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» miner la source du mal, que les querelles des évê» ques sont implacables; il est vrai, si l'on sait l'en» tendre, qu'elles le sont en effet sur le point de la » doctrine révélée. C'est la preuve de la vérité de notre » religion et de la divine révélation qui nous guide, » que les questions sur la foi soient toujours inaccom» modables. Nous pouvons tout souffrir; mais nous ne » pouvons souffrir qu'on biaise pour peu que ce soit >> sur les principes de la religion.

» Nous souhaitons et nous espérons de voir bientôt » M. l'archevêque de Cambrai reconnoître du moins » l'inutilité de ses spéculations. Il n'étoit pas digne de » lui, du caractère qu'il porte, du personnage qu'il » faisoit dans le monde, de sa réputation, de son es» prit, de défendre les livres et les dogmes d'une femme » de cette sorte.

>> Pour les interprétations qu'il a inventées, il n'a » qu'à se souvenir d'être demeuré d'accord qu'il n'en >> trouve rien dans l'Ecriture. Il n'en cite aucun pas>> sage pour ses nouveaux dogmes. Il nomme les Pères >>> et quelques auteurs ecclésiastiques, qu'il tâche de » traîner à lui par des conséquences, mais où il ne >> trouve ni son sacrifice absolu, ni ses simples acquies» cements, ni ses contemplations d'où Jésus-Christ est >> absent par état, ni ses tentations extraordinaires aux>> quelles il faut succomber.... ni tant d'autres propo>>sitions que nous avons relevées dans son livre. Elles » sont les fruits d'une vaine dialectique, d'une méta>> physique outrée, de la fausse philosophie que saint >> Paul a condamnée. Tous les jours nous entendons >> ses meilleurs amis le plaindre d'avoir étalé son éru>>dition et exercé son éloquence sur des sujets si peu >> solides. Avec ses abstractions ne voit-il pas que, bien » éloigné de mieux faire, il ne fait que dessécher les >> cœurs, en affoiblissant les motifs capables de les at» tendrir ou de les enflammer...... Nous exhortons

>> M. de Cambrai à occuper sa plume éloquente et son >> esprit inventif à des sujets plus dignes de lui. Qu'il

» prévienne, il est temps encore, le jugement de l'E» glise. L'Eglise romaine aime à être prévenue de cette >> sorte; et comme, dans les sentences qu'elle pro»> nonce, elle veut toujours être précédée par la tradi» tion, on peut en un certain sens l'écouter avant » qu'elle parle. »

Rien ne peut être comparé à l'effet prodigieux que la Relation de Bossuet fit sur tous les esprits. Elle parut dans le moment où les inculpations les plus graves étoient portées contre madame Guyon, et où des apparences trompeuses sembloient leur donner quelque consistance; dans le temps où la haine envenimée de l'abbé Bossuet propageoit à Rome les soupçons les plus odieux sur Fénélon lui-même, et où la disgrace récente de ses parents et de ses amis les plus chers laissoit dans la douleur et la consternation tout ce qui lui étoit attaché par l'affection la plus tendre.

Il faut dire que ce fut là le moment où Fénélon montra le plus beau et le plus grand caractère, lorsque, s'élevant au-dessus de ces viles rumeurs, indignes d'atteindre cette âme noble et pure, et écartant toutes les considérations pusillanimes qui auroient pu lui faire craindre de voir la main de Louis XIV s'appesantir avec encore plus de rigueur sur le seul ami qui lui restoit à la cour, on le vit braver Bossuet triomphant, et le forcer à descendre à de nouveaux combats.

Cette révolution subite dans la nature de leurs controverses rendit encore plus animée la lutte de ces deux illustres adversaires, et répandit dans leurs écrits une chaleur et une éloquence qu'on admire encore aujourd'hui malgré l'éloignement des temps. La Relation de Bossuet avoit changé une question de doctrine en une question de faits; et la réponse de Fénélon à cette Relation et aux remarques de Bossuet sur sa réponse avoit transporté le combat sur un nouveau champ de bataille et devant un bien plus grand nombre de juges. Ce qui étonnoit encore plus le public, c'étoit la rapidité avec laquelle Fénélon répondoit aux nouvelles

attaques de Bossuet. A peine Bossuet publioit-il un écrit, que la réponse de Fénélon arrivoit presqu'en même temps que l'accusation. Cette rapidité parut si inexplicable à l'abbé Bossuet, qu'il se persuada 1 que, de Cambrai, Fénélon avoit corrompu les secrétaires de son oncle à Paris, pour en obtenir communication de ses écrits à mesure qu'il les composoit : soupçon bien digne du caractère que l'abbé Bossuet montre dans toute sa correspondance.

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Cette époque de la controverse du Quiétisme fut. sans doute, la plus affligeante. Nous nous bornerons à rapporter les expressions si mesurées du chancelier d'Aguesseau, juge impartial des démêlés de deux grands hommes qu'il aimoit et qu'il estimoit.

« Le scandale fut moins grand 2, tant que ces deux >> illustres adversaires ne combattirent que sur le fond » de la doctrine, et l'on pouvoit le regarder comme un >> mal nécessaire. Mais la scène devint plus triste pour » les gens de bien, lorsqu'ils s'attaquèrent mutuelle>> ment sur les faits, et qu'ils publièrent des relations contraires, dans lesquelles l'un et l'autre ne surent » peut-être pas assez se garantir d'un excès de véhé» mence et même d'amertume. »

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Il étoit difficile que l'intérêt de cette controverse pût se soutenir au degré de chaleur où l'avoient porté la Relation de Bossuet et les réponses de Fénélon. Aussi l'attention publique commença à se refroidir, et devint presque indifférente à quelques écrits que publièrent encore les deux adversaires.

Tous les regards étoient tournés vers Rome, qui faisoit attendre depuis si longtemps un jugement que toutes les parties provoquoient avec la même impatience, et que les instances de Louis XIV tendoient en vain à accélérer.

On trouve dans la Relation du Quiétisme de l'abbé Phelippeaux le récit fidèle des dispositions de la cour de Rome, des discussions agitées dans les congrégations

'Mts. de Ledieu. - Mém. du chanc, d'Aguésseau, t. XII.

des cardinaux, des incertitudes du Pape, de sa répugnance à condamner Fénélon, des derniers efforts qu'il tenta pour échapper à la nécessité de prononcer un jugement, en se bornant à de simples canons sur les caractères de la vraie et de la fausse spiritualité; de tous les ménagements enfin par lesquels il voulut adoucir, par un sentiment d'estime et de tendresse pour Fénélon, la rigueur d'une sentence nécessaire; nous ne pourrions que répéter des faits déjà connus, et sur lesquels tout le monde s'accorde également.

XVIII.

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Mémoire de Louis XIV au Pape.

C'est à l'occasion de ce projet de canons, que Louis XIV adressa au pape Innocent XII le Mémoire fulminant que l'on trouve dans le tome xii, page 141 des OEuvres de Bossuet.

Ce mémoire est peut-être le monument le plus affligeant de cette controverse. Nous l'avons rapporté dans l'Histoire de Fénélon, et nous sommes heureusement dispensé d'en rappeler toutes les dispositions dans celle de Bossuet.

On regrettera toujours que Bossuet se soit cru dans la nécessité de faire intervenir, sous une forme si impérieuse, le nom et l'autorité de Louis XIV dans jugement doctrinal d'un livre déféré au tribunal de l'Eglise romaine, présidé par le Pape lui-même, et d'y avoir mêlé des expressions menaçantes qui auroient pu intimider des juges accessibles aux considérations humaines.

Il est difficile de ne pas trouver au moins de l'exagération dans l'accusation portée par Louis XIV contre le livre de l'archevêque de Cambrai, qu'il déclare mettre tout son royaume en combustion. On ne voit rien dans les mémoires du temps qui annonce que la doctrine des quiétistes se fût propagée en France avec une rapidité si alarmante. A peine leurs excès donnèrent-ils lieu à quelques plaintes dans un ou deux diocèses. Toute la chaleur de cette controverse étoit

II.

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concentrée à Paris et à la cour. Elle n'inspiroit dans les provinces d'autre intérêt que celui qui étoit attaché au nom et au talent des deux célèbres adversaires.

On étoit à la vérité fondé à présumer que le projet des canons proposés à Innocent XII étoit au moins inutile dans les circonstances, et qu'ils donneroient lieu à l'archevêque de Cambrai de prétendre que sa doctrine avoit été jugée exempte de censure. C'est ce que l'abbé Phelippeaux a démontré avec évidence dans un court Mémoire, qui est un chef-d'œuvre de dialectique.

Il n'est pas moins certain qu'Innocent XII n'avoit adopté ce projet de canons, que dans la vue d'épargner à un archevêque dont il respectoit les vertus et dont il admiroit la religieuse docilité, l'humiliation d'une censure éclatante. Mais ce pontife tenoit si pen à ce projet de canons, qu'il l'avoit abandonné sans résistance dès le premier moment où on lui en avoit fait sentir les inconvénients, et avant même d'avoir reçu le Mémoire de Louis XIV.

Mais en supposant qu'Innocent XII se fût mépris dans ses intentions paternelles pour Fénélon, cette respectable illusion pouvoit-elle mériter qu'un roi catholique et le plus catholique de tous les rois, que Louis XIV adressât à un pontife, dont la France avoit toujours eu à se louer, ces expressions si déplacées : « Que si sa >> Sainteté prolongeoit cette affaire par des ménage>>ments qu'il ne comprenoit pas, il sauroit ce qu'il » auroit à faire, et qu'il espéroit que le Pape ne vou» droit pas le réduire à de si fàcheuses extrémités. »

Il est vrai que les principes si connus de Bossuet, son zèle si éprouvé pour l'Eglise, que sa vie toute entière dépose contre les interprétations odieuses que l'on prétendroit donner à des expressions échappées dans un moment d'inquiétude ou d'irritation.

Mais il en résulte au moins une grande leçon, qui ne doit pas être perdue pour notre instruction.

Si deux hommes tels que Bossuet et Fénélon, animés de l'amour le plus sincère pour la religion, ornés

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