Page images
PDF
EPUB

deux points sur lesquels alloient porter les délibérations de l'assemblée, la foi et la morale. Il dit :

« Qu'il étoit digne de l'assemblée 1, et conforme à >> l'esprit dont elle étoit animée, d'attaquer les erreurs >> même opposées, qui mettoient la vérité en péril; que >> si l'on n'avoit à consulter que la sagesse humaine, » on auroit à craindre de s'attirer trop d'ennemis de >> tous côtés : mais que la force de l'épiscopat consis>> toit à n'avoir aucun foible ménagement.

>> Qu'on devoit sans doute regarder comme un mal>> heur la nécessité de rentrer dans des matières déjà >> tant de fois décidées, et d'avoir seulement à nommer » le jansénisme; mais que puisqu'on ne se lassoit point » de renouveler ouvertement les disputes par des >> écrits répandus de toutes parts avec tant d'affectation, >> en latin et en françois, l'Eglise devoit aussi se rendre >> attentive à en arrêter le cours ; que l'autre sorte d'er>> reurs, qui regardoient la morale relâchée, n'étoit >> pas moins digne du zèle des évêques. »

Il fit lire ensuite les quatre propositions qui concernoient le jansénisme; mais, avant d'y appliquer les qualifications que la commission proposoit, il s'éleva une discussion sur la forme dans laquelle ces qualifications seroient exprimées. On demanda si on se contenteroit de les condamner in globo et respectivè, comme c'étoit assez l'usage à Rome, ou si l'on attacheroit à chacune d'elles des qualifications particulières.

Bossuet s'éleva contre l'idée de se borner à une condamnation in globo; il fit voir que les propositions qu'il soumettoit à la censure de l'assemblée, étoient si criantes, que la commission, après l'examen le plus attentif, n'avoit été ni partagée, ni arrêtée sur la nature des qualifications qu'elles devoient recevoir. En conséquence, les qualifications demandées par Bossuet et la commission, sur les quatre propositions favorables au jansénisme, furent unanimement adoptées par l'assemblée.

1 Procès-verbal de l'assemblée de 1700. OEuvres de Bossuet, tom. VI, p. 724 et suiv.

[merged small][ocr errors]

Dans la séance du lendemain 27 août, Bossuet proposa la condamnation de quatre propositions pélagiennes sur la grâce, extraites des thèses de quelques jésuites. Les deux premières avoient été soutenues dans leur collége Ludovisio à Rome, en 1699, et les deux dernières dans leur collége de Clermont à Paris, en 1683. Le cardinal de Noailles donna en cette occasion une preuve remarquable de sa modération et de son esprit conciliant. Il sentit qu'il seroit moins pénible pour les jésuites de France de voir condamner des propositions soutenues à Rome par des jésuites italiens, que des propositions hasardées à Paris même, par des jésuites françois. Il représenta en conséquence à l'assemblée, « que par la condamnation qu'elle venoit » de porter contre les quatre premières propositions, >> elle avoit suffisamment pourvu à la sûreté de la doc->>>trine contre les excès outrés du jansénisme, et que, >> par la condamnation qu'elle alloit prononcer contre >> les deux propositions soutenues au collége Ludovi>> sio, à Rome, elle réprimoit suffisamment les relâche>>ments du semi-pélagianisme. Il demanda en con>> séquence qu'on retranchât du projet de censure les >> deux propositions soutenues à Paris au collége de >> Clermont en 1685. » Toute l'assemblée et Bossuet luimême se conformèrent à l'avis du cardinal de Noailles.

Ce caractère de modération produisit les meilleurs effets; et le cardinal disposa ainsi tous les esprits à cette unanimité qui a donné tant de poids à la censure de l'assemblée de 1700.

Aussi, dans les séances suivantes, lorsqu'il fut question de prononcer la condamnation des propositions sur la morale relâchée, Bossuet n'eut à éprouver aucune contradiction; elles étoient d'ailleurs si révoltantes, qu'elles ne pouvoient trouver aucun défenseur. Il n'y eut de difficulté un peu importante que sur 'Procès-verbal de l'assemblée de 1700. t. vi. p. 724 et suiv.

la proposition dont l'auteur « osoit1 attribuer des équi>> voques et des restrictions mentales, non-seulement >> aux patriarches et aux anges, mais encore à Jésus>> Christ même. »

Bossuet posa pour principe la sincérité chrétienne commandée par Jésus-Christ: EST, EST, NON, NON; « qu'user d'équivoques ou de restrictions mentales, >> c'est donner aux mots et aux locutions d'une langue >> une intelligence arbitraire forgée à sa fantaisie, en>> tendue seulement de celui qui parle, et qui est op» posée à la signification ordinaire que lui donnent les >> autres hommes. >>

Il fit usage des raisonnements de saint Augustin pour donner une interprétation favorable aux équivoques que quelques auteurs reprochent à Abraham à l'occasion de Sara sa femme, et à Jacob au sujet du droit d'aînesse, dont Esau fut dépouillé contre l'intention présumée d'Isaac son père. Mais Bossuet ne dissimule pas que plusieurs Pères grecs avoient trouvé le mensonge officieux, ou du moins de l'équivoque dans le langage et les expressions de ces deux patriarches ; et il termine cette discussion par le jugement le plus raisonnable peut-être que l'on puisse porter sur ces exemples fameux dont on a tenté d'abuser.

« Au reste 1, dit Bossuet, on n'est pas obligé de ga>> rantir toutes les paroles des saints hommes à qui il >> peut avoir échappé quelque mensonge. Il vaudroit >> mieux les appeler tout simplement de leur nom, » comme des foiblesses humaines, que de vouloir les » excuser sous les artificieuses expressions d'équivoques >> et de restrictions mentales, où le déguisement et la >> mauvaise foi seroient manifestes. »

Parmi les propositions que l'on avoit retranchées, il en étoit quelques-unes qui concernoient la nécessité de l'amour de Dieu dans le sacrement de pénitence, et la fameuse doctrine du probabilisme. On avoit prétendu que l'Eglise ne s'étoit pas encore expliquée sur ces deux

Procès-verbal de l'assemblée de 1700, tom. VI. pag. 659 et suiv.

points d'une manière assez formelle et assez précise, pour qu'on pût établir une censure sans s'exposer à quelque contradiction. L'assemblée avoit en conséquence préféré d'exprimer ses sentiments sous la forme d'une déclaration; il devoit en résulter les mêmes avantages sans avoir à redouter aucune objection.

Le projet de déclaration que Bossuet présenta à l'assemblée établissoit en principe, sur la nécessité de l'amour de Dieu dans le sacrement de pénitence, que l'on ne doit pas demander une moindre disposition dans le sacrement de pénitence que dans celui du baptême, puisque l'Eglise elle-même a défini la pénitence un baptême laborieux or personne ne révoque en doute que l'Eglise n'exige dans les adultes qui reçoivent le baptême, un amour de Dieu, au moins commencé. Le concile de Trente s'est également expliqué sur la nécessité de l'amour de Dieu, au moins commencé dans le sacrement de pénitence, puisqu'il enseigne qu'outre les actes de foi et d'espérance, il faut encore commencer à aimer Dieu, comme source de toute justice *.

Mais en même temps, Bossuet observa qu'il y avoit sur cette matière deux écueils à éviter; l'un d'exclure des dispositions nécessaires au sacrement de pénitence un commencement d'amour de Dieu, et l'autre d'y exiger un amour justifiant, qui peut quelquefois se trouver dans le pénitent, mais qu'on ne doit ni demander, ni attendre comme une disposition nécessaire **.

* Il est vrai que le décret du concile de Trente ne regarde pas expressément le sacrement de pénitence. Il concerne la justification en général; et le concile en fait une application particulière au sacrement de baptême. (Concile de Trente, sess. 6, chap. 7.) Plusieurs théologiens ont nié que ce décret fût applicable au sacrement de pénitence. Bossuet les a réfutés dans son traité de l'amour de Dieu, nos 18 et 19, t. VI. p. 704, 705 de ses Œuvres.

** Bossuet a développé avec plus d'étendue ses sentiments dans son traité de l'amour de Dieu. Cette question fut l'une de celles qu'il discuta avec le plus de soin dans les Conférences ecclésiastiques qu'il tint à Meaux, après la séparation de l'assemblée de 1700. Les curés de son diocèse le prièrent de mettre par écrit les instructions qu'il leur avoit données de vive voix sur cette matière, pour qu'elles pussent devenir

La sagesse et la modération de Bossuet se font surtout remarquer dans la condamnation qu'il provoqua contre les excès du probabilisme.

X.- Du probabilisme.

La doctrine du probabilisme est peut-être l'une des idées les plus extraordinaires que l'imagination déréglée des hommes ait osé produire au grand jour. Il semble que sa nouveauté seule auroit dû suffire pour la rendre suspecte. L'Eglise avoit vu s'écouler près de seize siècles, sans que personne eût osé hasarder un sentiment aussi extravagant et aussi pernicieux.

Antoine de Cordoue, théologien espagnol de l'ordre de Saint-François, écrivoit encore en 1571, « que tous >> les théologiens déclaroient, d'un consentement una>> nime, que l'on devoit toujours adopter l'opinion la >> plus sûre, lorsque l'opinion opposée étoit également » probable, et qu'à plus forte raison l'on devoit lui >> donner la préférence, lorsqu'elle étoit plus pro>> bable.»

Une opinion probable est celle qui, sans avoir ni le caractère, ni la force de la certitude, détermine pourtant à croire que telle action est permise ou défendue.

De cette notion si simple et si claire, on devoit naturellement conclure qu'un homme sage et vertueux n'a le droit de pencher pour une opinion plutôt que pour une autre, qu'après avoir balancé, avec l'attention la plus sérieuse et la plus impartiale, toutes les raisons qui peuvent combattre l'opinion à laquelle il est disposé à donner la préférence.

Barthélemi de Médina, religieux dominicain, fut le premier qui, en 1577, établit « qu'on pouvoit en sûreté

utiles à un grand nombre de personnes. C'est de ces instructions faites de vive voix, que Bossuet a composé le traité de l'amour de Dieu ; il ne le fit cependant point imprimer, parce qu'il fut distrait jusqu'à la fiu de sa vie par d'autres occupations. Son neveu, l'évêque de Troyes, le fit paroître pour la première fois en 1736. On le trouve au tome vi. p. 698 et suiv. de ses QEuvres.

« PreviousContinue »