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montrer le premier; et il obtint du Roi de prêter son serment en particulier.

Au moment où Bossuet vint prèter son serment à madame la duchesse de Bourgogne, cette jeune princesse, en voyant à ses genoux cette tête que ses cheveux blancs et les souvenirs de tant de gloire rendoient si vénérable, ne put s'empêcher de s'écrier avec une touchante naïveté : « Que je suis honteuse, Monsieur, >> de vous voir en cet état! » Elle n'avoit alors que onze ans ; et elle annonçoit déjà l'éclat, les agréments et les grâces qui parèrent sa brillante jeunesse, et qui devoient embellir un trône au pied duquel elle vint expirer à la fleur de son âge.

XXVII.- Mort du frère de Bossuet. 1699.

*

A l'époque où la controverse du quiétisme touchoit à sa fin, quelques semaines avant le jugement du saint Siége, Bossuet eut la douleur de perdre un frère avec lequel il avoit toujours vécu dans la plus grande union. C'étoit le seul qui lui restoit de six frères, qui auroient dû assurer une longue durée à son nom. On voit par la lettre qu'il écrivit à son neveu pour lui annoncer la mort de son père, combien il fut affecté d'un malheur d'autant plus sensible à son cœur, qu'il y étoit moins préparé. Mais on observe en même temps, dès les premiers mots de cette lettre, tout l'empire que cette âme forte et religieuse savoit prendre sur ellemème pour soumettre les affections les plus touchantes de la nature à la volonté de celui qui donne la vie et la mort.

<< Dieu est le maître 1. Je croyois mon frère entière» ment délivré de son attaque de goutte. Il s'étoit levé » et avoit fait ses dévotions à la paroisse, comme un >> homme qui, sans dire mot, et ne voulant point nous >> attrister, ne songeoit qu'à sa dernière heure. J'étois à

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L'abbé Bossuet étoit encore à Rome.

'Lettre de Bossuet, 2 février 1699. OEuvres de Bossuet, t. XII. P. 101.

>> Versailles, pensant à toute autre chose, et fort réjoui » de recevoir de lui une longue lettre écrite le mer>> credi matin d'une main très-ferme. Que sert de pro>> longer le discours? Il faut en venir à vous dire que » la nuit suivante il appela sur les trois heures par un >> coup de cloche, qui ne fit que faire venir d'inutiles >> témoins de son passage. On me manda seulement à >> Versailles qu'il étoit à l'extrémité. Je me vis séparé » d'un frère, d'un ami, d'un tout pour moi dans la » vie. Baissons la tête et humilions-nous. >>

Il revient sur ce triste sujet dans la lettre suivante1, et on retrouve je ne sais quel charme à voir les larmes de la douleur couvrir le visage vénérable de Bossuet, et ses yeux attendris se fixer avec une profonde émotion sur l'image d'un frère mourant :

<< Vous avez bien besoin que Dieu vous soutienne dans >> le coup que vous venez d'en recevoir. C'est lui qui » frappe, c'est lui qui console. Vous êtes seul, et ce »> nous seroit une espèce de consolation mutuelle de >> pleurer ensemble le plus honnête homme, le plus » ferme, le plus tendre qui fut jamais. C'en est fait, il » n'y a qu'à baisser la tête, et se consoler en servant >> Dieu. Vous savez mieux que personne ce que j'ai » perdu. Quel frère ! quel ami! quelle douceur! quel >> conseil ! quelle probité! tout y étoit. Dieu m'a tout » ôté, et je me trouve si seul, qu'à peine je puis me >> soutenir. >>

1 Du 9 février 1699.

LIVRE ONZIÈME.

ASSEMBLÉE DE 1700. CONDUITE DE BOSSUET ENVERS LES PROTESTANTS.

I.- Assemblée de 1700.

Une assemblée du clergé étoit convoquée à Saint-Germain-en-Laye pour le 2 juin 1700; et Bossuet devoit y être député par la province de Paris. On conçoit que dès que Bossuet étoit membre d'une assemblée, il en devenoit nécessairement l'oracle. Il le fut en effet de l'assemblée de 1700, comme il l'avoit été de celle de 1682.

Il est impossible de ne pas admirer la sagesse, la dignité, la fermeté et la suite que Bossuet montra dans l'exécution du plan qu'il s'étoit proposé pour l'honneur de la religion, de l'Eglise et du clergé de France. Mais il sentit qu'il ne pourroit en assurer le succès qu'avec l'appui du Roi; et que sans une intervention aussi imposante, les contradictions et les efforts de tous les partis qu'il alloit attaquer, ne lui laisseroient que d'inutiles regrets, et la triste conviction de la grandeur du mal, par l'impuissance même d'y remédier.

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Mémoire de Bossuet à Louis XIV, pour l'assemblée de

1700.

Ce fut pour prévenir ce danger, que, dès le 2 mai 1700, il remit à madame de Maintenon deux Mémoires, dont l'un étoit intitulé: De l'état présent de l'Eglise, et l'autre Sur la morale relâchée, et il les présenta luimême à Louis XIV le 6 juin suivant.

Bossuet s'exprimoit ainsi : « Les évêques manque>> roient au plus essentiel de tous leurs devoirs, et *Nous les avons sous les yeux; ils sont écrits de la main de l'abbé Ledieu, et corrigés de celle de Bossuet,

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» comme évêques, et comme sujets, s'ils ne prenoient » soin d'informer le plus juste de tous les rois du péril » extrême de la religion entre deux partis opposés, » dont l'un est celui des jansénistes et l'autre celui de » la morale relâchée.

>> Le jansénisme nous paroît principalement par une >> infinité d'écrits latins et françois qui viennent des » Pays-Bas. On y demande ouvertement la révision de » l'affaire de Jansénius et des constitutions d'Innocent XI » et d'Alexandre VII. On y blâme les évêques de France » de les avoir acceptées, et de faire encore aujourd'hui >> servir cette acceptation de modèle dans l'affaire du >> quiétisme. On y renouvelle les propositions les plus >> condamnées du même Jansénius, avec des tours plus >> artificieux et plus dangereux que jamais.

» Pour la morale relâchée, elle se déclare ouvertement » dans les écrits d'une infinité de casuistes modernes, » qui ne cessent d'enchérir les uns sur les autres, sous prétexte d'une prétendue probabilité, qui, étant née » au siècle passé, fait de si terribles progrès, qu'elle » menace l'Eglise de son entière ruine, si Dieu la pou>> voit permettre.

» Ce mal est d'autant plus dangereux, qu'il a pour >> auteurs des prêtres et des religieux de tous ordres et » de tous habits, qui, ne pouvant déraciner les désor» dres qui se multiplient dans le monde, ont pris le >> mauvais parti de les excuser et de les déguiser, et >> qui s'imaginent encore rendre service à Dieu en ga» gnant les âmes par une fausse douceur. Quoi qu'il en » soit, le mal est constant; et deux cents opinions pro» scrites depuis trente ans par la Sorbonne, par les >> autres universités, par les évèques, et par les papes » même, ne le rendent que trop certain...

» Les évêques particuliers ne suffisent pas contre un >> mal si universel et si opiniâtre; le concours dans l'é» piscopat ou par les conciles, ou par les assemblées » générales, a toujours été requis en ces occasions; et » sans ce remède, le mal prendra le dessus.

» Parmi les livres que les jansénistes ont publiés de>> puis peu, il en paroît un, qu'ils dédient à la pro» chaine assemblée du clergé de France *, où le jan>> sénisme est ramené tout entier sous de nouvelles » couleurs. Le silence en cette occasion passeroit pour >> approbation.

>> Mais d'une autre part, si l'on parle sans en même >> temps réprimer les erreurs de l'autre parti, l'iniquité » manifeste d'une si visible partialité feroit mépriser » un tel jugement, et croire qu'on aura voulu épargner » la moitié du mal...

>> Le principal est d'agir ici avec autant de modération » et d'équité que de force. Personne n'aura sujet de se » plaindre, si, comme il le faut, on attaque de telle >> sorte ces mauvaises opinions, qu'on ne note ni di>> rectement, ni indirectement, aucune personne ou >> aucun corps. »

Bossuet joignit à ces Mémoires les extraits de quelques-unes des propositions qu'il avoit le dessein de déférer à l'assemblée, du clergé; et elles étoient en effet de nature à exciter la juste indignation d'un prince, qui sans doute n'avoit pas toujours su commander à ses passions, mais qui avoit toujours porté dans son cœur le sentiment de la vertu, de l'honneur et de l'équité.

Louis XIV, en recevant ces Mémoires de la main de Bossuet, se borna d'abord à lui répondre qu'il les examineroit avec application 1; et toujours inspiré par cette droiture naturelle qui lui faisoit sentir la vérité et la justice comme par goût et par instinct, il lui fit dire, de temps après, « qu'il autorisoit l'assemblée à tra» vailler à la censure, et à procéder à la condamna» tion des casuistes fauteurs de la morale relâchée, mais » à la condition expresse que les auteurs condamnés » ne seroient pas nommés. »

peu

On a vu par le Mémoire de Bossuet qu'il avoit pré* Augustiniana Ecclesiæ Romanæ doctrina.

1 Mémoire du chancelier d'Aguesseau.

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