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» de Dieu, à laquelle vous présidez avec autant de >> sagesse que de puissance, rejetez ces sentiments bas » et énervés, qui détruisent toute la force de la piété, >> en se couvrant de ses apparences. Celui-là ne dé>> noue point les nœuds, mais ne fait que les embar>> rasser davantage, qui se conduit plutôt par des affec>>tions humaines et de foibles raisonnements que par » la tradition de l'Eglise.

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Innocent XII répondit aux cinq évêques par un bref très-obligeant, en date du 6 mai 1697. Il y annonçoit qu'il avoit nommé une commission composée d'habiles théologiens pour examiner le livre du cardinal Sfondrate, et les observations des prélats, « afin que, toutes >> les choses étant pesées mûrement, il pût ensuite dé>> cider ce qui seroit juste, sans autre considération que >> celle de remplir, comme il convenoit, le ministère >> que Dieu lui avoit confié. »

On dit même que dans le premier moment ce pontife déclara, avec autant de mesure que de dignité, qu'il avoit fait l'abbé Sfondrate cardinal pour servir » l'Eglise, mais qu'il ne prétendoit pas abandonner >> l'Eglise pour servir le cardinal Sfondrate. »

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L'examen des théologiens nommés par le Pape n'eut aucun résultat. Le cardinal Gabrielli qui avoit été approbateur de l'ouvrage du cardinal Sfondrate, dans le temps où il étoit encore simple théologien du pape, écrivit même pour le défendre. Bossuet ne put donner aucune suite à cette affaire; il eut à la même époque à déployer toutes ses forces et toutes les ressources de son génie dans un combat bien plus animé; ce fut en effet alors que s'engagea sa controverse avec Fénélon; et cette lutte trop célèbre, qui lui coûta trois années entières de soins, de travaux, et d'activité, absorba toute son attention.

Mais après la conclusion de cette grande affaire, il provoqua la condamnation de l'apologie de Sfondrate, qu'on attribuoit généralement au cardinal Gabrielli. Il ne pouvoit guère se flatter d'obtenir à Rome du Pape

Clément XI, ancien ami du cardinal Sfondrate, ce qu'il n'avoit pu obtenir d'Innocent XII, qui n'avoit été que son bienfaiteur; il présenta donc à l'assemblée du clergé de France de 1700, quelques propositions extraites des ouvrages des deux cardinaux, et en demanda la censure. Mais sa demande fut écartée. L'assemblée 'crut plus respectueux pour le saint Siége de ne point prévenir le jugement du Pape, qui se trouvoit déjà saisi de cette affaire, jugement qui n'a jamais été prononcé.

V.- Affaire du quiétisme.

Bossuet se trouvoit investi, par l'opinion publique, d'une espèce de suprématie dans tout ce qui appartenoit à la doctrine de l'Eglise. On lui déféroit, pour ainsi dire, la discussion et le jugement de toutes les controverses qui avoient pour objet la conservation des dogmes et des traditions. Mais jusqu'alors il n'avoit combattu que les ennemis invétérés de l'Eglise, ou quelques théologiens indiscrets, dont les opinions peu mesurées avoient cédé sans résistance aux premières paroles d'un pontife qui les avertissoit de leur erreur.

Une controverse d'une nature bien différente s'ouvrit entre Bossuet et un archevêque recommandable par sa piété, cher à l'Eglise par ses vertus et ses talents, à la France par la beauté de son génie et la candeur de son âme, déjà élevé au faîte des honneurs et des dignités, et supérieur encore à sa fortune et à sa réputation par la noblesse de son caractère : c'est Fénélon, le disciple, l'ami, l'admirateur de Bossuet.

Mais ces titres chers et sacrés ne pouvoient balancer, dans l'âme de Bossuet, le devoir qui lui étoit imposé de n'écouter que la religion et la vérité; et l'on ne peut nier qu'il n'eût le droit de penser et de dire, comme il l'a souvent répété dans le cours de cette controverse, que le rang et les vertus mêmes de l'archevêque de Cambrai commandoient encore plus impérieusement de résister à des erreurs qui en empruntoient plus de charmes, et en avoient plus de danger.

Il est permis de prévoir que la curiosité de nos lecteurs se portera de préférence sur le récit nouveau que nous avons à présenter de la controverse du quiétisme. On suppose l'historien de Bossuet embarrassé de se concilier avec l'historien de Fénélon; et, dans cette pensée, on éprouvera quelque impatience à connoître comment il aura pu éviter les contradictions, en échappant à tous les reproches.

Nous déclarons d'abord avec une grande sincérité, que nous n'avons point éprouvé cette sorte d'embarras. Nous n'en sommes pas moins touché et reconnoissant d'une telle sollicitude.

Nous aimons à l'attribuer également et aux amis de Fénélon, et aux admirateurs de Bossuet. Les premiers craignent peut-être que nous ne soyons conduit en ce moment, par l'ascendant du grand nom de Bossuet, à affoiblir l'intérêt si touchant attaché à la personne de l'archevêque de Cambrai, et dont nous n'avons eu garde sans doute de chercher à nous défendre en écrivant sa Vie.

Les seconds, dans la juste admiration que nous partageons avec eux pour le plus beau génie peut-être qui ait éclairé les hommes, désirent au contraire que l'historien de Bossuet cherche à voiler, à désavouer même quelques imperfections échappées à la foiblesse humaine, qui ont pu paroître atténuer à quelques égards la gloire d'un si grand homme, sans cependant porter atteinte à la pureté de son triomphe.

Mais un historien peut-il ainsi transformer la vérité à son gré, et la dénaturer par déférence à des considérations même respectables?

On ne peut raisonnablement demander à l'historien de Bossuet, que de rechercher avec une attention scrupuleuse tous les faits qui pourroient répandre un nouveau jour sur la nature d'une controverse qui a excité de si violents débats entre deux grands hommes.

On a également le droit d'attendre de lui une disposition sincère à rétracter les erreurs ou les méprises

dont il auroit pu involontairement se rendre coupable. Nous pouvons protester avec vérité, que telle est la disposition que nous avons apportée en entrant dans le récit de cette époque de la vie de Bossuet.

Nous l'avouons ici avec franchise. Entraîné par notre tendre vénération pour l'un des plus beaux caractères qui aient honoré l'humanité, peut-être nous ne nous sommes pas assez pénétré, en écrivant l'histoire de Fénélon, des graves considérations qui imposoient à Bossuet le devoir d'attacher tant d'intérêt aux conséquences de la doctrine de l'archevêque de Cambrai.

On s'est trop accoutumé à regarder l'objet de cette controverse comme une question subtile, peu digne d'exercer le génie de ces deux grands hommes. Mais le point de vue sous lequel Bossuet l'a envisagé, découvre les justes motifs qui l'excitèrent à montrer tant de chaleur contre les maximes de son adversaire.

Que nous aurions été heureux, si nous avions trouvé dans les nouvelles recherches auxquelles nous nous sommes livré, quelques faits nouveaux et inconnus, propres à adoucir l'impression qu'a laissée dans tous les cœurs la correspondance de Bossuet et de son

neveu.

Nous avons parcouru avec le sentiment le plus désintéressé et la sollicitude la plus minutieuse tous les papiers de Bossuet et de son secrétaire. Nous y avons inutilement cherché tout ce qui auroit pu nous accuser; nous avons au moins recueilli quelques circonstances favorables, dont nous avons été heureux de faire usage.

On peut nous en croire; rien n'auroit égalé la satisfaction que nous eussions éprouvée à laisser à Bossuet les honneurs d'une victoire exempte de toute espèce de nuage.

Nous sommes loin de nous étonner des regrets qu'a pu faire naître le récit de quelques circonstances affligeantes de cette controverse. Ces regrets sont un nouveau titre pour Bossuet; il semble que sa gloire appar

tienne à la religion elle-même; et Bossuet est si grand dans l'imagination, qu'on ne peut consentir à voir un tel homme se montrer homme une seule fois dans sa vie.

Mais quelle opinion faudroit-il donc avoir de ceux qui oseroient se faire un titre contre lui, de l'excès de chaleur qu'il a pu montrer dans une cause où les maximes du christianisme pouvoient être essentiellement compromises, et qui oublieroient en un moment tant de services rendus à la religion, tant de vertus, tant de monuments qui honoreront à jamais son zèle et son génie.

Ce seroit se former une opinion bien chimérique d'un grand homme, que de le croire supérieur à toutes les foiblesses, dont nul homme n'a jamais été entièrement exempt.

On ne nous demandera pas sans doute de revenir sur l'origine et les progrès d'une controverse dont nous avons exposé avec étendue tous les détails dans l'Histoire de Fénélon. L'affaire du quiétisme a rempli, pour ainsi dire, la vie entière de Fénélon, en troublant son bonheur et sa tranquillité. Elle n'est qu'un épisode dans l'histoire de Bossuet, dont la longue carrière est marquée par tant de monuments qui ont immortalisé

son nom.

VI.- Réflexions sur la nature de la controverse du quiétisme.

On a paru quelquefois attacher assez peu d'importance à la controverse du quiétisme. On a même aujourd'hui de la peine à concevoir que des hommes de génie, tels que Bossuet et Fénélon, que la cour et le siècle de Louis XIV, aient pu y apporter tant de chaleur et d'intérêt.

Cette facile et dédaigneuse indifférence, ou, si l'on veut, cette méprise involontaire, tient en grande partie à ce que les circonstances où naquit cette controverse n'ont laissé que de foibles traces dans la mémoire, et encore plus peut-être, à ce que l'on a négligé de se

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