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a exagéré dans ces derniers temps le nombre de protestants établis en France, plus on a fait, sans le vouloir, l'éloge de la fidélité de Louis XIV à remplir ses engagements.

On peut bien penser que nous avons mis un extrême intérêt à rechercher si Bossuet avoit été consulté sur la révocation de l'édit de Nantes. Si un évêque de France avoit dû l'être, c'étoit certainement Bossuet, et tout nous persuade qu'il ne l'a pas été.

Nous n'avons rien trouvé dans ses papiers, ni dans ceux de l'abbé Ledieu, qui puisse seulement laisser entrevoir qu'il ait été appelé à délibérer sur cette grande mesure; et il est impossible de supposer que s'il Ꭹ eût pris la moindre part, il n'en eût pas laissé échapper quelque indice devant l'abbé Ledieu, si attentif à recueillir ses paroles, si exact à nous les rapporter.

Sans oser se permettre de préjuger quel eût été l'avis de Bossuet, si Louis XIV le lui eût demandé, on peut seulement assurer avec confiance, que toutes les difficultés qui s'élevèrent immédiatement après la révocation de l'édit de Nantes, pour appliquer les maximes et les règles de la discipline ecclésiastique à ce nouvel ordre de choses, prouvent évidemment que Bossuet ne fut pas consulté.

Comment supposer que Bossuet, si prévoyant et si éclairé dans tout ce qui appartenoit à la religion et à l'administration des sacrements, n'eût pas prévu et annoncé tous les embarras où les évêques de France alloient se trouver par les conséquences d'une loi, qui avoit évité ou négligé de s'expliquer sur l'un des points les plus importants pour le repos des familles. Elle n'avoit en effet prescrit aucune mesure à l'égard de cette multitude de nouveaux convertis dont la conversion étoit au moins très-équivoque; et elle gardoit un silence encore plus inexplicable sur les protestants non convertis, qu'on laissoit sans culte religieux, et dont on ne régloit pas même l'état civil.

Les principes que nous verrons bientôt professer à

Bossuet, lorsqu'il sera question d'apporter quelque remède à des mesures si mal concertées, dénotent clairement que ni Bossuet, ni aucun évêque, à l'exception peut-être de M. de Harlay, archevêque de Paris, ne furent admis aux délibérations qui décidèrent la révocation de l'édit de Nantes.

XVI.

Les protestants eux-mêmes rendent justice à la modération de Bossuet.

On a vu Bossuet dans tous les temps de sa vie suivre le même système de conduite envers les protestants, et ne demander jamais pour leur conversion que des moyens d'instruction et d'encouragement *. On l'a vu fidèle à ces principes après comme avant la révocation de l'édit de Nantes. On l'a vu toujours occupé à préserver son diocèse de toutes les mesures de rigueur qui étoient alors si communes dans quelques provinces du royaume. C'est une justice que se sont plu à lui rendre les plus célèbres ministres protestants. Le ministre du Bourdieu, l'un des plus distingués, écrivoit à un magistrat de Montpellier, protestant lui-mème': « Je vous » dirai franchement que les manières honnêtes et chré>> tiennes par lesquelles M. de Meaux se distingue de >> ses confrères, ont beaucoup contribué à vaincre la ré>> pugnance que j'ai pour tout ce qui s'appelle dispute. >> Car, si vous y prenez garde, ce prélat n'emploie que » des voies évangéliques pour nous persuader sa reli» gion. Il prêche, il compose des livres, il fait des let» tres, et travaille à nous faire quitter notre croyance

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Ce fut par l'avis de Bossuet que le gouvernement fit imprimer à ses frais cinquante mille exemplaires de la traduction du Nouveau Testament, du père Amelotte; et un pareil nombre d'exemplaires des Prières de la liturgie, traduites en françois. Ils furent distribués dans les provinces par ordre du Roi. C'étoit la manière la plus simple et la plus sûre de désabuser la multitude, à qui ses ministres avoient persuadé que l'Eglise catholique vouloit cacher au peuple la connoissance des livres sacrés et des prières de la liturgie, et que c'étoit par ce motif qu'elle s'obstinoit à célébrer le culte public dans une langue inconnue au vulgaire.

'OEuvres de Bossuet, tom. ix.

>> par des moyens convenables à son caractère et à l'es>> prit du christianisme. Nous devons donc avoir de la >> reconnoissance pour les soins charitables de ce grand >> prélat, et examiner ses ouvrages sans préoccupation, » comme venant d'un cœur qui nous aime et souhaite >> notre salut. Aussi les intentions droites et pures de ce grand homme, jointes au ressentiment que j'ai de » vos faveurs, m'ont déterminé à vous envoyer les ré>> flexions que j'ai faites sur la lettre que vous m'avez » envoyée. »

>>

C'étoit dans une lettre confidentielle, et que Bossuet ne devoit jamais voir, que le ministre du Bourdieu rendoit une justice si sincère à ses principes de douceur et de modération envers les protestants.

Depuis même la révocation de l'édit de Nantes, on voit que parmi les réfugiés, ceux d'entre eux qui n'étoient pas entièrement égarés par l'esprit de parti, avoient conservé la même opinion des sentiments de Bossuet à leur égard; et lorsqu'ils se croyoient obligés de combattre sa doctrine, ce n'étoit qu'en rendant hommage à son génie et à ses vertus. On remarque dans un ouvrage qu'ils firent imprimer à Berne, en 1686, sous le titre de Séduction éludée, qu'ils ne parlent de lui «< que comme d'un prélat illustre, que Dieu, dont >> l'immense libéralité n'a non plus d'égards à l'appa>>rence des religions qu'à celle des personnes, a orné >> et enrichi d'une infinité de merveilleux dons; pour » lequel aussi ils avoient une vénération particulière, >> ayant toujours eu parmi eux une grande considéra>>tion pour son mérite. »>

Il nous semble que ce témoignage rendu à Bossuet par des protestants, dans des écrits publiés immédiatement après la révocation de l'édit de Nantes, indique assez que le plus grand nombre d'entre eux étoit bien éloigné de partager les fureurs de Jurieu, et de croire que Bossuet eût eu aucune part à tout ce qui s'étoit passé à cette époque.

XVII. Embarras des évêques après la révocation de l'édit de Nantes.

La révocation presque imprévue de l'édit de Nantes laissa retomber sur les évêques et sur le clergé tous les malheurs et tous les inconvénients de cette précipitation. N'ayant point été consultés sur une loi dont ils n'eurent connoissance qu'avec le reste de la France, ils n'avoient pu indiquer aucune des mesures relatives, aucune des précautions de sagesse qui auroient dû accompagner ce nouvel ordre de choses.

Les protestants de France se trouvèrent alors divisés en deux classes, celle que l'on appeloit les nouveaux convertis, et celle des protestants qui avoient cru devoir persévérer dans leur religion.

L'édit même de révocation assuroit à ces derniers leur tranquillité personnelle, et leur laissoit l'exercice de tous leurs droits de citoyens.

Mais la loi avoit été si imprévoyante à leur égard, qu'elle n'avoit rien annoncé, ni rien statué sur le plus important de tous les actes civils, celui qui peut seul assurer la transmission des propriétés et de tous les droits de l'ordre civil.

L'édit avoit à la vérité réglé ce qui regardoit les actes de naissance; et en partant du principe commun aux deux religions sur la validité du baptême, par quelque main qu'il soit conféré, on avoit présumé que les protestants ne refuseroient pas à envoyer leurs enfants à l'église, pour y recevoir le baptême.

Une loi postérieure à l'édit de révocation régla d'une manière assez raisonnable ce qui concernoit les sépultures.

Mais il restoit l'article des mariages, si essentiel dans toute société politique, et dont l'influence s'étend di-. rectement ou indirectement sur tous les actes civils.

Non-seulement l'édit de révocation gardoit le plus profond silence sur cet article important, mais, pendant plus d'un siècle, le législateur n'a jamais voulu

s'expliquer sur une question qui se renouveloit tous les jours sous ses yeux, et qui de toutes les questions sembloit devoir être la plus urgente à résoudre.

Ce silence forcé venoit de la nature même de la question. Le mariage étant un sacrement dans l'Eglise catholique, le gouvernement avoit senti qu'il ne pouvoit, ni ne devoit ordonner aux ministres de cette Eglise de conférer un sacrement à une classe d'hommes qui se refusoient à en reconnoître le caractère et les effets.

Ce qui est plus étonnant, ou ce qui tient peut-être à des considérations que nous ignorons, c'est que l'idée d'autoriser le juge civil à recevoir les actes de mariage protestants ne se présenta à personne.

On préféra d'avoir recours à la plus étrange des fictions; on aima mieux supposer qu'il n'existoit plus de protestants en France. On présuma que le désir naturel d'assurer l'état de leurs enfants porteroit la plupart d'entre eux à célébrer leurs mariages devant les ministres de l'Eglise catholique, et que ceux-ci useroient d'une sage condescendance pour faciliter ces mariages. C'est ce qui arriva en effet dans un grand nombre de diocèses, et pour un grand nombre de familles.

Mais la question restoit toujours la même, et aussi difficile à résoudre pour cette classe nombreuse de protestants disséminés dans les campagnes, à qui l'intérêt puissant de la propriété ou l'esprit de famille ne pouvoient faire vaincre leur répugnance à se présenter à l'église pour recevoir la bénédiction nuptiale.

C'est dès lors qu'on vît naître cette contradiction singulière entre la loi qui ne parloit point et la jurisprudence des tribunaux qui suppléoit au silence de la loi. Dans plusieurs questions particulières soumises à leur jugement, les tribunaux prononcèrent qu'il existoit des protestants, malgré la fiction qui supposoit qu'il n'en existoit plus; et assurèrent les effets civils à leurs mariages, quoiqu'ils ne fussent point contractés dans la forme prescrite par les lois. Mais ces décisions étoient aussi variables que les dispositions du gouvernement,

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