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Conduite de Bossuet envers les religieuses de son diocèse.

Mais il étoit une portion de son troupeau que Bossuet affectionnoit avec une tendresse vraiment paternelle; il donnoit à la direction des religieuses de son diocèse des soins aussi assidus et aussi constants que s'il n'eût pas eu d'autres devoirs à remplir, et des travaux bien plus importants à suivre et à conduire à leur perfection. Les volumes XI et XII de l'édition de ses OEuvres donnée par D. Déforis 1 renferment près de sept cents lettres de direction spirituelle adressées à de simples religieuses. Nous en avons les originaux entièrement écrits de la main de Bossuet. Par le nombre de celles qui ont échappé aux ravages du temps et qui ont été publiées, on peut se faire une idée du nombre de celles qui ont été perdues ou anéanties.

Ce n'est pas le phénomène le moins extraordinaire de la vie de Bossuet, que celui que présente la correspondance d'un tel évêque qui consent à s'arracher aux études et aux travaux de tous les genres qui remplissoient tous ses moments, pour s'entretenir avec de simples religieuses des peines, des scrupules, des inquiétudes, et de toutes les recherches délicates et quelquefois minutieuses, qui agitent si souvent ces âmes pieuses, sensibles et craintives. On ne sait comment concilier le temps que cette correspondance a dû demander à Bossuet, avec celui qu'ont exigé de sa part tous les ouvrages qui sont restés de lui, et tant d'affaires importantes où il a joué un si grand rôle.

Mais ce qui étonne encore, ou plutôt ce qu'il faut admirer avec un respect religieux, c'est le sentiment inaltérable de patience, d'indulgence et de bonté qui respire dans toutes ces lettres. Elles le montrent sous un point de vue qui semble avoir échappé aux regards de la postérité, accoutumée à ne contempler Bossuet qu'au milieu des éclairs du génie et des éclats de la foudre. 1 Tom., x et XI.

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Ces lettres peuvent encore donner lieu à d'autres considérations, étrangères peut-être aux gens du monde, mais qui peuvent n'être pas sans utilité pour ceux que leur profession et une vocation particulière appellent à la direction des âmes. On y trouve une multitude de décisions précises et exactes sur des doutes et des difficultés qui arrêtent souvent les ecclésiastiques les plus éclairés et les plus familiarisés avec cette partie de leur ministère. On y voit jusqu'à quel point Bossuet possédoit la science et l'esprit de la religion, non-seulement dans son ensemble et dans le vaste développement de toutes les questions qu'elle peut faire naître, mais encore dans les plus petits détails de ces questions spéculatives, sur lesquelles l'Ecriture, les Pères et les conciles n'ont pas cru devoir s'expliquer, ni prononcer. Il est en effet des conseils évangéliques, et des désirs de perfection chrétienne, pour lesquels l'Eglise se repose avec confiance sur l'esprit de Dieu, pour inspirer les âmes qui cherchent avec un cœur pur et sincère à se conformer à ses volontés.

On est frappé, en lisant cette correspondance, d'y observer un sentiment, un langage et un ton de spiritualité, auxquels on suppose trop légèrement que Bossuet devoit être étranger. Quelques fragments de ces lettres pourroient même être soupçonnés d'avoir une conformité apparente avec ces pieux excès d'amour de Dieu qu'il reprocha dans la suite à Fénélon et à quelques autres écrivains mystiques, si, avec un peu d'attention, on ne reconnoissoit pas qu'il sait toujours s'arrèter au point précis où l'excès devient erreur.

D'ailleurs Bossuet pensoit, et avoit sans doute le droit de penser, qu'il est bien différent d'établir des maximes générales dans un livre dogmatique, qui doit toujours exprimer la saine doctrine avec toute la rigueur théologique, ou de permettre, dans une correspondance particulière, à des âmes pieuses dont on connoit les dispositions et la soumission aux règles générales de l'Eglise, de s'abandonner à ces mouvements affectueux qui les portent à aspirer à la plus haute perfection.

On voit en effet par le témoignage de l'une de ces religieuses, avec laquelle Bossuet a entretenu la correspondance la plus suivie *, que dans la direction spirituelle des âmes, il s'étoit principalement proposé pour modèle saint François de Sales, quoique ce soit un des auteurs dont les écrivains mystiques ont cherché le plus à se prévaloir pour autoriser leurs opinions. Bossuet disoit « qu'il étoit redevable à saint François de » Sales d'avoir appris les véritables règles de la con>> duite des âmes; qu'il révéroit la doctrine de ce saint, » et qu'il se le proposoit toujours pour modèle; qu'il >> pensoit à son exemple qu'un évêque devoit toujours » éviter de montrer de la sévérité, ou de contrister par » des reproches trop vifs; qu'il avoit toujours présent à >> la pensée l'entretien de Jésus-Christ avec la Samari»taine, et la sainte adresse dont il se sert pour faire >> connoître à cette femme pécheresse ses égarements; » qu'une longue expérience lui avoit appris que la dou>> ceur ramène plus d'âmes à Dieu, et les retiroit plus » véritablement de leurs désordres, que la sévérité, qui >> ne sert ordinairement qu'à les aigrir, et à les soulever >> contre les avis qu'on leur donne. »>

Deux autres religieuses d'une naissance plus distinguée que celle que nous venons de nommer (MarieLouise de Luynes, et Marie-Henriette-Thérèse d'Albert sa sœur) furent du nombre de celles dont Bossuet s'attacha à cultiver avec le plus d'affection les sentiments de religion et de piété. C'est surtout avec la cadette qu'il paroit avoir eu le plus de relations. Bossuet, encore simple ecclésiastique, avoit, le 8 mai 1664, prêché le sermon de la profession de ses vœux à l'abbaye de Jouarre. Elle y avoit suivi Mme de Luynes sa sœur, qui la veille (7 mai 1664) avoit fait ses vœux dans la même

Elle s'appeloit Marie Dumoutiers, veuve Cornuau. Après avoir habité longtemps la Ferté-sous-Jouarre, elle entra au noviciat au prieuré de Torcy, le 16 mai 1697, et fit ses vœux solennels le 22 mars 1698. Ce fut Bossuet lui-même qui prêcha le sermon de sa prise d'habit et de la profession de ses vœux.

Manuscrits de Madame Cornuau.

abbaye. Elles étoient sœurs du duc de Chevreuse, cet ami si cher et si dévoué à Fénélon. On sait que le duc de Luynes leur père professoit la plus haute estime pour les solitaires de Port-Royal, et il avoit élevé ses enfants dans les mêmes sentiments. Ce fut pour le duc de Chevreuse son fils, qu'Arnauld composa sa Géométrie, et Lancelot sa Grammaire générale. On croit même apercevoir dans la préface de la Logique de Port-Royal, que ce célèbre ouvrage fut entrepris en grande partie pour l'instruction du duc de Chevreuse; ou du moins qu'il y apprit dès l'âge de treize ans les règles de l'art du raisonnement. Racine lui avoit dédié, en 1670, sa tragédie de Britannicus. Nous ignorons à quelle époque le duc de Chevreuse abandonna les principes théologiques de l'école dans laquelle il avoit reçu sa première éducation, et en embrassa d'entièrement opposés.

Les deux sœurs se bornèrent à être fidèles aux sentiments de vertu et de piété dans lesquelles elles avoient été élevées; mais une sorte de prévention contre leurs instituteurs devint un motif, ou un prétexte pour les exclure des grandes places auxquelles leur naissance leur donnoit le droit de prétendre. Louis XIV ne consentit qu'avec peine à nommer en 1696 madame de Luynes, l'aînée des deux sœurs, au prieuré de Torcy, dans le diocèse de Paris. Madame d'Albert sa sœur l'y suivit : elle y mourut le 4 février 1699, et Bossuet composa son épitaphe, où respire une tristesse douce et religieuse 1. Plus heureuses dans l'espèce d'obscurité où elles passèrent leur vie, que si elles eussent rempli les grandes places de leur état, les deux sœurs eurent la consolation de n'être jamais séparées l'une de l'autre, et de vivre et de mourir sous la direction de Bossuet.

C'est pour madame de Luynes que Bossuet a composé un petit écrit Sur la vie cachée en Dieu*. Madame de Luynes avoit prié ce prélat de lui écrire ce que Dieu Voyez tome XI. des OEuvres complètǝs, pag. 555. On le trouve au tome 11 de ses OEuvres, pag. 693.

lui inspireroit pour son édification sur ces paroles de saint Paul: Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu. Bossuet lui envoya ce discours. Il lui montre en quoi consiste la mort à laquelle le chrétien s'engage par son état; et il passe ensuite au grand mystère de la vie cachée en Dieu, en faisant voir de quelle manière la vie de Jésus-Christ a toujours été cachée en Dieu, comment elle l'est encore, même depuis qu'il est entré en sa gloire.

On se tromperoit, si l'on croyoit que ce discours, adressé à une simple religieuse, ne peut être utile qu'aux personnes de la même profession. Il convient à tous les chrétiens, parce qu'il expose des obligations qui leur sont communes. Aussi Bossuet, en finissant, croit pouvoir s'adresser, sans distinction, à tous en général, grands ou petits, pauvres ou riches, savants ou igno>> rants, prêtres ou laïques, religieux ou religieuses, ou >> vivant dans la vie commune *. »

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XX.- Elévations sur les mystères. Méditations sur l'Evangile.

Nous devons également à la respectable sollicitude de Bossuet pour les religieuses de son diocèse deux de ses plus beaux ouvrages, les Elévations sur les mystères, et les Méditations sur l'Evangile.

Les Méditations sur l'Evangile furent composées les premières, quoiqu'elles ne paroissent être que la suite des Elévations sur les Mystères. Les Méditations commencent où finissent les Elévations, au sermon de JésusChrist sur la montagne, et se terminent aux dernières instructions qu'il donna à ses apôtres avant sa passion.

Dans les Elévations, Bossuet considère la religion dès son origine, et il la suit dans tous ses âges jusqu'à la prédication du Sauveur.

Dans les Méditations, Bossuet développe les grandes

L'évêque de Troyes, neveu de Bossuet, fit imprimer ce Discours pour la première fois en 1731, à la suite des Méditations sur l'Evangile.

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