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On pourroit ajouter que ce n'est que lorsqu'une langue est morte, qu'elle devient immuable; et peutêtre par cette raison, les langues mortes sont-elles mieux appropriées à l'expression d'un culte qui, par sa nature même, doit rester invariable, que des langues variables et changeantes qui, à peine formées, se dénaturent et deviennent quelquefois inintelligibles aux siècles suivants.

<«< D'ailleurs, disoit Bossuet aux nouveaux convertis, >> il ne tient qu'à vous, pendant que l'Eglise chante, » d'avoir entre vos mains les Psaumes, les Ecritures, » les leçons, les prières de l'Eglise traduites dans la >> langue que vous parlez, et que vous entendez. >>

Bossuet leur rappelle ensuite avec douceur les vaines illusions dont on les avoit flattés, en leur promettant l'intervention des puissances étrangères pour le rétablissement : « Ceux qu'on vous faisoit regarder comme >> vos restaurateurs, ont-ils seulement songé à vous » dans la conclusion de la paix? »>

Il se croit, à cette occasion, obligé de répondre à une accusation odieuse, que Basnage avoit portée contre lui dans son Histoire ecclésiastique. Basnage y disoit :

« On trouve un livre entier dans l'Histoire des Va»riations, où l'on rit de la durée de nos maux et de >> l'illusion de nos peuples, qui ont été fascinés par de >> fausses espérances. Mais, en vérité, M. de Meaux de>> vroit craindre la condamnation que l'Ecriture pro>> nonce contre ceux à qui la postérité a fait des en» trailles cruelles. Car il faut être barbare pour nous >> insulter sur les maux que nous souffrons et que >> nous n'avons pas mérités. Une longue misère excite >> la compassion des âmes les plus dures, et on doit » se reprocher d'y avoir contribué par ses vœux, par >> ses désirs, et par les moyens qu'on a employés pour >> perdre tant de familles, plutôt que d'en faire le sujet d'une raillerie...... Quand il seroit vrai qu'on » court avec trop d'ardeur après les objets qui entre» tiennent l'espérance, et qu'on se repaît de quelques

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» idées éblouissantes, dont l'on sentiroit fortement la » vanité, si l'esprit étoit dans la tranquillité naturelle, >> ce ne seroit pas un crime qu'on dût noircir par un >> terme emprunté de la magie (celui de fascination). »

:

« M. Basnage, répond Bossuet, voudroit nous faire » oublier que le sujet de nos reproches n'est pas que » les prétendus réformés aient conçu de fausses espé>>rances; c'est une erreur assez ordinaire dans la vie » humaine : mais que leurs pasteurs, que ceux qui >> leur interprètent l'Ecriture sainte s'en soient servis » pour les tromper, qu'ils aient prophétisé, qu'ils aient » dit Le Seigneur a parlé, quand le Seigneur n'a >> point parlé ; que l'illusion ait été si forte, que cent fois » déçus par un abus manifeste des oracles du Saint» Esprit et du nom de Dieu, on ne s'en soit trouvé que >> plus disposé à se livrer à l'erreur, toute l'éloquence » de M. Basnage n'empêchera pas que ce ne soit un digne sujet, non pas d'une raillerie dans une occasion >> si sérieuse, mais d'un éternel gémissement pour » une fascination si manifeste. »>

>>

Bossuet finit cette Instruction pastorale par l'expression touchante du sentiment qui la lui avoit dictée. Il invite les anciens catholiques à n'employer à la conversion de leurs frères errants que les douces invitations, les prières et les exemples; et il adresse aux protestants le langage paternel dont saint Augustin se servoit pour toucher les hérétiques de son temps :

<«< Nous avons assez disputé, assez plaidé : enfants >> par le saint baptême du même père de famille, finis>> sons enfin nos procès. Vous êtes nos frères, bons ou >> mauvais ; voulez - le, ne le voulez pas *, vous êtes >> nos frères. Pourquoi voulez-vous ne le pas être? il » ne s'agit pas de partager l'héritage; il est à vous » comme à nous, possédons-le en commun tous en>> semble.

» Si cependant ils s'emportent contre l'Eglise et

* C'est ainsi qu'on s'exprimoit du temps de Bossuet. On se croiroit aujourd'hui obligé de dire : Veuillez-le, ou ne le veuillez pas.

» contre vos pasteurs, » ajouta saint Augustin en s'adressant aux catholiques, «< c'est l'Eglise, ce sont vos >> pasteurs qui vous le demandent eux-mêmes; ne vous >> fâchez jamais contre eux, ne provoquez point de >> foibles yeux à se troubler eux-mêmes. Ils sont durs, >> dites-vous, ils ne vous écoutent pas. C'est un effet de » la maladie. Combien en voyons - nous tous les jours, >> qui blasphèment contre Dieu même ? Dieu les souffre, >> il les attend avec patience. Attendez aussi de meil>> leurs moments; hâtez ces heureux moments par vos >> prières. Je ne vous dis point: Ne leur parlez plus; >> mais quand vous ne pourrez leur parler, parlez à >> Dieu pour eux, et parlez-lui du fond d'un cœur où la >> paix règne. »

XXVI.

Observation générale sur la conduite de Bossuet envers les protestants.

Il y a une observation générale à faire sur la conduite et les écrits de Bossuet dans ses controverses avec les protestants; et elle est aussi honorable pour son caractère que pour son génie. Beaucoup de protestants ont conservé de fortes préventions contre Bossuet, parce qu'ils négligent de s'instruire de ce qu'il pensoit, de ce qu'il sentoit, de ce qu'il faisoit pour eux, en même temps qu'il combattoit leur doctrine. Uniquement frappés de la véhémence de son langage contre l'erreur, ils confondent l'homme avec le Père de l'Eglise. Ils se persuadent qu'il portoit dans l'habitude de la vie, dans le commerce de la société, dans l'influence de ses conseils, ce caractère de domination qu'auroit pu lui donner la conscience de sa supériorité. La trempe du génie de Bossuet a pu aussi contribuer à les entretenir dans cette fausse opinion. L'inflexible rectitude de son jugement résistoit avec force à tout ce qui offensoit la raison ou la vérité; un mauvais raisonnement, ou une légère atteinte à la bonne foi, blessoit son esprit éminemment juste.

C'étoit principalement dans tout ce qui appartient

au domaine de la religion, que se manifestoit cette estimable et inquiète susceptibilité. La religion étoit, dans l'opinion de Bossuet, le plus magnifique don que le ciel ait pu faire à la terre, le caractère glorieux par lequel la foible intelligence des hommes se rapproche en quelque sorte' de l'intelligence divine, et s'unit à elle par un culte fondé sur l'amour, le respect, la reconnoissance, la soumission et la confiance. Les hommes ne lui paroissoient plus mériter le nom d'hommes, quand ils consentent à se dégrader assez pour méconnoître ce qu'ils sont, en méconnoissant celui de qui ils tiennent tout ce qu'ils ont. Cet excès d'extravagance et d'ingratitude révoltoit la dignité de son âme, donnoit à ses expressions cette véhémence impétueuse qui renversoit tout ce qui lui résistoit, et allumoit les foudres de cette éloquence qu'il faisoit retentir et briller jusque dans les saintes obscurités de la foi; et si l'on y prend bien garde, on observera dans ses écrits contre les protestants, que le principal reproche qu'il fait à leur doctrine, est fondé sur la conviction profonde où il étoit qu'elle devoit les conduire tôt ou tard à l'indifférence de toutes les religions.

Mais ce même homme si ardent, si animé, si accoutumé à dominer par la force du génie et l'empire de l'éloquence, étoit le plus simple et le plus facile de tous les hommes dans le commerce ordinaire de la vie.

Cet homme, si respecté dans toute l'Europe, a vu Jurieu proférer les plus odieuses calomnies contre lui; il ne s'en est vengé qu'en les publiant lui-même sans daigner les réfuter.

Cet évêque, si zélé contre la doctrine des protestants, a été le premier à gémir sur les mesures violentes et insensées du marquis de Louvois, et à rappeler Louis XIV à des conseils plus modérés et plus conformes à la générosité de sa grande âme, aussitôt qu'il a pu les faire parvenir jusqu'à lui. Il n'a jamais demandé à ce prince un acte de rigueur contre un seul protestant; et il en a obtenu des bienfaits pour tous les

protestants qui réclamoient son crédit et son intérêt. Nous avons eu sous les yeux tous les papiers de Bossuet, et tous ceux de son secrétaire, et nous avons toujours trouvé Bossuet invariable dans l'opinion, qu'on ne devoit jamais employer que des bienfaits et des moyens d'instruction et de douceur pour la réunion des protestants.

Il n'existe pas même un indice qui annonce qu'il ait eu part à ce qui précéda, ou à ce qui suivit immédiatement la révocation de l'édit de Nantes.

Lorsque nous avons entrepris d'écrire l'Histoire de Fénélon et celle de Bossuet, nous n'avons aspiré qu'à un seul genre de mérite, celui d'être toujours fidèle à la vérité, et de la dire telle que nous croyons la voir. L'histoire perd tout son intérêt, et l'historien tout droit à la confiance, lorsqu'il descend à un système de dissimulation sur les événements publics, sur des faits constants. Nous pensons avec la même sincérité que Bossuet a de justes droits à l'estime et à la reconnoissance des protestants. Il a combattu leur doctrine; il a plaint leurs erreurs; il a adouci leurs souffrances; il a réclamé contre les lois qui les opprimoient; il n'en a jamais persécuté un seul; il a été l'appui, la consolation et le bienfaiteur de tous ceux qui ont invoqué son nom, son génie et ses vertus.

FIN DU DEUXIÈME VOLUME.

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