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»> une fois, monseigneur, si peu que vous doutiez de » ma docilité sans réserve, essayez - la sans m'épar»gner. Quoique vous ayez l'esprit plus éclairé qu'un >> autre, je prie Dieu qu'il vous ôte tout votre esprit, » et qu'il ne vous laisse que le sien. »

Bossuet n'avoit cru devoir répondre à aucune des lettres de Fénélon. Occupé jusqu'alors de travaux plus importants pour la religion, presque tous les auteurs mystiques, à l'exception de saint François de Sales et de sainte Thérèse, lui étoient inconnus. Engagé, malgré lui, dans l'examen des livres de madame Guyon, il vouloit étudier cette matière avec attention; et il s'étoit interdit de rien écrire dans un sens, ou dans un autre, dont on pût tirer avantage, jusqu'à ce qu'il se jugeât fondé à s'expliquer avec la conviction nécessaire pour donner à son opinion toute l'autorité qu'elle devoit avoir.

L'article principal sur lequel Fénélon provoquoit sa décision, étoit celui de l'Amour désintéressé.

L'Eglise n'avoit encore prononcé aucun jugement sur cette question; et quoique Bossuet ne goutât point ce sentiment, il étoit arrêté par l'exemple et l'autorité de plusieurs Pères, de quelques saints dont l'Eglise a canonisé les vertus, et d'un grand nombre de théologiens qui s'étoient montrés favorables à la doctrine du pur amour.

C'est ce que l'on croit reconnoître dans une lettre 1 de Fénélon à Bossuet lui-même. «Quoique mon opinion » sur l'amour pur et sans intérêt propre ne soit pas » conforme à votre opinion particulière, vous ne lais>> sez pas de permettre un sentiment qui est le plus » commun dans toutes les écoles, et qui est manifes>>tement celui des auteurs que je cite. »>

Pendant les conférences d'lssy, Fénélon avoit été nommé à l'archevêché de Cambrai 2; et il fut alors admis à ces conférences. On sait comment elles se termi

Du 28 juillet 1694, Œuvres de Bossuet, tom. xI. p. 477 et suiy. ? Le 8 février 1695.

nèrent. On présenta à Fénélon trente articles à signer. Il répondit «< qu'il étoit prèt à les souscrire par défé»rence, parce qu'il les croyoit véritables; qu'il les >> trouvoit seulement insuffisants pour lever certaines équivoques. Au bout de deux jours on lui commu»> niqua l'addition de quatre articles qu'on intercala » avec les trente déjà proposés, et il déclara que, » dès ce moment, il étoit prêt à les signer de son >> sang. >>

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*

Parmi ces articles, le xxxne l'un de ceux que l'on avoit ajoutés à la demande de Fénélon, sembloit au moins tolérer la doctrine de l'amour désintéressé.

Aussi l'évêque de Mirepoix (La Broue), dont Bossuet estimoit la science et aimoit la personne, lui en marqua-t-il son étonnement.

La réponse de Bossuet mérite une attention particulière.

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« J'ai bien pensé, écrit Bossuet (24 mai 1695), au >> xxx article; et je le trouve en tant de livres approuvés, que je n'ai pas cru qu'on pût le révoquer en » doute. L'exemple de faire des actes sur des suppo»sitions fausses est venu de Moïse et de saint Paul. >> Les interprétations de saint Chrysostome et de Théo» doret sont formelles pour ce genre d'actes, et il m'a » paru que la chose n'a besoin que de l'imitation, » comme j'ai fait...... Cet acte est de plusieurs auteurs » très-approuvés, et notamment de saint François de » Sales en plusieurs endroits. Il est marqué comme

Réponse à la Relution sur le quiétisme.

On peut aussi inspirer aux àmes pieuses et vraiment humbles >> une soumission et un consentement à la volonté de Dieu, quand » même, par une très-fausse supposition, au lieu des biens éternels » qu'il a promis aux justes, il les tiendroit, par son bon plaisir, dans » des tourments éternels, sans néanmoins qu'elles soient privées de sa » grace et de son amour, qui est un acte d'abandon parfait, et d'un » amour pur pratiqué par des saints, et qui le peut être utilement avec » une grâce très- particulière de Dieu par les âmes vraiment parfaites, » sans déroger toutefois à l'obligation des autres actes que nous avons » marqués comme essentiels au christianisme. » Article. XXXIIIe

» un acte d'une grande perfection dans sa vie par » M. d'Evreux 1.

1

» Je demande en quoi cette proposition diffère de >> celle-ci : Il vaudroit mieux souffrir toutes les peines » d'enfer dans toute l'éternité, que de faire un péché » mortel ou véniel. Celle-ci est pourtant incontestable; » donc l'autre, qui ne fait que s'y conformer, le doit >> être aussi.

» D'ailleurs, la doctrine introduite dans l'école fait >> consister la charité dans la volonté d'aimer Dieu, quand on ne devroit jamais parvenir par là à aucune » sorte de béatitude. Or cette proposition enferme visi» blement l'autre. »

>>

L'adhésion de Bossuet à ce xxx article, et les raisons même dont il l'appuie, annonçoient de sa part le désir sincère de se rapprocher des sentiments de Fénélon, autant que la vérité et la précision théologique pouvoient le lui permettre.

Cette sorte de rapprochement dans les opinions paroissoit ne plus laisser craindre à Fénélon aucun retour aux préventions qu'il lui avoit supposées sur cette matière, et la signature des articles d'Issy calma les inquiétudes de tous ceux qui prenoient le plus tendre intérêt à la réputation de Fénélon.

On étoit même si persuadé de sa droiture, qu'on n'avoit pas attendu qu'il eût signé les articles d'Issy, pour l'élever à l'un des premiers siéges de l'Eglise de France.

L'empressement que mit Bossuet à être, avec l'évêque de Chalons 2, le consécrateur du nouvel archevêque de Cambrai, devenoit, dans les circonstances, une espèce de témoignage public du parfait accord de sentiments et de principes de tous les prélats qui avoient été mêlés à cette affaire.

Enfin, la satisfaction que montra Bossuet de la conduite de madame Guyon pendant les six mois qu'elle passa sous sa surveillance dans le couvent de la Visita

3 Henri de Maupas.

Depuis cardinal de Noailles.

tion de Meaux, et le certificat favorable qu'il crut pouvoir lui donner, achevèrent de rendre le calme et la sécurité à tous ceux qui avoient vu à regret ces divisions naissantes.

IX.-Mort de M. de Harlay, archevêque de Paris. 1695.

Vers cette époque, il arriva un changement important dans l'Eglise de France.

La mort de M. de Harlay fit vaquer l'archevêché de Paris le 6 août 1695. Le choix de Louis XIV paroissoit ne devoir se fixer que sur l'un des trois prélats de son royaume, que leur considération, leurs vertus et la voix publique appeloient à la première place de l'Eglise gallicane, Bossuet, Fénélon, et M. de Noailles, évêque de Châlons.

Fénélon se trouvoit en quelque sorte exclu par sa nomination récente à l'archevêché de Cambrai, et plus encore par les nuages et les soupçons qui s'étoient élevés sur sa doctrine. Madame de Maintenon voulut consulter M. Hébert, curé de Versailles, depuis évêque d'Agen, en qui elle avoit une confiance particulière, sur le choix du successeur que le Roi devoit donner à M. de Harlay. La réponse de M. Hébert laissa entrevoir la préférence qu'il auroit donnée à Fénélon. « Mais >> vous savez, interrompit madame de Maintenon, ce » qui nous empêche de le proposer. M. de Meaux et >> M. de Châlons nous restent; et à qui des deux vous ar>> rêteriez-vous? >>

Le vœu de madame de Maintenon étoit déjà fixé, lorsqu'elle affectoit cette espèce d'indécision entre Bossuet et l'évêque de Châlons. La vertu, la douceur, la modestie de M. de Noailles, la considération dont sa famille jouissoit à la cour, et le dessein qu'elle avoit déjà formé de s'unir encore plus étroitement à la maison de Noailles, en donnant mademoiselle d'Aubigné, sa nièce, au jeune comte d'Ayen, la déterminèrent à proposer l'évêque de Châlons pour l'archevêché de Paris; mais elle eut à combattre la modestie de M. de Noailles lui

même, qui sembloit pressentir les chagrins et les contradictions qui lui étoient réservés. Ce ne fut qu'après la plus vertueuse résistance, qu'il consentit à devenir archevêque de Paris. On n'attendit pas même son consentement pour le nommer à cette grande place.

Pendant cette courte vacance, qui ne dura que douze jours, Bossuet étoit à sa maison de campagne de Germigny. On peut connoître ses sentiments et ses dispositions par l'admirable réponse qu'il fit à madame d'Albert de Luynes, religieuse à Jouarre. Elle auroit voulu que le Roi eût nommé Bossuet à l'archevêché de Paris, et que ce prélat l'eût refusé. «Il y a toute apparence, lui >> répondit Bossuet, et même toute certitude que Dieu >> par sa miséricorde, autant que par sa justice, me » laissera dans ma place. Quand vous souhaitez qu'on » m'offre et que je refuse, vous voulez contenter la va»> nité; il vaut mieux contenter l'humilité. Il n'y a plus à douter, malgré tant de vains discours des >> hommes, que selon tous mes désirs, je ne sois en» terré aux pieds de mes saints prédécesseurs, en tra» vaillant au salut du troupeau qui m'est confié. »

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Très-peu de jours après la nomination de M. de Noailles à l'archevêché de Paris, Louis XIV, par un brevet du 28 août 1695, nomma Bossuet à la place de supérieur du collége de la maison de Navarre, que la mort de M. de Harlay venoit également de laisser vacante. Les docteurs de la maison de Navarre avoient déjà exprimé le désir de voir Bossuet à leur tête à l'époque de la mort de M. de la Mothe - Houdancourt archevêque d'Auch, et supérieur de Navarre; mais le crédit et l'amitié de Colbert firent donner la préférence à M. de Harlay.

X.- Imprudences de madame Guyon.

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Ce fut précisément dans ces circonstances, que ma

Henri de la Mothe-Houdancourt, d'abord évêque de Rhodez, et ensuite archevêque d'Auch en 1662, grand aumônier de la reine Anne d'Autriche, mourut en 1684.

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