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fureur que les lois de tous les pays punissent avec la dernière rigueur.

Cette crise effrayante dura jusqu'à la paix de Riswick. Ce fut alors que les protestants reconnurent la vanité de toutes les illusions dont ils s'étoient laissé bercer par le fougueux Jurieu et par quelques ministres, plus familiarisés avec les controverses théologiques qu'avec les intérêts des princes.

Et comment les puissances protestantes qui traitèrent à Riswick, auroient-elles pu intervenir en faveur des protestants de France, lorsqu'il étoit si facile à Louis XIV d'annuler leur intervention, en se bornant à demander pour les catholiques de leurs états ce qu'ils auroient demandé pour ses sujets protestants.

Enfin la paix de Riswick vint rendre le calme à la France, et permit au gouvernement de s'occuper du sort des protestants. Le marquis de Louvois, le plus ardent promoteur des mesures de rigueur, n'existoit plus1, et Louis XIV étoit toujours disposé à accueillir tous les moyens de douceur et de raison qui étoient conformes à sa modération et à son équité naturelles. Les cris de tant de victimes innocentes et coupables avoient retenti jusqu'à son âme sensible et généreuse. Sa religion même s'étoit indignée de l'abus criminel qu'on avoit osé faire de son nom et de son autorité contre ses intentions bien connues et souvent exprimées. Le cardinal de Noailles, qui étoit également opposé par caractère et par principes à tout ce qui pouvoit ressembler à la contrainte et à la violence; Bossuet, qui n'avoit jamais voulu employer que les armes de la science et les moyens d'instruction, firent prévaloir peu à peu les conseils de la douceur et de la modération. Ils furent heureusement secondés par les insinuations encore plus persuasives de madame de Maintenon, que la piété, naturelle à son sexe, et une raison douce et calme rendoient toujours accessible à des maximes avouées par la religion comme par l'humanité. Il étoit mort subitement au mois de juillet 1691.

Il est même à présumer que Louis XIV n'auroit pas attendu la paix de Riswick pour remédier aux calamités qui désoloient plusieurs de ses provinces, si la crainte de paroitre céder à l'intervention des puissances étrangères, ou aux actes séditieux de quelques sujets révoltés, n'eut pas offensé sa grandeur. Mais quoique la perspective de la succession de l'Espagne l'eût porté à faire de grands sacrifices à Riswick, il conservoit encore une grande prépondérance en Europe, et les protestants des Cévennes et du Vivarais, contenus, désarmés ou punis, sans espoir désormais d'obtenir du dehors les secours qu'ils en avoient attendus, laissoient à ce prince la liberté de n'écouter que sa justice et sa bonté, sans compromettre sa dignité et sa gloire.

XVIII.

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Changement de conduite du gouvernement envers les protestants.

Le gouvernement commença par donner aux commandants et aux intendants des provinces de nouveaux ordres et de nouvelles Instructions *. Une déclaration rendue au mois de décembre 1698, en confirmant en général l'édit du mois d'octobre 1685, qui révoquoit celui de Nantes, modifioit en plusieurs points les lois et les arrêts qui avoient suivi l'édit de révocation. Cette déclaration défendoit tout exercice de la religion prétendue réformée et toute assemblée des ministres; mais elle n'ordonnoit plus, et se contentoit d'exhorter les nouveaux convertis à l'assistance la plus exacte qu'il seroit possible, à l'office divin, et à l'observation des commandements de l'Eglise.

Le Roi assuroit la restitution de tous leurs biens à tous les protestants sortis du royaume, qui consentiroient à revenir pour se faire instruire.

Cette disposition de la déclaration de 1698 est remarquable; elle devient une nouvelle preuve de la sincérité des intentions de Louis XIV, lorsque, dans

Plusieurs pièces que nous avons entre les mains nous indiquent que ces instructions furent l'ouvrage de Bossuet.

son édit de révocation, il avoit solennellement garanti aux protestants de France la liberté de vivre paisiblement dans leurs familles, d'y jouir de leurs biens, et d'exercer le commerce. Non seulement elle prouve que ce prince n'avoit jamais eu l'intention de les bannir du royaume, mais elle indique clairement qu'il ne les en avoit vus sortir qu'à regret. En leur rendant tous les biens que leur désobéissance à ses défenses leur avoit fait perdre, il n'attacha à cette grâce qu'une seule condition; et cette condition n'imposoit même aucune gêne à la liberté de leur conscience. Elle se bornoit à les inviter à se faire instruire, sans fixer aucun terme, sans prescrire aucun délai pour les obliger à s'expliquer sur les résultats de leur instruction. On ne peut certainement pas dire qu'un consentement à se faire instruire soit une atteinte portée à la liberté de la conscience. Un grand nombre de protestants profitèrent du bienfait de la déclaration de 1698, rentrèrent dans leurs biens, et restèrent protestants sans qu'on les ait même jamais recherchés sur l'engagement qu'ils avoient contracté de se faire instruire.

L'exécution de cette loi ne fut plus commise à une autorité arbitraire et illimitée. Une Instruction trèsétendue, adressée aux intendants, en paroissant leur prescrire ce qu'elle laissoit encore à leur ministère, révoquoit la plus grande partie des pouvoirs qu'ils avoient eus jusqu'alors.

Ils avoient été chargés directement de tout ce qui concernoit les nouveaux convertis, « parce que, dit » l'Instruction, il y avoit dans les commencements et » dans la conjoncture une infinité de choses, qui dé>> pendoient plus de l'économie et de la direction, que » de la justice distributive. >>

Le Roi annonçoit que son intention étoit de laisser désormais agir les officiers de justice.

« Sa Majesté leur (aux intendants) recommande seu>>lement deux choses en général : la première, d'exciter » le zèle des tribunaux et de prendre garde, ou qu'ils

» ne tolèrent par leur négligence des désordres con>> traires aux édits, ou que, par des démarches impru» dentes, ils ne fassent dégénérer leur vigilance en >> vexation; la seconde, d'informer Sa Majesté, s'il ar>> rive quelque occasion extraordinairc et éclatante, >> afin qu'elle leur donne, si elle le juge à propos, les >> ordres et les pouvoirs dont ils auront besoin. »

L'Instruction entre ensuite dans un grand détail sur tout ce qui peut avoir rapport aux articles de la déclaration. Elle les charge de veiller sur les attroupements, sur les prêches, sur les prédicants, sur ceux qui s'introduisent dans les maisons des malades, pour détruire les bonnes impressions qu'ont pu faire les discours des curés; mais, dans ces cas mêmes, leur ministère doit se borner uniquement à informer Sa Majesté.

Il leur est surtout défendu « d'obliger les nouveaux » convertis à approcher des sacrements, comme quel>>ques officiers par un faux zèle l'avoient fait en quel>>ques endroits. Sa Majesté, qui sait qu'il n'y a point de >> crime plus grand, ni plus capable d'attirer la colère » de Dieu que le sacrilége, déclare aux intendants » qu'elle ne veut pas qu'on use d'aucune contrainte, » pour porter les nouveaux convertis à recevoir les sa>> crements, ni qu'on fasse, à cet égard, aucune diffé>>rence entre eux et les anciens catholiques. Les ma>> gistrats doivent laisser aux supérieurs ecclésiastiques >> et aux confesseurs le soin de discerner les disposi>>tions intérieures de ceux qu'ils jugeront, suivant les >> règles de l'Eglise, pouvoir être admis à la partici>>pation des sacrements. >>

La copie de cette Instruction fut envoyée aux évêques; et le Roi leur écrivoit une longue lettre, dans laquelle il est facile de reconnoître, comme dans l'Instruction, le langage et les principes de Bossuet.

XIX. Lettre et Mémoire du Roi aux évêques.

Le Roi leur marquoit que c'étoit principalement de leur ministère qu'il attendoit la confirmation du grand

ouvrage de la réunion, par la sainteté de leur vie, l'exemple de leur application infatigable à instruire le peuple soumis à leur conduite.

Quoique dans une fonction de cette nature, qui regarde uniquement le salut des âmes, le Roi n'eût qu'à laisser agir leur zèle et leurs lumières, il avoit cru néanmoins, disoit-il dans sa lettre aux évêques, pour établir l'uniformité si nécessaire dans la conduite qui doit être tenue à l'égard des nouveaux convertis de son royaume, qu'il étoit important de leur en proposer quelques-uns de généraux dans un mémoire particulier, sans prétendre toutefois en faire des règles immuables de conduite.

Le mémoire, joint à la lettre, s'énonçoit en ces termes :

« Quoique les connoissances que MM. les archevêques » et évêques ont de la disposition des nouveaux con» vertis dans leurs diocèses, doivent conduire leur zèle » dans le choix des moyens les plus propres pour » rendre les instructions utiles et efficaces, il y en a »> néanmoins quelques-uns de généraux, dont on se » promet un heureux succès.

» Les nouveaux convertis ont été nourris dans une >> si grande aversion et dans un tel éloignement des >> ordres religieux, qu'il est de la prudence des arche» vêques et évêques de se servir, autant qu'ils pour»ront, du clergé séculier pour leur instruction, jus» qu'à ce qu'ayant connu de plus près la sainteté de >> ces instituts, et le bien que ceux qui les ont embrassés >> font dans l'Eglise, ils soient désabusés par eux>> mêmes des fausses impressions qu'on leur a données.

>> Mais il est important que les archevêques et évê» ques usent d'un grand discernement dans le choix » des ecclésiastiques auxquels ils confieront le soin de >> ces instructions, en n'y employant que ceux dont la capacité, la piété, le désintéressement et la sagesse >> leur soient bien connus. On ne doute pas que de tels » ecclésiastiques ne fassent beaucoup de fruit, si les

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