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dame Guyon, qui avoit déjà contribué à répandre de l'amertume sur l'existence jusqu'alors si douce et si heureuse de Fénélon, acheva par son indiscrétion de l'entraîner avec elle dans un abime de malheurs.

A peine cette femme inconsidérée fut-elle sortie du couvent de Meaux, qu'au lieu de se retirer à la campagne, comme elle en avoit pris l'engagement avec Bossuet, elle vint se cacher mystérieusement dans un faubourg de Paris, et affecta de répandre des copies du certificat de Bossuet, comme la preuve la moins équivoque de la pureté de sa doctrine et de sa conduite.

Un certificat suppose à la vérité le droit d'en faire usage. Ainsi madame Guyon pouvoit se parer de ce témoignage honorable, pour repousser les accusations personnelles qu'on auroit portées contre elle. Mais le certificat de Bossuet se bornoit à excuser ses intentions, et confirmoit les censures qu'il avoit déjà portées contre ses écrits. Présenter un pareil acte comme un témoignage de l'approbation que Bossuet accordoit à sa doctrine, c'étoit l'obliger à s'en déclarer encore plus hautement l'adversaire.

Bossuet fut vivement affecté de cette espèce de duplicité d'une femme qui se donnoit pour l'apôtre et le modèle de la simplicité chrétienne, et qui se disoit résignée à toutes les humiliations et à toutes les injustices des hommes.

Telle est la véritable époque où Bossuet, qui lui avoit montré jusqu'alors les plus grands égards, en considération des amis respectables qu'elle avoit su se faire à la cour, se déclara ouvertement contre elle.

Madame Guyon échappa longtemps aux recherches qu'on faisoit de sa personne; elle fut enfin arrêtée vers la fin de décembre 1695. L'approbation éclatante que Bossuet donna à cet acte d'autorité, permet de croire qu'il l'avoit lui-même provoqué*. Ce coup fut le plus sensible pour Fénélon, qui avoit la plus haute opinion de la vertu et de la piété de madame Guyon, *Voyez la lettre de madame de Mainten ou au cardinal de Noailles.

et acheva de rompre les liens qui l'unissoient encore à Bossuet.

Mais ce qui établit entre eux cette opposition constante dont les suites furent si déplorables, fut la résolution annoncée par Fénélon de refuser son approbation à l'ouvrage de Bossuet sur les Etats d'oraison.

Nous avons rapporté dans l'Histoire de Fénélon le Mémoire qu'il présenta à madame de Maintenon pour justifier son refus. Ce Mémoire, qu'il avoit soumis à l'examen et à l'approbation du cardinal de Noailles, de l'évêque de Chartres, de M. Tronson, des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, offroit en effet des considérations si plausibles, que madame de Maintenon parut elle-même persuadée que Fénélon pouvoit se dispenser de donner son approbation au livre de Bossuet. On peut croire que si cette approbation étoit de convenance, elle n'étoit pas d'une nécessité absolue. On verra bientôt le cardinal de Noailles lui-même proposer à Bossuet de renoncer à publier son livre des Etats d'oraison.

Cependant un grand nombre de personnes blâmèrent le refus de Fénélon; et les suites malheureuses qui en résultèrent, peuvent faire regretter qu'il n'ait pas montré en cette occasion un peu plus de condescendance.

XI.- Fénélon refuse d'approuver le livre de Bossuet.

Fénélon, disoit-on, savoit que le cardinal de Noailles et l'évêque de Chartres devoient donner leur approbation à cet ouvrage. Il ne pouvoit certainement douter qu'un ouvrage qui avoit coûté dix-huit mois de travail à Bossuet, ne fût digne de ce grand homme, et ne dût mériter l'estime et l'adhésion de ses collègues dans l'épiscopat. Le parfait concert que son approbation auroit annoncé entre les quatre prélats qui étoient alors les plus remarqués dans l'Eglise de France, auroit mis le dernier sceau à l'heureux dénouement des conférences d'Issy.

Fénélon prétendoit justifier son refus sur ce qu'en parcourant rapidement le manuscrit de Bossuet, il avoit reconnu que plusieurs maximes de madame Guyon dont les écrits se trouvoient cités à la marge, y étoient qualifiées avec une extrême rigueur, et que l'estime et l'amitié dont il faisoit profession pour elle, ne lui permettoient pas de souscrire lui-même à sa condamnation.

Mais un pareil motif paroissoit à Bossuet peu digne d'un évèque tel que Fénélon. Les considérations personnelles d'estime et d'amitié devoient, selon lui, s'évanouir en présence des intérêts plus pressants de la religion. D'ailleurs Bossuet avoit eu la délicatesse et l'attention de ne pas nommer madame Guyon. Il s'étoit borné à citer les propositions extraites de ses écrits, et Fénélon convenoit lui-même et déclara hautement dans la suite que plusieurs maximes de madame Guyon étoient censurables. Il ne s'attachoit qu'à excuser ses intentions, et rien dans l'ouvrage de Bossuet n'accusoit les intentions de madame Guyon.

On ne peut se faire une idée de l'étonnement, et il faut le dire, de l'espèce d'irritation que ce refus causa à Bossuet, qu'en rapportant ses propres expressions : « Tout le monde va donc voir que M. de Cambrai est >> le protecteur de madame Guyon! Ce soupçon, qui le » déshonoroit dans le public, va donc deviner une >> certitude! Quel scandale! quelle flétrissure! »

Il est donc à présumer que si Fenélon cût donné ce témoignage de déférence à Bossuet, ce prélat en eût été aussi touché que flatté. Madame de La Maisonfort, amie de Fénélon, écrivoit à Fénélon lui-même peu de temps après la mort de Bossuet : « M. de Meaux me >> paroissoit encore touché, monseigneur, de ce que >> vous lui aviez renvoyé son livre des Etats d'oraison » sans lui en dire votre sentiment. M. de Cambrai, me » dit-il un jour avec émotion, n'avoit qu'à m'indi» quer seulement ce qu'il improuvoit dans cet ouvrage; »j'y aurois volontiers changé plusieurs choses pour » avoir l'approbation d'un homme comme lui, »>

Le cardinal de Noailles alloit encore plus loin. Sincèrement attaché à Fénélon, il prévoyoit avec douleur toutes les suites fâcheuses du démêlé prêt à éclater entre l'archevêque de Cambrai et l'évêque de Meaux; il fit longtemps tout ce qui étoit en son pouvoir pour le prévenir, et Bossuet rapporte : « Que d'abord1 la pré>>vention de M. de Noailles alloit jusqu'à lui proposer » de supprimer son Instruction sur les Etats d'oraison, » qu'on achevoit d'imprimer lentement au commen>> cement de 1697; à quoi M. de Meaux n'avoit pu con» sentir en considération de l'importance de la matière, >> si nécessaire alors dans le besoin pressant de l'E>> glise; que pour le publier, il n'avoit besoin de per» sonne, et qu'il étoit résolu de le faire. »>

Fénélon n'étoit parvenu à faire agréer à madame de Maintenon, au cardinal de Noailles et à l'évêque de Chartres son refus d'approuver l'ouvrage de Bossuet, qu'en prenant l'engagement de s'expliquer lui-même d'une manière assez exacte et assez satisfaisante pour ne laisser aucun nuage sur la pureté de sa doctrine.

Cet engagement, si l'on en juge par l'événement, fut la cause malheureuse de toutes les controverses qui s'agitèrent depuis entre Bossuet et Fénélon avec un éclat si affligeant.

Cependant Fénélon paroît avoir été convaincu de si bonne foi qu'il n'existoit aucune différence essentielle d'opinion entre Bossuet et lui, qu'il écrivoit à madame de Maintenon: « On ne doit pas craindre que je » contredise M. l'évêque de Meaux. J'aimerois mieux >> mourir, que de donner au public une scène si scan» daleuse. Je ne parlerai de lui que pour le louer et >> que pour me servir de ses paroles. Je sais parfaitement >> ses pensées, et je puis répondre qu'il sera content » de mon ouvrage, quand il le verra avec le public. »

On doit même convenir que Fénélon paroît avoir rempli tout ce que le devoir et la sagesse lui prescrivoient, pour ne rien exprimer dans l'exposé de ses sen

1 Mts. de Ledieu.

timents, qui ne fût conforme à la doctrine de l'Eglise. Il soumit l'examen du manuscrit de son ouvrage au cardinal de Noailles et à ses théologiens1; à M. Pirot, particulièrement attaché à Bossuet, et qui étoit le censeur habituel de tous les ouvrages de doctrine; à M. Tronson, généralement estimé par sa vertu, sa șagesse et son expérience dans les matières de spiritualité.

Se confiant en l'approbation verbale que ces différents théologiens avoient paru donner à son ouvrage, Fénélon partit pour Cambrai, et se reposa sur le duc de Chevreuse, son ami, du soin de le faire imprimer.

XII, Fénélon publie le livre des Maximes des saints. 1697.

Le livre des Maximes des saints parut à fin de janvier 1697. Le duc de Beauvilliers en fit remettre un exemplaire à Bossuet le jour même qu'il venoit de le présenter au Roi au nom de Fénélon, qui étoit encore dans son diocèse.

Il étoit assez naturel que Bossuet portât dans l'examen de cet ouvrage l'attention la plus sévère. Quoique Fénélon eût déclaré qu'il n'avoit refusé son approbation au livre de M. de Meaux, qu'à cause de l'atteinte qu'il paroissoit porter à la réputation de madame Guyon, dont il estimoit la vertu et la piété, Bossuet se croyoit fondé à penser que la conformité des opinions étoit le véritable motif de son refus.

Ce fut dans cette disposition qu'il lut le livre des Maximes des saints. Les rêveries de madame Guyon n'avoient excité que sa pitié; les principes de Fénélon alarmèrent sa religion.

Le livre des Maximes des saints étoit un ouvrage dogmatique. Le nom, le caractère, et la réputation de son auteur pouvoient lui donner une grande autorité. Plus Fénélon avoit apporté d'attention à écarter tout ce que la doctrine de Molinos avoit d'odieux et de révoltant, plus les maximes qu'il en avoit conservées, quelque

2 MM. Beaufort et Boileau.

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