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quand on n'est pas dans l'Eglise, et qu'on veut en >> dresser une nouvelle.

>> Et afin qu'on entende mieux de quelle Eglise » saint Cyprien a voulu parler, c'est de l'Eglise qui re>>> connoît à Rome le chef de sa communion; et dans » la place de Pierre, l'éminent degré et l'Eglise prin» cipale d'où l'unité sacerdotale a tiré son origine. »

Bossuet profite ensuite dun trait historique, qui appartenoit à un évêque de Meaux, encore plus qu'à tout autre évêque, et il s'en sert pour rappeler aux protestants l'origine récente et peu honorable de la plupart de leurs églises. Il appelle en témoignage leurs propres historiens, qui n'ont pu dissimuler qu'elles ont presque toutes été fondées par des laïques sans caractère, sans mission et sans instruction.

Il remet sous les yeux des nouveaux convertis de son diocèse ce que leurs pères avoient vu, ou du moins n'avoient pu ignorer. « Souvenez-vous, leur dit-il, de » Pierre Le Clerc, cardeur de laine. Je ne le dis pas » par mépris de la profession, ni pour avilir un travail >> honnête, mais pour taxer l'ignorance, la présomp>>tion et le schisme d'un homme qui, sans avoir de >> prédécesseur ou de pasteur qui l'ordonnât, sort » tout-à-coup de sa boutique pour présider dans l'é>> glise. C'est lui qui a dressé l'église prétendue réformée » de Meaux, la première formée en France en 1546. »

Bossuet reproduit les mêmes raisonnements dont il avoit fait usage dans sa lettre sur l'adoration de la croix, pour répondre aux objections populaires des protestants sur le culte que les catholiques rendent à l'image de la croix, à celles des saints et à leurs reliques.

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Quand même des particuliers, dit Bossuet, n'au>> roient pas des intentions assez épurées, l'infirmité de >> l'un ne fait pas de préjudice à la foi de l'autre ; et quand il y auroit de l'abus dans la pratique de ces >> particuliers, n'est-ce pas assez que l'Eglise les en >> reprenne?

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>> Et quand on ne les reprendroit pas assez fortement, >> autre chose est ce qu'on approuve, autre chose ce » qu'on tolère; et quand on auroit tort de tolérer cet » abus, je ne romprois pas l'unité pour cela; pour » m'éloigner d'une chose qui ne me fait aucun mal, je » n'irois pas me plonger dans l'abîme du schisme, où >> je périrois. >>

Maxime générale: Ce que l'Eglise tolère n'est pas notre règle, mais ce qu'elle approuve.

Les ministres alléguoient sans cesse les progrès soudains et les succès prodigieux de la réforme, comme un témoignage de la toute-puissance divine en sa faveur, comme si, leur répond Bossuet, « le désir de s'affran>> chir des vœux, des jeûnes, de la continence, de la >> confession, des mystères qui passent les sens, de la » sujétion des évêques, qui étoient en tant de lieux >> princes temporels; la jouissance des biens de l'Eglise; » le dégoût des ecclésiastiques trop ignorants, hélas ! >> et trop scandaleux; le charme trompeur des plaisan>>teries et des invectives, et celui d'une éloquence em» portée et séditieuse; le pouvoir accordé aux princes >> et aux magistrats de décider les affaires de la religion, et à tous les hommes de se rendre arbitres de >> leur foi, et de n'en plus croire que leurs sens, enfin >> la nouveauté même, n'avoient pas été l'attrait qui jetoit en foule dans la nouvelle réforme les villes, les princes, les peuples et jusqu'aux prêtres et moines >> apostats. >>

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Dès le début de cette lettre pastorale, Bossuet avoit adressé aux nouveaux convertis de son diocèse celte déclaration remarquable : « Loin d'avoir souffert des >> tourments, vous n'en avez seulement pas entendu >> parler; aucun de vous n'a souffert de violence ni » dans ses biens, ni dans sa personne. Je ne vous dis >> rien que vous ne disiez aussi bien que moi, vous êtes >> revenus paisiblement à nous, vous le savez. >>

II.

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XVIII. Douceur de Bossuet pour les protestants de son diocèse.

Comment, après une déclaration si solennelle faite à la France et à toute l'Europe, en présence de ceux qui auroient pu démentir le noble témoignage que Bossuet osoit se rendre à lui-même, Jurieu et quelques autres écrivains ont-ils eu la témérité de représenter Bossuet comme persécuteur?

C'est un fait certain qu'il n'y eut aucune exécution militaire, ni dans la ville, ni dans le diocèse de Meaux. Bossuet suivit l'exemple de saint Augustin, comme il en suivoit les maximes: il ne fit usage que des seuls moyens qui appartiennent à l'Eglise, l'instruction et la persuasion; on ne le vit jamais implorer le secours de l'autorité. Il ne se servit de son crédit que pour éloigner de son diocèse toute espèce d'appareil militaire, et faire jouir les protestants de tous les droits que la révocation de l'édit de Nantes leur avoit laissés. Tandis que plusieurs provinces étoient couvertes de gens de guerre, pour réprimer les mouvements séditieux qui s'y étoient manifestés, le diocèse de Meaux ne vit qu'une seule maison où l'on se crut obligé de faire usage de cette mesure. La fidélité de l'histoire, qui ne nous permettoit pas de supprimer ce fait unique, nous autorise en même temps à déclarer que Bossuet n'eut aucune part à cette vexation.

Un gentilhomme du nom de Séguier, qui résidoit avec sa femme en son château de la Charmoix dans la Brie, fut tourmenté pendant quelques jours par la présence de sept ou huit dragons, que l'intendant de Paris crut devoir y envoyer. Ce gentilhomme s'étoit montré fort entêté, et sa femme, bien plus inconsidérée, s'étoit exhalée en déclamations contre le Roi. Bossuet fut extrêmement affligé de cet événement; sa juste considération pour un nom respecté dans la magistrature, et les relations d'estime et d'amitié qu'il entretenoit avec une famille établie dans son diocèse, lui inspirèrent l'idée

d'engager l'intendant à faire transporter M. et madame Séguier dans son propre palais à Meaux. Bossuet voulut même se rendre caution de leur respect pour le Roi et de leur soumission ses ordres. Un procédé aussi délicat disposa M. Séguier à écouter avec moins de prévention les instructions d'un évêque qu'il étoit lui-même accoutumé à respecter pour son génie et sa vertu. Cependant Bossuet eut d'abord beaucoup à souffrir des emportements de la femme. Mais une grande patience et des instructions touchantes et paternelles suffirent pour les ramener à des sentiments plus modérés. Il eut au bout de huit jours la satisfaction de recevoir leur abjuration, et la consolation encore plus douce de les voir persévérer dans la religion qu'ils avoient embrassée.

La plus grande paix régna dans toutes les autres parties du diocèse de Meaux, et même dans les lieux où les protestants étoient le plus nombreux, tels que Claye et Lisy. Bossuet alloit lui-même répandre ses secours ou ses instructions partout où il jugeoit sa présence utile et nécessaire. Il n'étoit pas un seul des nouveaux catholiques qu'il ne connût personnellement; on les lui amenoit de temps en temps pour être instruits et pour recevoir la confirmation. Il connoissoit également tous les protestants qui s'étoient refusés à abjurer; il les faisoit venir très-souvent à Meaux, ou dans d'autres lieux de son diocèse, lorsqu'il alloit y faire sa visite pastorale. Il cherchoit à les éclairer et à les toucher par sa douceur. Jamais un seul d'entre eux ne s'est plaint de sa sévérité ni même de ses reproches.

Un ancien chanoine de Meaux (le sieur Payen) rapportoit comme témoin oculaire, « qu'après la révoca» tion de l'édit de Nantes, Bossuet, informé des diffé>> rents lieux où se réunissoient les protestants répandus >> dans son diocèse, alloit au moment où l'on s'y atten» doit le moins, les surprendre charitablement; faisoit >> arrêter son carrosse loin du lieu où ils s'étoient réunis, » s'y rendoit à pied, frappoit à la porte, et entroit tout» à-coup. Un étonnement mêlé de crainte se peignoit

>> sur tous les visages. Mais Bossuet s'empressoit de les » rassurer, en leur disant avec douceur: Mes enfants, là » où sont les brebis, le pasteur doit y étre. Mon devoir est » de chercher mes brebis égarées, et de les ramener au ber» cail. De quoi est-il question aujourd'hui ? Après avoir » écouté leurs raisons, il entroit en matière et les in>>> struisoit. »>

Ce fut de cette manière douce, confiante et paternelle, qu'il parvint à en convertir plusieurs. Il les faisoit ensuite rentrer dans leurs biens, souvent même il les faisoit soulager d'une partie de leurs impositions. L'intendant de la généralité se plaignoit toujours de son extrême douceur, et ne cessoit de lui reprocher sa modération, dont les protestants abusoient souvent. Bossuet consentoit à recevoir les reproches, pourvu qu'il lui accordat ce qu'il lui demandoit, et l'intendant ne le refusoit jamais. « Cependant on doit convenir, ajoute » l'abbé Ledieu, que des procédés qui auroient dù lui » concilier le cœur et l'esprit de tous les protestants de » son diocèse, laissèrent le plus grand nombre d'entre » eux persévérer dans leur opiniâtreté.

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Son caractère et ses principes en cette matière étoient formellement opposés à tout ce qui pouvoit ressembler à la contrainte et à la violence. Il arriva même un événement qui lui offrit l'heureuse occasion de montrer sa douceur et son humanité. Sept ou huit cents religionnaires, hommes et femmes, se réunirent en troupe et tentèrent, à main armée, d'exciter une émeute à Lisy. Quelques-uns des chefs furent arrêtés sur-lechamp; leur procès fut instruit; trois ou quatre furent condamnés à mort. Bossuet heureusement en fut averti à temps. Il interposa d'abord l'autorité de son nom pour faire surseoir l'exécution. Il écrivit sur-le-champ à la cour, et il obtint leur grâce. Plusieurs femmes et quelques hommes avoient été condamnés à différentes peines, suivant la gravité de leurs délits, et elles se réduisirent à une amende honorable devant l'église de Lisy, et au bannissement.

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