Page images
PDF
EPUB

» que l'assemblée manqueroit du temps nécessaire à un >> travail dont on se plaisoit trop à exagérer l'étendue » et les difficultés; que les censures portées par les >> papes Alexandre VII, Innocent XI et Alexandre VIII, >> par les plus grands évêques de ce siècle et par les >> principales universités de l'Europe, avoient déjà tracé » d'avance à l'assemblée la marche qu'elle devoit >>> suivre, et qu'il ne restoit qu'à donner à tant de cen>> sures une forme convenable aux usages et aux ma>> ximes de la France, afin qu'elles pussent avoir auto» rité dans le royaume. »

Ce discours de Bossuet décida la très-grande majorité de l'assemblée à nommer une commission, à la » tête de laquelle ce prélat fut placé.

Aussitôt que Bossuet se vit à la tête de la commission, il fit remettre aux membres qui la composoient, un tableau de cent soixante-deux propositions qu'il soumettoit à leur examen, dont il requéroit la censure *.

Sur ces cent soixante-deux propositions, il y en avoit cinq contre la doctrine des jansénistes; quatre contre des erreurs pélagiennes hasardées par quelques jésuites dans des thèses assez récentes, et tout le reste sur la morale.

Bossuet fit en même temps imprimer quelques écrits très-courts et très-précis sur les principales matières

**

Ces cent soixante-deux propositions furent réduites par la commission à cent vingt-neuf, et ensuite à cent vingt-sept. On retrancha celles qui regardoient les ouvrages des cardinaux Sfondrate et Gabrieli, dont le Pape devoit être le juge naturel; quelques-unes sur la chasteté et le mariage, dont la simple énonciation pouvoit blesser le respect dù à l'assemblée; plusieurs sur l'usure, qui parurent entrer dans celles que l'on conservoit sur la même matière; quelques autres enfin par des considérations dont nous rendrons compte.

L'archevêque de Reims fit traduire en françois les propositions qui devoient être censurées, et les présenta au Roi. Ce prince, après les

avoir lues, dit: Ces propositions me font horreur.

De dubio in negotio salutis.

De opinione minùs probabili, ac simul minùs tutâ.

De conscientiá.

qui étoient l'objet du travail de la commission, pour faciliter à ses membres l'examen des propositions qui leur étoient soumises, et pour les mettre à portée de fixer leur opinion sur la censure qu'elles pouvoient mériter.

La commission employa deux mois entiers à l'examen des propositions qui lui avoient été renvoyées; et ce fut pendant ce long intervalle que la sagesse, l'habileté et la patience de Bossuet furent mises à de grandes épreuves. C'étoit, comme il arrive presque toujours dans les assemblées, moins encore la difficulté des matières que celle qui résultoit de la diversité des caractères, qui formoit le plus grand obstacle à cette unanimité d'opinions qui devoit faire la principale force de

cette censure.

Bossuet porta le scrupule de la modestie jusqu'à réclamer les avis de quelques docteurs de Paris, que des députés de l'assemblée avoient attirés à Saint - Germain. Mais ce furent précisément ces docteurs qui exercèrent le plus la patience de Bossuet. « Comme ils >> abondent toujours en leur sens, écrit l'abbé Ledieu, >> M. de Meaux a eu besoin de toute sa modération >> pour recevoir leurs remontrances et écouter leurs re» marques. >>

Parmi ces docteurs, il en étoit surtout trois * dont les véritables sentiments n'avoient pas échappé à la pénétration de Bossuet. Ils se donnèrent tant de mouvements auprès de quelques évêques de la commission, qu'ils parvinrent à soustraire à la censure l'une des propositions sur le jansénisme, que Bossuet avoit jugée mériter d'être condamnée. Au reste, ces docteurs ne

De prudentiá.

Ces quatre dissertations latines ont été dans la suite traduites en françois, et se trouvent dans la collection des OEuvres de Bossuet, t. Ix. p. 65 et suiv.

C'étoient les docteurs Rouland, Ravechet et Neveu. On voit dans les manuscrits de l'abbé Ledieu, que Bossuet suspectoit leurs sentiments, et n'avoit pas une grande opinion de leurs lumières.

Mémoires du chancelier d'Aguesseau.-2 Mts. de Ledieu.

dissimuloient pas eux-mêmes la véritable raison qui leur faisoit si vivement désirer de sauver cette proposition. « C'étoit, dit l'abbé Ledieu, la crainte que la » mémoire de M. Arnauld ne fût enveloppée dans >> cette condamnation. »>

Bossuet jugea qu'on pouvoit ne pas insister dans les circonstances sur la censure de cette proposition, et il consentit qu'elle fût supprimée.

VI.-Le cardinal de Noailles est appelé à présider l'assemblée.

L'archevêque de Reims avoit perdu, par beaucoup de maladresse et par l'indiscrétion de son caractère1, tous les avantages qu'il auroit pu retirer de ses bonnes qualités. Bossuet lui-même reconnut que les préventions que l'on avoit contre ce prélat, entretenues par les ménagements et les hésitations d'un grand nombre d'évèques favorables aux jésuites, pouvoient faire craindre que la censure qu'il méditoit n'éprouvât de grandes oppositions. Il conçut alors le projet de faire intervenir dans l'assemblée un président dont le caractère respecté, la dignité imposante et le crédit supérieur pussent déconcerter toutes les intrigues, et ramener l'harmonie dans l'assemblée. Il se servit avec tant d'habileté de son ascendant sur l'archevêque de Reims, qu'il l'engagea à proposer lui-même à l'assemblée, d'inviter l'archevêque de Paris (Noailles) à assister à toutes les séances où il seroit question de doctrine et de morale. Pour comble de bonheur, l'archevêque de Paris devint cardinal au moment même où Bossuet se disposoit à faire le rapport du travail de la commission dont il étoit le chef. La dignité de cardinal donnoit naturellement la qualité de président de l'assemblée; et Bossuet prévit les heureux effets que les manières douces et tempérées du cardinal de Noailles, et l'opinion d'un crédit qui n'avoit encore reçu aucune atteinte, devoient produire sur tous les esprits et sur tous les partis.

Le 31 juillet, l'assemblée prit une délibération im

portante sur la manière d'opiner 1. « Il s'agissoit de >> savoir si les députés du second ordre auroient voix » délibérative dans les matières de foi et de doctrine. »

Après quelques discussions, on se régla sur l'exemple de l'assemblée de 1682, qui n'avoit accordé aux députés du second ordre que la voix consultative.

On ne peut douter que cet avis ne fût conforme à l'opinion très-arrêtée de Bossuet. Le lendemain du jour où cette délibération fut prise, il dit à l'abbé Ledieu : << Il est certain que le second ordre ne doit point avoir >> voix délibérative; et c'est mon avis, quoiqu'il y ait » des exemples contraires. »

L'abbé Bossuet, son neveu, qui étoit député à cette assemblée, et que son caractère, déjà bien connu, rendoit incapable de toute mesure, avoit rédigé une espèce de protestation contre cette délibération, et il se proposoit de la faire insérer dans le procès-verbal de l'assemblée. Il avoit même obtenu de quelques députés du second ordre qu'ils la signeroient. « Mais >> Bossuet s'y opposa fortement1, disant que c'étoit une » mutinerie, dont il défendoit à son neveu de donner >> l'exemple. >>

Le jour même où Bossuet présenta à l'assemblée les propositions dont il provoquoit la censure, il crut devoir prévenir les difficultés que des affections particulières, ou des considérations peu convenables dans une matière aussi grave, pourroient opposer à son zèle. La plus grande partie des propositions contraires à la morale évangélique, étoient extraites des écrits de quelques jésuites; et ils comptoient dans l'assemblée beaucoup d'évêques qui leur étoient attachés. C'est ce qui détermina Bossuet à s'expliquer devant l'assemblée elle-même avec une dignité, une franchise et une fermeté, qu'il n'appartenoit peut-être qu'à Bossuet seul d'exprimer avec autant d'énergie.

1 Mts. de Ledieu.

[merged small][ocr errors]

Il déclara donc à l'assemblée « que la censure des >> propositions qu'il soumettoit au jugement des évê>>ques, avoit obtenu l'assentiment unanime des mem» bres de la commission ; que cette censure étoit indis>> pensable; qu'elle étoit attendue de toute la France, » qui avoit les yeux sur l'assemblée ; qu'elle ne pouvoit >> plus être ni éludée, ni contredite, sans exposer le >> corps épiscopal à se voir accusé d'une foiblesse ou » d'une indifférence capable de compromettre son hon>>neur et sa dignité; que personne ne pouvoit plus >> ignorer que des opinions monstrueuses, qui faisoient » depuis longtemps le scandale de l'Eglise et de l'Eu>> rope, venoient de lui être solennellement dénon>>cées; et qu'on attendoit du zèle de tant d'évêques, >> recommandables par leur science et leurs vertus, » qu'ils vengeroient avec éclat la sainteté du christia>>nisme et la morale de Jésus-Christ offensées dans >> leurs maximes les plus pures et les plus incontes>> tables. >>

Bossuet ne craignit pas d'ajouter « qu'il se sentoit » si profondément convaincu et pénétré de l'obligation >> imposée à tous les évêques de réprimer de si déplo» rables excès, que si, contre toute vraisemblance, et >> par des considérations qu'il ne vouloit ni supposer »> ni admettre, l'assemblée se refusoit à prononcer un » jugement digne de l'Eglise gallicane; seul, il élève>> roit la voix dans un si pressant danger; seul, il » révéleroit à toute la terre une si honteuse prévarica» tion; seul, il publieroit la censure de tant d'erreurs >> monstrueuses. »

VIII. Délibération de l'assemblée sur le rapport de

Bossuet.

Enfin, le 26 août, le cardinal de Noailles vint présider l'assemblée; et Bossuet fit le rapport du travail de la commission. Il donna une idée générale des

« PreviousContinue »