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tout son clergé assemblé. La censure d'un tel évêque avoit bien plus de force dans l'opinion que toutes les procédures et tous les jugements des tribunaux.

Il paroît même que Bossuet s'étoit fait de cette règle de conduite une maxime de gouvernement ecclésiastique. L'abbé Fleury, dans des notes manuscrites qu'on nous a conservées, rapporte lui avoir souvent entendu dire « Il faut qu'un évêque instruise plutôt que de faire » des procédures. On n'appelle point de la parole de >> Dieu. >>

XIII. - Sagesse et modération de Bossuet.

Il évitoit de recourir à l'autorité pour ramener à leur devoir les ecclésiastiques qui osoient s'en écarter par quelque éclat scandaleux le poids de ses paroles suffisoit le plus souvent pour changer les cœurs et prévenir de nouveaux scandales. Ce ne fut qu'à la fin de sa vie, peu de mois avant sa mort (juillet 1703), qu'il se vit dans la nécessité de demander une lettre de cachet pour éloigner de sa paroisse un curé dont la présence y étoit un sujet continuel de trouble et de division. Nous devons ajouter que ce curé étoit déjà condamné à donner sa démission par deux sentences des officialités de Meaux et de Paris, dont il éludoit depuis longtemps l'exécution par des appels interminables à la primatie de Lyon, et à la grand'chambre du parlement de Paris et nous voyons par les manuscrits de l'abbé Ledieu, que ce ne fut pas sans peine qu'il crut devoir en cette occasion déroger à ses principes.

XIV.- Dignité et impartialité de Bossuet.

Nous ne croyons pas avoir besoin de dire que Bossuet avoit un sentiment trop juste et trop éclairé de la dignité de son caractère et de sa supériorité personnelle, pour subordonner ses principes de gouvernement à des préventions de corps ou de parti. Ce genre de mérite qui n'auroit pas dû en être un pour un évêque, étoit cependant remarquable dans un temps où des consi

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dérations plus ou moins raisonnables déterminoient à une sorte de préférence, lors même qu'elles ne conduisoient pas à une opposition plus ou moins déclarée. Bossuet s'est exprimé lui-même à cet égard avec une franchise que sa conduite habituelle n'a jamais démentie. Il se promenoit un jour sur la terrasse de Germigny avec le père Riberolles, de la congrégation de SainteGeneviève, et supérieur de son séminaire. « On parloit » de certains évêques qui étoient déclarés pour les jé>> suites, et d'autres pour les Pères de l'Oratoire. Les >> uns et les autres se dégradent par là, dit Bossuet. La >> foi est-elle attachée à des sociétés particulières ? N'est» elle pas dans l'épiscopat? On peut bien dire que j'ai >> des amis parmi les jésuites, que j'en ai parmi les » Pères de l'Oratoire; mais on ne dira jamais de moi » en général, comme on le dit de quelques évêques : II >> est ami des Pères de l'Oratoire; il est ami des jé>> suites. >>

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Le génie de Bossuet, quelque élevé qu'il fût, savoit s'abaisser quand il le falloit, pour se mettre à la portée de toutes les classes, de toutes les conditions, de tous les âges, et parler aux enfants même une langue accessible à leur foible intelligence. C'est ce qu'on peut observer dans le Catéchisme qu'il donna au diocèse de Meaux.

Un catéchisme est peut-être, dans la science de la théologie, l'ouvrage le plus difficile et le plus important que le zèle et l'amour de la religion puissent inspirer. Il doit réunir au degré le plus éminent la précision, la clarté, l'exactitude. Il ne doit pas offrir un seul mot inutile, indifférent ou équivoque. Il exige une connoissance profonde de la doctrine et de l'histoire de l'Eglise, puisée dans les sources les plus pures et les plus antiques.

Le théologien le plus consommé dans l'étude de l'Ecriture, des Pères, des conciles et des docteurs qui ont

écrit sur le dogme, doit en quelque sorte se méfier de ses connoissances mêmes. Il doit se défendre, pour ainsi dire, d'un zèle exagéré pour la pureté de la doctrine. Il doit éviter de laisser apercevoir sa préférence personnelle pour des opinions qu'il croit plus exactes, ou son opposition à des sentiments qu'il juge suspects ou dangereux. Un catéchisme ne doit exposer que les principes généralement admis par toute l'Eglise catholique, comme fondements de la foi. On doit en écarter toutes les questions abandonnées à la liberté des écoles, ou qui ne sont pas d'une nécessité immédiate pour le salut. Mais en même temps tout ce qui est nécessaire. au salut doit être compris dans ce code abrégé de toutes les lois de Dieu et de l'Eglise. Enfin ce code si important dans l'ordre des rapports de Dieu avec l'homme et de l'homme avec Dieu, doit être exprimé dans un langage si simple, et se présenter sous une forme si facile et si naturelle, qu'il puisse se graver sans effort dans la mémoire naissante des enfants. Il doit se borner à préparer leur raison à pouvoir comprendre, lorsqu'elle sera plus développée, tout ce que la religion permet à la raison de comprendre, et à se soumettre, par un effort même de raison, à tout ce qu'elle a interdit à l'intelligence des hommes. Tel fut l'esprit dans lequel Bossuet composa son Catéchisme.

Il avoit observé qu'on s'étoit borné jusqu'alors à enseigner aux enfants les éléments de la doctrine chrétienne, sans leur apprendre l'histoire de la religion ; connoissance cependant si indispensable pour suivre les vues de la Providence et l'ordre de ses desseins envers les hommes, pour lier le temps à l'éternité, la succession des siècles à l'origine du monde, tout ce qui est créé à tout ce qui a précédé la création, le genre humain à son auteur, la loi nouvelle à la loi ancienne, et montrer Jésus-Christ fondant de sa main divine une Eglise immortelle sur les ruines d'un temple bâti de la main des hommes.

Il est vraisemblable que jusqu'alors on avoit été ar

rêté par la difficulté ou par l'impossibilité apparente de renfermer tant de choses dans un ordre assez simple et assez abrégé, pour que l'intelligence d'un enfant put les saisir, les embrasser et s'en pénétrer. Mais il existoit un abbé Fleury, digne de concevoir la pensée de Bossuet, et capable de l'exécuter.

De même que le Catéchisme dogmatique demandoit un théologien aussi sage et aussi éclairé que Bossuet, le Catéchisme historique ne pouvoit être l'ouvrage que d'un homme profondément versé dans l'histoire de tous les âges de la religion; et tel étoit l'abbé Fleury. Son Catéchisme historique, entrepris à la sollicitation de Bossuet lui-même et revêtu de son approbation, venoit de paroître depuis quelques années.

Le Catéchisme de Bossuet renferme, pour ainsi dire, trois catéchismes. Le premier ne s'adresse qu'à ceux qui commencent. Il se borne aux premiers éléments de la religion, et aux dispositions nécessaires pour les mettre en état de recevoir la confirmation avec les sentiments de piété et de raison compatibles avec le premier âge de la vie.

Le second catéchisme est destiné à ceux que l'on dispose à recevoir la communion. Il est beaucoup plus développé, sans jamais s'écarter de la précision nécessaire à un âge où l'on peut beaucoup apprendre, et où l'on ne peut pas tout savoir. Bossuet y expose toute la suite de la doctrine chrétienne; et il a l'attention de la distribuer en plusieurs parties qui se lient et s'enchaînent les unes aux autres, de manière cependant à laisser des intervalles assez marqués, pour ne pas effrayer ces jeunes intelligences par l'étendue de la carrière qu'on leur présente à parcourir: méthode indispensable, en quelque genre que ce soit, pour un âge dont il faut exciter l'ardeur, en lui montrant de loin le but où il doit arriver, et dont il faut soutenir la foiblesse en lui ménageant des points de repos qui l'encouragent à de nouveaux efforts.

A ces deux catéchismes, Bossuet en ajouta un troi

sième d'un genre un peu plus relevé; et il le publia dans son synode de 1686. Il a pour objet tout ce qui concerne l'institution des fêtes et leur célébration. C'est un exposé de toute la législation de l'Eglise sur le culte public et sur les solennités religieuses.

On observe facilement que ce n'est plus à des enfants que Bossuet se borne à parler; il parle aux chrétiens de tout âge et de tout sexe, et il leur fait connoître tout ce qu'exige de leur part la religion qu'ils professent, et le culte qui en fait une partie si importante *.

XVI. Instruction des nouveaux convertis.

La révocation de l'édit de Nantes en 1685 donna une nouvelle activité au zèle de Bossuet pour l'instruction des nouveaux convertis.

Par une circonstance singulière, le diocèse de Meaux, qui avoit été le berceau du calvinisme en France, en fut aussi le tombeau. On sait que la ville de Meaux fut la première qui vit s'élever dans l'enceinte de ses murs une église prétendue réformée. Mais ce qui est peut-être moins connu, c'est que ce fut dans le diocèse de Meaux que se tint à Lisy, en 1683, sous l'épiscopat même de Bossuet, le dernier synode national assemblé avec l'autorisation du gouvernement'. Ce synode est non-seulement remarquable parce qu'il est le dernier qu'on ait vu en France, mais encore parce que le Roi, qui jusqu'alors s'étoit contenté d'envoyer aux synodes nationaux des commissaires protestants pour y maintenir l'ordre, nomma au synode de Lisy un commissaire catholique. Ce qu'il y eut de plus extraordinaire encore, c'est qu'on lui adjoignit un ecclésiastique pour second commissaire. Ce fut l'abbé de Saint-André **. *, jeune encore, et qui depuis a été grand-vicaire et official de Meaux sous le cardinal de Bissy. Il a survécu près de

* Le Catéchisme de Bossuet fut imprimé en 1687.

'Histoire de l'Eglise de Meaux, par dom Toussaint Duplessis.

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Il avoit trente-un ans. Il est mort en 1740, àgé de quatre-vingt huit ans.

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