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adoucies qu'elles parussent, pouvoient avoir des conséquences dangereuses par la piété même dont elles étoient empreintes.

Bossuet resta encore deux jours à Versailles après avoir reçu le livre de l'archevêque de Cambrai, sans voir personne, sans en parler à personne, pour éviter de prévenir le jugement du public.

« Il revint ensuite à Paris 1; il persista encore quinze >> jours entiers dans le même silence à l'égard du roi >> et de tous ses meilleurs amis, et affecta de demeurer » à Paris, lisant cependant le livre avec une grande >> attention. Dès les premières lectures, il en avoit >> chargé les marges de coups de crayon, aux mêmes » endroits qu'il en a depuis repris, avec tant de raison. >> J'écrivois sous lui, continue l'abbé Ledieu, quatre ou >> cinq matinées, deux heures chaque séance, l'extrait >> des propositions citées par pages et par lignes avec >> les raisons sommaires de réfutation. C'est le premier >> essai et le fondement de tous les écrits de M. de >> Meaux qui ont suivi depuis. >>

Pendant cette espèce de retraite de Bossuet à Paris, M. de Pontchartrain, depuis chancelier de France, alors ministre et secrétaire d'état, crut devoir parler au roi de la réclamation qui s'élevoit de toutes parts contre le livre des Maximes des saints.

L'archevêque de Reims, plus emporté dans ses manières et dans ses sentiments*, remplissoit Versailles de ses déclamations contre le livre et contre l'auteur, pour lequel il avoit autant d'éloignement, qu'il avoit d'estime et de vénération pour Bossuet.

Louis XIV ignoroit tout ce qui s'étoit passé depuis les conférences d'Issy. Madame de Maintenon avoit cru devoir lui en faire un mystère, dans l'espérance qu'elle avoit toujours conservé de voir les évêques qui

1 Manuscrits de Ledicu.

« M. de Reims fit un grand éclat ; il avoit une grande passion d'ètre » chargé de poursuivre la censure de M. de Cambrai, avec lequel » d'ailleurs il ne gardoit aucune mesure. » Mts. de Ledieu.

avoient le plus de part à sa confiance, finir par se concilier et s'entendre. Ce prince, dans l'étonnement où il étoit d'apprendre que le précepteur de ses petits-fils professoit une doctrine dangereuse, dut être encore plus effrayé, lorsque Bossuet, dont l'opinion devoit faire tant d'impression sur son esprit, « vint lui demander >> pardon de ne lui avoir pas révélé plus tôt le fanatisme » de son confrère. »

Il fant ici plaindre le grand homme, qui a pu laisser échapper une si terrible expression contre un confrère respectable par tant de vertus. Pouvoit-on accuser de fanatisme un archevêque qui avoit été le premier à soumettre sa doctrine à l'autorité du saint Siége, et à promettre l'obéissance la plus entière à son jugement? Un livre que l'auteur avoit présenté avec confiance à l'examen du cardinal de Noailles et de ses théologiens, et qui avoit reçu les plus grands éloges du théologien de Bossuet lui-même (M. Pirot), pouvoit-il mériter une telle qualification avant même d'avoir été jugé et condamné par l'autorité suprême ?

Cependant Fénélon, averti du déchaînement que la publication de son livre avoit excité à Paris et à la cour, étoit revenu de Cambrai à Versailles.

Il ne pouvoit s'expliquer à lui-même comment un ouvrage qu'il avoit soumis à l'examen des censeurs les moins suspects de prévention pour lui, étoit tout-àcoup en butte aux plus violentes contradictions.

Mais avec un peu moins de prévention pour ses propres idées, ou un peu moins de déférence pour le duc de Chevreuse son ami, il auroit pu observer que la seule proposition *, insérée sans sa participation dans

Réponse de Fénélon à la Relation du quiétisme.

Cette proposition, la x111o parmi les xx111 qui furent condamnées, portoit La partie inférieure de Jésus-Christ sur la croix ne communiquoit pas à la supérieure son trouble involontaire Fénélon a toujours désavoué et condamné cette proposition. Il a toujours protesté qu'elle ne se trouvoit qu'à la marge de son manuscrit, et non dans le corps du texte original; qu'il ne l'avoit même placée à la marge, que parce qu'elle devoit donner lieu à une addition qu'il se

son ouvrage, avoit dû paroître au public une erreur pernicieuse; que cette proposition n'avoit point été approuvée par les théologiens du cardinal de Noailles, et que cette seule considération auroit dû suffire pour l'inviter à supprimer cette édition de son livre, et désavouer hautement une erreur dont le duc de Chevreuse seul étoit coupable.

Tandis que l'opinion publique s'expliquoit d'une manière aussi éclatante contre le livre des Maximes des saints, Bossuet publia, au mois de mars 1697, son Instruction sur les Etats d'oraison, environ six semaines après que l'ouvrage de Fénélon eut paru. Il étoit revêtu de l'approbation du cardinal de Noailles et de l'évêque de Chartres.

XIII.-Bossuet publie son Instruction sur les Etats d'oraison. Mars 1697.

On put prévoir dès lors, par la manière dont furent accueillis dans le public l'ouvrage de Bossuet et celui de Fénélon, quelle seroit l'issue du grand combat qu'ils étoient prêts à se livrer.

Bossuet avoit suivi dans l'étude des voies intérieures, connues sous le nom des Etats d'oraison, une marche absolument différente de celle qui avoit égaré Fénélon; et cette marche étoit bien plus sûre.

Fénélon, séduit par l'attrait d'un système de perfection qui éblouissoit son imagination, avoit concentré toutes ses études sur cette matière dans les auteurs mystiques.

Bossuet, au contraire, avoit observé que cette doctrine si raffinée sur la spiritualité n'étoit qu'une science moderne, qui ne remontoit qu'à quatre ou cinq cents

proposoit de faire, pour une plus grande précaution, et que le duc de Chevreuse, chargé en son absence de diriger l'impression de son livre, l'avoit fait inserer dans le texte même de son ouvrage, par une méprise involontaire. C'est ce que Fénélon a constamment déclaré, et qu'il a même consigné dans son testament, longtemps après la condamnation de son livre, et son adhésion au jugement qui le condamnoit.

ans; qu'elle avoit été inconnue à presque tous les anciens Pères de l'Eglise, et aux siècles qui les avoient immédiatement suivis; qu'elle ne pouvoit en conséquence constituer la véritable perfection chrétienne, enseignée par Jésus-Christ, transmise par les apôtres, consacrée par les Pères, recommandée par l'Eglise.

Il s'étoit attaché à remonter aux véritables sources de toute doctrine, l'Ecriture et la tradition. Il savoit que c'étoit à elles seules qu'on devoit tout ramener en religion et en théologie; que tout ce qui s'en écarte dans l'expression, ne peut recevoir une interprétation favorable, que lorsque la bonne foi et une disposition sincère à se soumettre au jugement de l'Eglise permettent de rectifier l'inexactitude des expressions par la vérité non équivoque des sentiments et des intentions; mais que tout ce qui est évidemment contraire à l'Ecriture, à la tradition et à l'esprit du christianisme, doit être hautement proscrit et condamné.

Fénélon, trop porté peut-être, par le genre de son esprit, aux abstractions métaphysiques, dont on retrouve si souvent le langage et les formes dans son système de spiritualité, avoit oublié que la simplicité de la religion chrétienne résiste à tous les raffinements dont la subtilité est inaccessible à la plus grande partie des hommes, et que le christianisme, en plaçant l'espérance au nombre de ses vertus fondamentales, invite non-seulement tous les chrétiens à attendre leur bonheur éternel de la bonté divine, mais leur prescrit de le désirer pour eux-mêmes, et pour se conformer à l'ordre des desseins de Dieu.

Il sentit lui-même, dans la suite de ses discussions avec l'évêque de Chartres, que son système paroissoit au moins porter quelque atteinte à l'espérance chrétienne; et il essaya d'étayer cette partie chancelante de son édifice mystique par des distinctions très-subtiles sur les motifs et les objets spécifiques de l'espérance; mais la nécessité où il se vit d'avoir recours à ces efforts d'esprit et d'imagination, auroit dû l'avertir qu'il étoit

aussi inutile que dangereux de transformer des commandements positifs, prescrits à tous les chrétiens, en des précisions métaphysiques, et d'enseigner comme le beau idéal de la perfection chrétienne, un état auquel il n'a peut-être été donné à personne d'arriver pendant le cours de cette vie-mortelle et passagère.

L'ouvrage de Bossuet et celui de Fénélon n'étoient pas moins opposés pour la forme que pour le fond.

Celui de Bossuet offroit un tableau historique trèscurieux de l'origine et des progrès de la doctrine des auteurs mystiques. Il montroit comment leur piété avoit souvent surpris et égaré leur jugement. S'il se permettoit de sourire quelquefois de leurs pieux excès et de leurs amoureuses extravagances, il excusoit ct justifioit leurs intentions; il rectifioit ce qui avoit pu leur échapper de peu exact, ou de répréhensible, par d'autres passages où ils s'exprimoient d'une manière plus conforme aux véritables maximes du christianisme. Il attribuoit leurs méprises à l'espèce d'indifférence avec laquelle l'Eglise avoit considéré ces édifiantes spéculations renfermées longtemps dans l'obscurité des cloitres, et qui n'avoient eu jusqu'alors aucune influence dangereuse sur la morale.

Bossuet avoit surtout mis beaucoup d'art à écarter de saint François de Sales, de sainte Thérèse, et du bienheureux Jean de la Croix, le soupçon d'avoir partagé des sentiments qui auroient mérité la censure de l'Eglise. Il donnoit à leurs expressions, quelquefois exagérées, toutes les interprétations que sollicitoient la sainteté de leur vie et la pureté incontestable de leurs intentions. L'abus qu'on prétendoit faire de leur autorité, lui recommandoit de laisser leur mémoire à l'abri de tout reproche et de prévenir les inductions indiscrètes qu'on auroit cherché à appuyer de la faveur de leur nom. Mais il ne craignoit pas de les abandonner, lorsqu'il ne pouvoit entièrement les défendre, et se bornoit à les justifier par le silence que l'Eglise avoit gardé jusqu'alors sur cette matière.

II.

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