'il étoit allé trop loin pour les intérêts politiques de sa secte, et que toutes ses déclamations contre l'Eglise romaine n'avoient plus d'objet. Il voulut se retrancher dans sa fameuse distinction des articles fondamentaux et non fondamentaux, et recommença à damner impitoyablement l'Eglise romaine et les sociniens, sous prétexte qu'ils ne professoient point les articles fondamentaux.

Bossuet prit alors le parti le plus simple: ce fut de

l'inviter à exposer lui-même ce qu'il entendoit par les articles fondamentaux et non fondamentaux.

La réponse de Jurieu est curieuse. Il déclare qu'il ne veut point définir quelles sont les sectes où Dieu peut avoir des élus, et où il n'en peut avoir. L'endroit, ajoute-t-il, est trop délicat et trop périlleux.

Mais une réponse aussi vague et aussi évasive ne pouvoit pas satisfaire un esprit tel que Bossuet. Aussi on voit, dans ce troisième Avertissement, comment il conduit Jurieu, de raisonnement en raisonnement, à déraisonner de la manière la plus extravagante.

Il y a surtout dans ce troisième Avertissement une discussion très-intéressante au sujet de l'Ecriture sainte. On sait que la maxime fondamentale des protestants est de ne reconnoître que l'Ecriture sainte pour juger des questions de foi. On sait également qu'ils rejettent du nombre des livres canoniques de la Bible quelquesuns de ceux auxquels l'Eglise romaine attribue ce caractère. Bossuet demande au ministre Claude et à Jurieu comment les simples fidèles pourront distinguer les livres canoniques des livres non canoniques, puisqu'il faut bien commencer par savoir de quelles parties est formée l'Ecriture sainte avant de la prendre pour règle de sa foi. En suivant cette discussion aussi loin qu'elle peut aller, il ne leur laisse que l'une de ces deux alternatives, celle d'abandonner l'interprétation de l'Ecriture à l'inspiration de chaque individu, ce qui conduit nécessairement aux illusions et aux illuminations des quakers; ou de s'en rapporter au jugement d'une autorité infaillible, ce qui est finir par où les catholiques commencent.

XV.- Du IVe Avertissement aux protestants.

Bossuet fit paroître en 1690 son quatrième Avertissement aux protestants1. Il est le plus court de tous; il contient à peine vingt pages, et on admire comment Bossuet a pu dire tant de choses en si peu de mots. 1OEuvres de Bossuet, tom. vi. pag. 444.

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