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Aussitôt que le pape eut nommé des examinateurs pour émettre leur opinion sur le livre de l'archevêque de Cambrai, on vit commencer entre Bossuet et Fénélon ce combat d'écrits qui se succédèrent pendant dixhuit mois avec la plus étonnante rapidité, mais qui, selon la sage réflexion du chancelier d'Aguesseau affligèrent l'Eglise par « la division de deux hommes >> dont l'union lui auroit été aussi glorieuse qu'utile, s'ils » avoient su tourner contre ses ennemis les armes >> qu'ils employoient l'un contre l'autre. »>

XV.- Des différents écrits de Bossuet.

Bossuet avoit été un peu gêné dans la rédaction de la Déclaration par la déférence qu'il avoit cru devoir à ses deux collègues. Devenu le maître d'exprimer avec plus de liberté ses sentiments, lorsqu'il parloit en son propre nom, il composa un écrit sous le titre de Sommaire de la doctrine du livre de l'Explication des Maximes des saints 1. I le publia en latin et en françois, et il chargea son neveu de le présenter en son nom au Pape ét aux cardinaux.

Son objet étoit de prouver « que les maximes de ce » livre, dans les endroits clairs et intelligibles, sont, » pour la plupart, fausses, dangereuses et mauvaises » par leur fin; dans les endroits obscurs et embar>> rassés, elles sont suspectes et induisantes à l'erreur. » H le termine, en disant :

« Je supplie l'auteur de regarder cet écrit, tel quel, » avec un esprit d'équité, en considérant ce que je dois » dire, plutôt que ce qui lui seroit agréable. Je me » réjouis de ce qu'il s'est soumis, lui et son livre, au >> saint Siége apostolique, et j'espère que le souverain >> pontife tranchera les nœuds, réprimera une sagesse, » qui, en s'élevant, s'en va en fumée; et que, pour >> achever le triomphe de la vérité sur le Quiétisme, » déjà abattu par l'autorité de ses prédécesseurs, il efOEuvres du chancelier d'Aguesseau, tom, XIII. -Euvr. de Bossuet, t. ix. p. 306 et suiv.

» facera les couleurs et le fard sous lequel on le dé>> guise. >>

Ce premier ouvrage de Bossuet fut immédiatement suivi d'un recueil de divers écrits, ou mémoires concernant le livre de l'Explication des Maximes des saints 1.

Bossuet y exposoit les principales erreurs qu'il reprochoit à Fénélon, telles que celles de reconnoître comme le plus parfait amour de Dieu, celui où l'on détache le motif du salut et le désir de sa propre béatitude; de supposer qu'il est permis de se livrer au désespoir, et que c'est même une perfection d'être prêt à faire le sacrifice de son salut éternel.

Bossuet rendoit ensuite compte de ce qui s'étoit passé à l'archevêché au sujet des conférences. Il se justifioit de l'intention qu'on lui supposoit de vouloir détruire la véritable oraison, expliquoit le sens de différents passages de saint François de Sales, que Fénélon alléguoit en faveur de son système; il établissoit enfin des principes pour l'intelligence des Pères, des scolastiques, et des auteurs mystiques.

Bossuet réunit à ce recueil d'écrits un ouvrage encore plus étendu, sous le titre de Préface sur l'Instruction pastorale de M. l'archevêque de Cambrai, du 15 septembre 16972.

Il est impossible de méconnoître dans cet ouvrage, comme dans tous ceux de Bossuet, ce génie unique et inimitable, qui trouvoit toujours le moyen de répandre la chaleur et la vie sur les sujets qui paroissoient les plus étrangers aux grands mouvements de l'éloquence.

Après avoir montré que Fénélon n'avoit pris que dans son esprit le système de théologie qu'il proposoit, Bossuet finissoit par dire :

« Résistons donc de toutes nos forces à cette auda>> cieuse théologie, qui, sans principes, sans autorité, >> sans utilité, met en péril la simplicité de la foi. Ne >> nous laissons point éblouir par des paroles spécieuses. 1Œuvres de Bossuet, t. ix. p. 368 et suiv. 2 Ibid., p. 318 et suiv.

>> Ici les ménagements seroient dangereux. Plus on se >> cache, plus il faut percer les ténèbres souvent affec»tées; plus l'erreur s'enveloppe et se replie, pour >> ainsi parler, en elle-même, plus il la faut mettre au >> jour. >>

Et dédaignant les vaines imputations qu'on affectoit de répandre sur ses motifs et sur ses procédés, Bossuet dit avec une noble fierté :

Quant à ceux qui ne peuvent se persuader que >> le zèle de défendre la vérité soit pur et sans vue hu>> maine, ni qu'elle soit assez belle pour l'exciter toute » seule, ne nous fâchons point contre eux. Ne croyons >> pas qu'ils nous jugent par une mauvaise volonté, et après tout, comme dit saint Augustin, cessons de »> nous étonner qu'ils imputent à des hommes des dé>> fauts humains. >>

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Bossuet n'ignoroit pas que son opinion, si fortement prononcée contre la charité désintéressée, pouvoit blesser le sentiment de quelques personnes estimables, qui aimoient à nourrir leur piété des plus sublimes idées de la perfection chrétienne, et qui, sans partager les opinions dangereuses des quiétistes modernes, auroient vu avec peine qu'on eût dévoué au mépris le auteurs mystiques approuvés dans l'Eglise.

Il savoit également que, parmi les corps réguliers, il en étoit qui n'auroient jamais consenti qu'on eût porté la plus légère atteinte à la doctrine de sainte Thérèse, et du bienheureux Jean de la Croix. Ce fut pour dissiper leurs inquiétudes qu'il composa son traité Mystici in tuto, où il professoit le plus grand respect pour les maximes de la bonne et saine spiritualité.

Un motif du même genre l'invita à rassurer les scholastiques, qui se refusoient à admettre la partie de sa doctrine où on lui reprochoit de confondre le motif spécifique de l'espérance avec celui de la charité. Ce fut l'objet de son traité Schola in tuto, où il établit que tous les théologiens de l'école pensent absolument comme lui sur l'espérance et la charité ; qu'aucun d'eux

n'exclut de l'amour pur le motif de la récompense, et qu'ils enseignent au contraire que les suppositions impossibles de Moïse et de saint Paul, que l'archevêque de Cambrai faisoit tant valoir en sa faveur, n'excluoient jamais le désir de la béatitude.

Enfin dans son Quietismus redivivus, Bossuet se propose de démontrer que la doctrine de madame Guyon et des quiétistes modernes avoit une entière analogie avec les erreurs de Molinos, si récemment proscrites par le saint Siége, et que le livre des Maximes des saints, et même l'Instruction pastorale de l'archevêque de Cambrai, du 15 septembre 1697, n'en étoient qu'une apologie déguisée, et conduisoient aux mêmes conséquences.

A ces trois traités, Bossuet en joignit un quatrième intitulé: Quæstiuncula de actibus à charitate imperatis. C'étoit un précis des erreurs de Fénélon sur les actions faites par le motif de la charité.

Il composa ces différents écrits en latin, parce qu'ils étoient principalement destinés à l'instruction des cardinaux, des prélats et des examinateurs chargés par le pape d'émettre leur opinion sur le livre des Maximes des saints.

XVI.- Apologies de Fénélon.

Mais à peine Bossuet faisoit-il paroître un écrit, que Fénélon s'efforçoit d'en détruire tout l'effet par les réponses les plus spécieuses. Il sembloit reprendre dans ses apologies la faveur que l'ouvrage qu'il défendoit lui avoit fait perdre. Autant le livre des Maximes des saints étoit sec et obscur dans un grand nombre de ses propositions, autant les explications que Fénélon présentoit, paroissoient claires, favorables et satisfaisantes. Il adoucissoit avec beaucoup d'art tout ce qui avoit d'abord effarouché les théologiens exacts et attentifs. I atténuoit la hardiesse de ses principes par des modifications qui rentroient dans le cercle de ces opinions pieuses et de cette édifiante spiritualité, que l'E

glise a autorisées et admirées dans un grand nombre de saints. Le style simple, facile et élégant de Fénélon, contribuoit à répandre une grande clarté sur des questions qui en paroissoient peu susceptibles; et les lecteurs de toutes les classes se sentoient flattés en quelque sorte d'être initiés à un langage et à des mystères qui avoient été jusqu'alors renfermés dans le sanctuaire de la plus sublime piété. On finissoit par se persuader que si Fénélon s'étoit mépris dans les expressions de son livre, c'étoit dans ses apologies qu'il falloit aller chercher les véritables pensées de son esprit et les sentiments si purs de son cœur.

Tel fut le sujet de quatre Lettres qu'il adressa à Bossuet, et qui donnèrent pendant quelque temps une nouvelle direction à l'opinion publique.

Il paroît que Bossuet ne s'étoit pas attendu à rencontrer dans Fénélon un adversaire qui osât lutter contre lui sur une controverse de théologie, en présence de toute la France et de toute l'Europe; il a même laissé apercevoir son étonnement, lorsqu'il a écrit : « Que ses partisans (de Fénélon) cessent de van>> ter son bel esprit et son éloquence. On lui accorde >> sans peine qu'il a fait une vigoureuse et opiniâtre » défense. Qui lui conteste l'esprit? il en a jusqu'à faire >> peur, et son malheur est de s'être chargé d'une » cause où il en faut tant. »>

Il est facile en effet d'observer dans sa Réponse à quatre Lettres1 de Fénélon, qu'il se crut obligé de déployer avec une nouvelle vigueur tous les ressorts de l'éloquence et de la logique, pour vaincre la résistance inattendue qu'on lui opposoit.

Cette réponse est un chef-d'œuvre de raison, de force et de génie. Elle montre toute la hauteur de l'âme de Bossuet, et toute la fierté de son caractère. On voit qu'armé de toute la supériorité que lui donnoient tant de gloire, de triomphes et de services rendus à l'Eglise

1 Réponse de M. de Meaux à quatre lettres de M. de Cambrai, OEuvres de Bossuet, t. ix. p. 435 et suiv.

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