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et à la religion, il se croit en droit de se montrer sévère et inflexible, parce qu'il doit l'être, et de s'affranchir des vaines complaisances du monde. C'est de ce ton qu'il parle à Fénélon :

« Je le dis avec douleur, Dieu le sait vous avez >> voulu raffiner sur la piété; vous n'avez trouvé digne » de vous que Dieu, beau en soi. La bonté par laquelle >> il descend à nous, vous a paru un objet peu conve»> nable aux parfaits. Sous le nom d'amour pur, vous » avez établi le désespoir comme le plus parfait des >> sacrifices.

>> C'est du moins de cette erreur qu'on vous accuse... >> Et vous venez me dire: Prouvez-moi que je suis un >> insensé; prouvez-moi que je suis de mauvaise foi; si» non ma seule réputation me met à couvert. Non, >> monseigneur, la vérité ne le souffre pas vous serez >> en votre cœur ce que vous voudrez; mais nous ne » pouvons vous juger que par vos paroles. »>

Fénélon, en ne faisant qu'obéir au sentiment habituel de son caractère et de son langage, savoit mettre plus d'art que Bossuet dans ses procédés, et se donner tous les avantages qu'une sensibilité touchante et une vertueuse résignation assurent presque toujours à ceux que l'autorité paroît opprimer.

Bossuet, au contraire, avec son fier dédain pour les mollesses du monde et ses vaines complaisances, paroissoit quelquefois abuser de sa supériorité, et vouloir arracher par la seule force de son génie une victoire qu'il auroit également obtenue du mérite de la cause qu'il défendoit; et s'élevant au-dessus de tous les frivoles ménagements, il disoit à Fénélon :

« Vous vous plaignez de la force de mes expressions... » Il s'agit de dogmes nouveaux qu'on voit introduire » dans l'Eglise, sous prétexte de piété, dans la bouche » d'un archevêque. Si en effet il est vrai que ces dog>> mes renouvellent les erreurs de Molinos, sera-t-il » permis de le taire? Voilà pourtant ce que le monde » appelle excessif, aigre, rigoureux, emporté, si vous

» le voulez. Il voudroit qu'on laissât passer doucement » un dogme naissant, et sans l'appeler de son nom, >> sans exciter l'horreur des fidèles par des paroles qui >> ne sont rudes que parce qu'elles sont propres, et >> qui ne sont employées qu'à cause que l'expression >> est nécessaire....

» Si l'auteur de ces nouveaux dogmes les cache, les » enveloppe, les mitige, si vous voulez, par certains >> endroits, et par là ne fait autre chose que les rendre >> plus coulants, plus insinuants, plus dangereux, fau» dra-t-il, par des bienséances du monde, les laisser >> glisser sous l'herbe, et relâcher la sainte rigueur du >> langage théologique? Si j'ai fait autre chose que cela, » qu'on me le montre; si c'est là ce que j'ai fait, Dieu >> sera mon protecteur contre les mollesses du monde >> et ses vaines complaisances.

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C'est ainsi que Bossuet répondoit au public.

Il répondoit avec la même énergie aux amis de Fénélon :

« Les amis de M. de Cambrai n'ont à dire autre chose, >> sinon que je lui suis trop rigoureux. Mais si je mollis>> sois dans une querelle où il y va de toute la religion, » ou si j'affectois des délicatesses, on ne m'entendroit >> pas, et je trahirois la cause que je dois défendre. »

Malgré toute la chaleur et toute l'activité que Bossuet et Fénélon mettoient dans leur attaque et leur défense, malgré les instances pressantes de Louis XIV, pour engager le Pape à accélérer son jugement, Rome procédoit avec sa lenteur accoutumée; et rien n'annonçoit encore un jugement prochain; rien ne laissoit même entrevoir si ce jugement condamneroit ou absoudroit l'archevêque de Cambrai. On croyoit seulement s'apercevoir que les apologies et les explications de Fénélon paroissoient faire impression sur l'esprit de quelques théologiens du Pape, et les disposoient à accueillir des interprétations qui modifioient, jusqu'à un certain point, ce que le livre avoit de plus répréhensible.

Mais l'étonnement fut extrême à Paris, lorsqu'on y

apprit tout-à-coup que les examinateurs nommés par le Pape, pour donner leur avis sur le livre des Maximes des saints, s'étoient trouvés partagés d'opinion, après soixante-quatre congrégations de sept heures chacune, à un grand nombre desquelles le Pape avoit assisté en personne. Sur dix examinateurs, cinq décidèrent que le livre des Maximes des saints devoit être exempt de censure. Cinq autres déclarèrent qu'il renfermoit un grand nombre de propositions dignes de

censure.

La controverse de Bossuet et de Fénélon, malgré l'ardeur et la véhémence qu'ils y avoient également montrées, s'étoit jusqu'alors renfermée dans les bornes d'une discussion doctrinale. Mais elle prit un caractère plus affligeant, lorsque les discussions de fait et des accusations personnelles vinrent se mêler à un combat déjà si animé.

Fénélon, dans l'une de ses lettres au Pape, s'étoit plaint des procédés de ses confrères avec une sensibilité qui n'étoit pas exempte d'amertume; et il sembloit en donner l'opinion la plus défavorable, en déclarant qu'ils avoient été d'une nature si offensante, qu'on ne pourroit jamais le croire, s'il les faisoit connoître. Bossuet se persuada peut-être trop facilement, qu'une accusation si grave exigeoit de sa part la justification la plus solennelle, et il publia sa Relation sur le quiétisme. Malheureusement cette Relation étoit plus faite pour achever d'aigrir le cœur de Fénélon, que nécessaire à la défense de Bossuet; et le souvenir qui en est resté est également pénible pour les admirateurs de l'un et de l'autre.

XVII.

Bossuet publie la Relation sur le quiétisme.

La Relation sur le quiétisme se compose presque entièrement des extraits d'un mémoire que Fénélon avoit adressé à madame de Maintenon dans l'épanchement de la confiance et de l'amitié, et des fragments de quelques manuscrits que madame Guyon avoit livrés

à la discrétion de Bossuet, dans le temps où elle avoit réclamé ses avis et ses instructions.

Il étoit impossible sans doute de mettre plus d'art, d'esprit et de goût, dans le récit de toutes les folies et de toutes les rêveries de madame Guyon. Bossuet avoit su joindre à ce tableau si piquant ces grands mouvements d'éloquence qui venoient y répandre tout-à-coup un caractère inattendu de gravité, de force et de majesté.

« A l'égard de M. l'archevêque de Cambrai1, disoit >> Bossuet, nous ne sommes que trop justifiés par les >> faits incontestables de cette Relation, et je le suis en >> particulier plus que je ne voudrois. Mais pour faire >> tomber tous les injustes reproches de ce prélat, il » falloit voir, non pas seulement les parties du fait, >> mais le tout jusqu'à sa source. C'est par là, j'ose le dire, qu'il paroît que, dès l'origine, on a tâché de >> suivre les mouvements de cette charité douce, pa>>>tiente, qui ne soupçonne, ni ne présume le mal.

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» Où placera-t-on cette jalousie qu'on nous impute >> sans preuve ? Et s'il faut se justifier sur une si basse » passion, de quoi étoit-on jaloux dans le nouveau >> livre de cet archevêque? Lui envioit-on l'honneur de » défendre et de peindre de belles couleurs madame >> Guyon et Molinos? Portoit-on envie au style ambigu >> d'un livre ou au crédit qu'il donnoit à son auteur, » dont au contraire il ensevelissoit toute la gloire? >> J'ai honte pour les amis de M. de Cambrai, qui font >> profession de piété, et qui cependant ne laissent pas >> sans fondement d'avoir répandu partout, même à » Rome, qu'un certain intérêt m'a fait agir........... >> Quelque fortes que soient les raisons que je pourrois >> alléguer pour ma défense, Dieu ne me met point >> d'autre réponse dans le cœur, sinon que les défen>> seurs de la vérité, s'ils doivent être purs de tout in» térêt, ne doivent pas moins être au-dessus de la >> crainte qu'on leur impute d'être intéressés.

1 Relation sur le quiétisme, tom, 1x. pag. 577 et suiv.

» Au reste, je veux bien qu'on croie que l'intérêt » m'a poussé contre ce livre, s'il n'y a rien de répré>> hensible dans sa doctrine, ni rien qui soit favorable » à la femme dont il falloit que l'illusion fût révélée. >> Dieu a voulu qu'on me mît entre les mains, malgré >> moi, les livres qui en font foi. Dieu a voulu que l'E>> glise ait eu en la personne d'un évêque un témoin >> vivant de cette séduction. Ce n'est qu'à l'extrémité » que je la découvre, quand l'erreur s'aveugle elle» même jusqu'au point de me forcer à déclarer tout; >> quand, non contente de paroître vouloir triompher, >> elle insulte; quand Dieu découvre d'ailleurs tant de >> choses qu'on tenoit cachées.

» Je me garde bien d'imputer M. l'archevêque de » Cambrai autre dessein que celui qui est découvert >> par des écrits de sa main, par son livre, par ses ré>>ponses et par la suite des faits avérés. C'en est assez » et trop d'être un protecteur si déclaré de celle qui » prédit et qui se propose la séduction de l'univers. » Si l'on dit que c'est trop parler contre une femme >> dont l'égarement semble aller jusqu'à la folie, je le >> veux, si cette folie n'est pas un pur fanatisme; si l'es>> prit de séduction n'agit pas dans cette femme; si » cette Priscille n'a pas trouvé son Montan pour la dé» fendre.»

Ce n'est qu'avec douleur que nous rapportons ces dernières expressions de Bossuet. Elles firent trop de bruit dans le temps pour pouvoir être dissimulées. Elles donnèrent à Fénélon un avantage dont il sut profiter pour repousser avec la plus noble dignité une imputation si outrageante. Bossuet sentit lui-même l'inconvenance de son langage, et il s'efforça, autant qu'il le put, de donner à cette odieuse comparaison une interprétation aussi favorable que pouvoit le permettre la nature d'une accusation qu'il n'étoit plus en son pouvoir d'effacer, ni de faire oublier.

« Si cependant, continue Bossuet, les foibles se scan» dalisent, si les libertins s'élèvent, si l'on dit, sans exa

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