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suet; on peut dire cependant que l'esprit de conciliation du cardinal de Noailles, et ses manières douces et modestes contribuèrent utilement à disposer tous les esprits à ce concert unanime, qui ajouta un nouveau poids à l'autorité des décisions de cette assemblée.

XII.- Bossuet prêche devant le roi et la reine d'Angleterre.

Le jour même où l'assemblée venoit de se séparer, Bossuet se vit obligé de déférer aux instances du roi 1 et de la reine d'Angleterre. Ils étoient alors établis au château de Saint-Germain, noble et magnifique retraite, où la magnanimité de Louis XIV avoit préparé à ces augustes infortunés toutes les consolations qui pouvoient adoucir leur malheur.

Bossuet avoit assisté toute la matinée du 21 septembre à la dernière séance de l'assemblée du clergé; et à quatre heures après midi du même jour, il prêcha devant le roi et la reine d'Angleterre.

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« On admira 2 la magnifique péroraison de ce dis>> cours, que les circonstances des temps et des per>> sonnes rendoient si délicate et si difficile *. Cette péroraison commençoit par une prière touchante » adressée à Dieu, par laquelle il demandoit les béné>> dictions du ciel pour le roi, la reine, le prince de » Galles et la princesse sa sœur. Il appuya sur les espérances que le roi devoit avoir de remonter sur le » trône pour l'intérêt de la religion; il releva son cou» rage par la toute-puissance de Dieu, dont il rap>> porta des exemples aussi consolants que touchants » pour de tels auditeurs. Il commença par David, sim

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ple berger, désigné roi, depuis exilé chez ses enne» mis, chassé même de chez eux, et ensuite élevé sur » le trône; Joas, encore au berceau, sauvé des fureurs

Jacques II.- Journal manuscrit de l'abbé Ledieu.

* On doit regretter qu'elle ne soit point parvenue jusqu'à nous. Il est vraisemblable que Bossuet ne l'avoit pas écrite, et qu'il ne fit que s'abandonner au mouvement de son cœur sur un sujet qui appeloit tant de réflexions.

» d'Athalie, élevé dans le temple sous la main de » Dieu, et de là conduit sur le trône, sans guerre, >> sans commotion, sans d'autre sang répandu que ce>> lui de la sanguinaire Athalie; Louis d'Outre-Mer, » réfugié, revient prendre possession du trône de ses » pères. » On devine facilement les réflexions et les motifs d'espérance et de consolation que Bossuet fit sortir d'un tel exemple, par la conformité et le contraste même qu'il offroit avec la situation où se trouvoit le jeune prince de Galles.

<« Il faisoit apparoître la toute-puissance de Dieu >> opérant sans cesse toutes les merveilles de la grâce » sur les cœurs, non-seulement pour les détacher » d'eux-mêmes, mais encore de toutes les grandeurs » du monde. Là, sans paroître parler au roi et à la >> reine de leur affliction, il faisoit voir pour leur con>>solation que cette toute-puissance de Dieu se faisoit >> sentir particulièrement dans les tribulations et les >> infortunes; qu'alors l'esprit humain ne trouvant >> plus de ressource à ses maux, elle se plaisoit à opé>> rer ses plus grandes merveilles, pour apprendre à la » créature sa dépendance du Créateur.

>> Tout le discours2 étoit d'une sublime théologie, et >> partout également consolant pour des rois dans un >> si grand malheur, sans jamais néanmoins trop ar» rêter leurs regards et leurs pensées sur l'abîme de >> leur chute, mais leur montrant toujours des miracles » de la toute-puissance de Dieu.

>> On voyoit passer de temps en temps comme des éclairs et des traits de la plus vive éloquence, et l'ora>>teur revenoit aussitôt au style simple et familier » d'une homélie; car ce fut le caractère de ce discours, >> plein de la parole de Dieu et des exemples les plus >> familiers de l'Evangile. »

Pendant les séances de l'assemblée du clergé à Saint-Germain, Bossuet eut souvent occasion de voir le roi Jacques II. Ce prince lui dit plusieurs fois qu'il 1 Journal manuscrit de l'abbé Ledieu. Ibid.

avoit eu l'intention de l'appeler à Londres, si l'état des affaires le lui eût permis, pour conférer avec les chefs de l'église anglicane. Bossuet sentit son zèle s'échauffer, quand il entendit Jacques II lui exprimer ses vœux et ses regrets. Il répondit à ce prince « qu'il au>> roit passé les mers avec joie pour obéir aux ordres de >> Sa Majesté et seconder de tout son pouvoir ses reli>> gieuses intentions. »

Bossuet revenoit souvent avec regret et avec douleur sur cette pensée; il disoit « qu'il se seroit flatté de >> gagner bien des choses sur les Anglois, à cause du >> respect qu'ils avoient pour la sainte antiquité. » II croyoit également pouvoir tirer un grand avantage de leurs divisions domestiques sur la religion.

XIII. Du Problème ecclésiastique.

La paix de Clément IX avoit été favorable à la tranquillité du gouvernement et à celle de l'Eglise. Elle avoit duré trente ans; et pendant ce long intervalle, presque tous les hommes célèbres, presque tous les écrivains distingués qui avoient illustré l'école de PortRoyal avoient cessé d'exister.

«Mais leurs successeurs 1 eurent l'indiscrétion de » rompre un silence forcé, qui leur avoit été cepen>> dant si salutaire. >>

Un neveu du fameux abbé de Saint-Cyran (Barcos) « s'avisa de faire 2 paroître une Exposition de la foi, » dans laquelle on prétend qu'il renouveloit les erreurs >> condamnées dans les cinq fameuses propositions. Au >> premier bruit de ce livre, les disputes se renouve» lèrent; les deux partis s'émurent, et l'archevêque » (le cardinal de Noailles), obligé d'interposer sa nou» velle autorité, pour étouffer la discorde renaissante, >> rendit en 1696 une ordonnance qui ne satisfit aucun >> des deux partis, et dont ils firent l'éloge ou le blâme » par une contradiction presque égale....

» Ainsi le seul effet d'une ordonnance, qui ne conMémoire du chancelier d'Aguesseau, tom, xш. p. 165. —2Ibid.

» tenta personne, fut d'attirer sur son auteur la que>> relle qu'il vouloit terminer entre les deux partis, et » de faire sentir dès lors à l'archevêque de Paris, com>> bien il est difficile d'être neutre dans les discordes » civiles, et par quelle fatalité il arrive presque tou» jours que les deux combattants se tournent égale»ment contre celui qui veut les séparer. »>

Voilà ce que le chancelier d'Aguesseau nous rapporte au sujet de cette ordonnance du cardinal de Noailles; mais ce qu'il ne nous dit point, parce qu'il l'ignoroit probablement, et ce que les manuscrits de l'abbé Ledieu nous apprennent, c'est que Bossuet étoit le véritable auteur de la partie dogmatique de cette ordonnance *. Il paroît qu'il ne voulut jamais en convenir publiquement, et ce ne fut que quelques an nées après, qu'il en fit l'aveu en présence de l'abbé Ledieu. Nous avons cru ne pas de voir omettre un fait qui servira à jeter de la clarté sur la suite de notre récit.

C'est d'après cette ordonnance du cardinal de Noailles, que fut publié le Problème ecclésiastique, vers la fin de 1698, ou au commencement de 1699.

« L'auteur 2, alors inconnu, de ce libelle satirique, >> opposoit Louis-Antoine de Noailles, évêque de Châlons, » à Louis-Antoine de Noailles, archevêque de Paris, » et demandoit malignement lequel des deux on devoit » croire, ou l'approbateur des réflexions du père Ques» nel, sur le Nouveau Testament, ou le censeur du livre » de l'Exposition. Il se jouoit avec assez d'esprit dans » cet ouvrage de la contradiction qu'il croyoit trouver » entre l'évêque et l'archevêque, entre l'approbation » de ce qu'on appeloit le jansénisme dans le père » Quesnel, et la condamnation du même jansénisme » dans le livre de l'Exposition.

>> C'est ainsi que fut donné comme le premier signal

1 Du 20 août 1696.

* On l'a imprimée au tom. vi. p. 726 des Œuvres de Bossuet. 2 Mémoires du chancelier d'Aguesseau, t. XIII. p. 165.

» de cette guerre fatale, que le livre du père Quesnel » a depuis allumée dans l'Eglise.

» Le soupçon tomba d'abord sur les jésuites...... Et le » père Daniel, distingué dans sa société par son génie » et sa capacité, eut le malheur d'en être plus accusé » que les autres....

> Tout ce qui parut de plus certain alors, c'est que » si les jésuites n'avoient pas eu de part à la composi» tion, ils en avoient eu du moins à sa publication, et » que c'étoit un père Soâtre, jésuite flamand, qui l'avoit fait imprimer à Liége.

» Mais le véritable auteur de ce fameux ouvrage fut » enfin démasqué quelques années après. Dom Thierri » de Viaixnes, bénédictin de la congrégation de Saint» Vannes, et janseniste des plus outrés, qui fut mis à » la Bastille par ordre du Roi, avoua dans la suite qu'il >> avoit composé le Problème *. » Cependant on doit dire que quelques personnes ont prétendu dans le temps, et prétendent encore aujourd'hui que Dom Thierri de Viaixnes ne fut que le copiste du Problème ecclésiastique, et que le père Doucin, jésuite, en fut le véritable auteur.

Mais, avant qu'on eût fait cette découverte, le cardinal de Noailles resta convaincu que les jésuites en étoient les véritables auteurs. Le ressentiment qu'il en conçut laissa éclater l'opposition assez mal dissimulée qui avoit toujours existé entre ce prélat et cette société. Ne voulant pas cependant s'établir lui-même le vengeur de son honneur offensé ', il fit agir le parlement, qui ordonna, par un arrêt du 29 janvier 1699, que le Problème ecclésiastique seroit brùlé.

Le cardinal sentit en même temps que cet acte de l'autorité publique ne suffisoit pas pour le justifier en

Le chancelier d'Aguesseau étoit plus à portée que personne, en sa qualité de procureur général, et par ses relations intimes avec M. de Pontchartrain, alors chargé du département de Paris, de savoir la vérité d'un fait qu'il affirme si positivement.

Mémoires du chancelier d'Aguesseau, t. XIII. pag. 165.

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