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venu à cet égard les intentions du Roi; les propositions qui devoient être l'objet de la censure, étoient pour la plupart extraites des ouvrages de quelques jésuites; et Bossuet, satisfait de remédier au mal, ne vouloit ni humilier le corps, ni affliger les personnes. Quant à Louis XIV, qui désiroit également de voir réprimer ces doctrines scandaleuses, on peut croire qu'un sentiment d'affection plus marqué le portoit à épargner à un corps qu'il aimoit et qu'il protégeoit, l'humiliation de voir rejaillir sur lui les torts de quelques-uns de ses membres. << II paroît, dit l'abbé Ledieu, que le Roi ne-communiqua point au père de La Chaise le Mémoire de Bos» suet, et qu'il lui laissa également ignorer l'autorisa» tion qu'il avoit accordée à l'assemblée de procéder à » cette condamnation. >>

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L'archevêque de Reims (Charles-Maurice Le Tellier) avoit aussi présenté au Roi un Mémoire rédigé dans le même esprit que celui de Bossuet.

Ce prélat devoit présider l'assemblée du clergé ; et Bossuet étoit d'autant plus assuré de son concours, qu'il connoissoit toute sa déférence pour lui. L'archevêque de Reims avoit des qualités recommandables; il avoit de l'instruction, et il apportoit dans le gouvernement de son diocèse les principes et les maximes les plus conformes à l'esprit des règles, des lois et de la discipline de l'Eglise; mais il étoit absolument dépourvu de cette mesure et de cette habitude des convenances si nécessaires au président d'une assemblée, dont tous les membres ont le sentiment de leur égalité et de leur indépendance. Il succédoit à M. de Harlay, qui avoit présidé pendant trente ans les assemblées du clergé, et qui avoit su s'en rendre le maître, bien plus par l'influence de la douceur, de la politesse et de la persuasion, que par le langage de l'autorité. Il laissoit plutôt deviner qu'apercevoir le crédit et la faveur que la cour lui accordoit.

L'archevêque de Reims, au contraire, vouloit affecter les manières absolues et tranchantes du marquis de Louvois, son frère *, sans avoir les talents qui pouvoient les faire excuser ou pardonner. Mais il eut si peu l'art de diriger l'assemblée dont il étoit président', que l'appui de Bossuet lui devint plus nécessaire que son appui ne fut utile à Bossuet.

Les manuscrits de l'abbé Ledieu nous montrent l'archevêque de Reims occupé, dès les premières séances, à priver Bossuet de l'honneur d'un vain titre. qui ne pouvoit donner aucun ombrage au président de l'assemblée.

Elle s'étoit réunie à Saint-Germain-en-Laye le 2 juin; et le 4 on procéda à l'élection des présidents. L'assemblée de 1695 avoit prescrit de nommer des archevêques et des évêques en nombre égal pour présider les assemblées du clergé. Cet honneur étoit naturellement déféré à l'ancienneté dans l'épiscopat; et Bossuet se trouvoit à ce titre appelé à être l'un des évêques présidents de l'assemblée de 1700. Mais l'on vit avec surprise l'archevêque de Reims et l'abbé de Louvois, son neveu, exercer toute leur influence sur les députés pour les engager à ne nommer que des archevêques pour présidents.

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Lorsqu'il fut question de délibérer sur cette question, Bossuet crut devoir représenter « que le dernier règlement et une possession de cent ans assuroit aux » évêques le droit de présider conjointement avec les archevêques, même en présence des archevêques » non présidents; et il en rapporta des exemples ré» cents. Il ajouta que l'honneur de l'épiscopat étoit engagé à soutenir ce droit des évèques; que l'intérêt du » clergé même le demandoit également, qu'il pouvoit >> arriver des temps où une assemblée offriroit des évê» ques plus capables par leurs talents et par leurs lu

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* On trouve dans les Lettres de madame de Sévigné plusieurs traits de caractère de cet archevêque.

Mémoire du chancelier d'Aguesseau, t. XIII.

» mières de servir la cause du clergé, que des arche» vêques qui n'auroient ni les mèmes titres, ni les » mêmes droits à sa confiance; qu'heureusemnt l'as» semblée actuelle ne présentoit ni un pareil danger, »> ni un tel sujet d'inquiétude; mais que, dans tous les >> états et dans tous les corps, les lois et les règlements >> avoient toujours été établis pour aller au devant de » l'avenir, et fixer les règles de conduite dans les sup» positions les moins vraisemblables; enfin qu'il seroit » d'un dangereux exemple de voir les évêques aban>> donner un droit consacré par l'usage et appuyé sur >> des titres incontestables. >>

Malgré les sages observations de Bossuet, il fut décidé qu'on ne nommeroit que deux archevêques présidents *.

IV.- Modération de Bossuet.

Dès que la délibération fut prise, Bossuet fit voir qu'il n'en étoit point personnellement affecté. Il avoit exposé ses raisons avec une modération qui lui mérita les justes éloges de l'assemblée; et il s'interdit toute réflexion. Il continua à montrer la même confiance et la même ouverture à l'archevêque de Reims; et, quoiqu'il fût fondé à se plaindre de ses procédés en cette occasion, il ne voulut considérer que le succès des affaires qui devoient occuper l'assemblée.

Les décisions de cette assemblée sont restées dans les annales de l'Eglise gallicane comme un monument honorable du zèle de Bossuet pour la pureté de la doctrine et de la morale. Mais il lui fallut peut-être autant de sagesse que de capacité pour vaincre les contrariétés que les partis les plus opposés se préparoient à lui susciter.

Bossuet, ainsi qu'il l'avoit annoncé au Roi, se proposoit également de faire rentrer les jansénistes dans le

* L'usage contraire a prévalu dans la suite. Les assemblées du clergé nommoient toujours un nombre égal d'archevêques et d'évèques pour présidents,

silence, et de proscrire les auteurs et les partisans de la morale relâchée. Les premiers, dit le chancelier d'Aguesseau, ne trouvèrent aucun défenseur dans l'assemblée, et se bornèrent à quelques manœuvres clandestines, qui n'eurent aucun succès. Mais l'honneur des jésuites se trouvoit en quelque sorte compromis par cette multitude de propositions extraites de leurs écrivains qu'on alloit reproduire au grand jour pour les frapper avec plus d'ignominie. Il est vrai qu'elles avoient déjà été pour la plupart condamnées par des décrets du saint Siége. Mais ces censures lointaines, quoique émanées de la première autorité, ne pouvoient faire la mème impression en France, qu'une déclaration solennelle de toute l'Eglise gallicane.

V.- Débat dans l'assemblée sur la formation d'une
commission.

Aucun évêque de l'assemblée n'étoit certainement disposé à prendre la défense de ces maximes révoltantes, qui étoient depuis longtemps une espèce de scandale public; mais quelques prélats, affectionnés d'une manière plus particulière aux jésuites, tentèrent d'inutiles efforts pour éluder une décision; et, lorsque dans la séance du 25 juin, l'archevêque de Reims proposa à l'assemblée de nommer une commission pour traiter de la doctrine et de la morale, l'archevêque d'Auch fit entendre que l'assemblée n'étant convoquée que pour des affaires temporelles, elle n'avoit pas les pouvoirs nécessaires pour délibérer sur des points de doctrine; qu'il pouvoit y avoir de l'inconvénient à s'engager dans ce vaste champ de discussions; et que l'on ne pouvoit guère se flatter de les conduire à un henreux résultat pendant la courte durée des séances d'une assemblée dont le terme étoit fixé d'avance par le Roi.

Mais Bossuet prit la parole et dit : « Que rien n'im>> portoit plus à l'honneur de l'Eglise de France, que » de traiter des matières de doctrine et de morale dans » l'assemblée actuelle; qu'indépendamment du livre

>> nouvellement dédié à l'assemblée *, et qui méritoit »sa juste censure, il étoit temps qu'elle flétrît de la >> manière la plus solennelle les honteux excès d'un » grand nombre de casuistes; que l'assemblée de 1682 >> en avoit déjà conçu le projet et préparé l'exécution; » que tous les évêques avoient eu dès lors entre les >> mains le recueil des propositions qui devoient être >> soumises à leur examen, et qu'il ne restoit plus qu'à » mettre la dernière main à un si glorieux dessein; >> que l'assemblée en avoit le droit et le pouvoir, et que >> si elle en avoit le droit, la religion et l'honneur lui » en imposoient le devoir; que jamais les évêques ne » se trouvoient réunis pour quelque raison que ce fût, » soit pour la consécration d'une église, soit même » pour le sacre d'un évêque, qu'ils n'en prissent occa»sion de traiter des grands intérêts de la religion et >> des actes de leur ministère. >>

Bossuet discuta ensuite l'opinion particulière de l'archevêque d'Auch sur le défaut de pouvoir qu'il supposoit dans l'assemblée; et il déclara hautement que « si >> une telle proposition eût été hasardée par un laïque, >> on auroit peut-être dû la déférer à une assemblée, » telle que celle qui l'écoutoit, pour être justement >> condamnée.

» Que, sans avoir recours à tous les grands moyens » qu'offrent l'Ecriture et la tradition en faveur du >> droit attaché au caractère épiscopal, il suffisoit de >> se rappeler les exemples de tant d'assemblées de >> l'Eglise gallicane, des anciens capitulaires de nos rois, » et des états généraux du royaume, où l'ordre ecclé>> siastique étoit dans l'usage de se retirer dans sa >> chambre pour y régler en particulier ce qu'il jugeoit » à propos sur les questions de doctrine et de disci>> pline.

» Qu'au reste on ne pouvoit ni on ne devoit supposer

Augustiniana Ecclesiæ Romanæ doctrina. C'étoit un livre publié récemment par les jansénistes, et qui avoit pour objet de renouveler toutes les disputes assoupies depuis trente ans,

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