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étoit toujours pour Fénélon une occasion favorable de déployer toutes les richesses de sa brillante imagination et toutes les grâces de l'esprit le plus aimable et le plus séduisant elle n'étoit pour Bossuet que le délassement et le repos des travaux de son cabinet.

La conversation de Bossuet portoit l'empreinte habituelle de son caractère, de ses mœurs et de ses principes. Elle étoit toujours grave el instructive; jamais elle n'avoit pour sujet des détails frivoles ou inutiles. Quoique placé au centre des événements et des agitations de la cour, jamais il n'y faisoit entrer les anecdotes ou les nouvelles du moment. La religion, la philosophie, la morale, les ouvrages importants qui paroissoient, et qui avoient pour objet les sciences ou les affaires de l'Eglise, fournissoient assez de matières à ces utiles entretiens. Le plus souvent ses réflexions dans la société portoient sur les grands intérêts de la religion; et il est à regretter que les amis de Bossuet ne se soient pas attachés à recueillir toutes celles qui auroient pu survivre aux intérêts du moment, et mériter d'ètre transmises à la postérité. On connoît souvent mieux les véritables sentiments et le caractère des grands hommes par ce qui leur échappe dans la liberté de la conversation, que par ce qu'ils consentent à confier au public dans des ouvrages imprimés.

Bossuet admettoit cependant dans la conversation de l'enjouement et une raillerie douce et aimable, pourvu qu'elle se renfermât dans une certaine mesure, et qu'elle ne blessât jamais ni le goût, ni les égards, ni la charité chrétienne. Mais on étoit toujours sûr de lui déplaire, lorsque la plaisanterie s'écartoit des bornes qu'elle doit respecter, et il la trouvoit aussi déplacée dans les livres que dans l'habitude de la société. « Con>> seillez à M. Spon, écrivoit Bossuet à l'abbé Nicaise ', » d'éviter les railleries excessives dans ses réponses; elles >> tombent bientôt dans le froid, et il sait bien que les >> plaisanteries ne sont guère du goût des honnêtes OEuvres de Bossuet, tom. x. pag. 654.

» gens. Ils veulent du sel, et rien de plus. S'il faut >> railler, ce doit du moins être avec mesure. Comme » je le vois né pour le bon goût, je serois fâché qu'il >> donnât dans le mauvais. >>

XXVII.-Modestie de Bossuet.

La modestie de Bossuet étoit si simple et si naturelle, qu'elle lui inspiroit une espèce de dégoût pour les louanges et pour tous ces compliments dont on est si prodigue dans la société, pour peu que l'on ait des titres légitimes ou même équivoques à la célébrité. Dès sa jeunesse, à cet âge où l'on est si avide de succès, et où la gloire étoit venue le chercher, dès le moment même où il parut, on l'avoit vu aller se renfermer chez lui aussitôt qu'il descendoit de la chaire, et s'y tenir, pour ainsi dire caché, pour se soustraire au murmure flatteur des applaudissements qui accompagnoient tous ses pas. Dans la suite de sa vie, « si on » tiroit de lui quelque aveu des succès qu'il avoit ob>> tenus dans sa jeunesse, ce n'étoit jamais que par oc>>casion, dans des temps déjà éloignés, où il n'avoit » plus à craindre d'être flatté, et où il étoit supérieur » à tous les éloges. »

De tous les genres de travaux qui ont rempli la vie de Bossuet, celui pour lequel il avoit le moins de goût est précisément celui où il a montré une élévation de génie, de grandeur, d'imagination et de sensibilité, qui l'a placé, sans aucune rivalité, au premier rang de tous les orateurs modernes, et qui permet encore de douter s'il n'est pas égal aux orateurs les plus vantés de Rome et d'Athènes. Il disoit lui-même, en parlant de ses Oraisons funèbres (et ces paroles sont remarquables dans la bouche de Bossuet), « qu'il n'aimoit pas natu>> rellement ce travail, qni est peu utile, quoiqu'il cher» chât toujours à le tourner vers l'instruction et l'édifi>>cation publique. » Il ajoutoit « que c'étoit le plus grand >> témoignage de respect, d'amitié et de reconnoissance » qu'il eût pu donner aux personnes qui lui avoient

» demandé de vaincre sa répugnance pour ce genre de >> travail. >>>

Bossuet étoit évêque et ne vouloit jamais être autre chose. Défendre la vérité, l'annoncer au peuple, l'édifier et l'éclairer, ont été les seules occupations de sa vie, et les seules qu'il ait crues dignes de l'épiscopat.

Il sortit une seule fois du caractère de réserve et de circonspection qu'il portoit habituellement dans la société; et ce fut pour repousser avec une sorte d'humeur un compliment assez maladroit qu'on prétendoit lui faire. En 1701, deux places de commandeurs de l'ordre du Saint-Esprit se trouvèrent vacantes, celles du cardinal de Bouillon, que le roi venoit de dépouiller de la charge de grand aumônier de France, et celle que la mort de M. de Clermont-Tonnerre, évêque de Noyon, venoit de faire vaquer. Le bruit courut que Bossuet seroit nommé à la première promotion qui étoit alors très-prochaine. Un membre de son chapitre crut sans doute lui plaire, en le félicitant d'avance avec cet empressement indiscret que ne savent pas toujours réprimer les complaisants et les adulateurs dont les gens en place sont souvent environnés. Bossuet, qui avoit plus que personne le sentiment de toutes les convenances, et qui n'ignoroit pas que l'usage et l'opinion réservoient ordinairement les distinctions de ce genre à l'éclat de la naissance, et aux familles que des charges honorables fixent à la cour, reçut fort mal ce compliment, dit l'abbé Ledieu, et répondit « qu'on lui faisoit » tort de répandre sur lui de pareils bruits, et de tenir » de semblables discours à son sujet; que les personnes >> surtout qui le voyoient souvent, devoient savoir ses >> pensées à l'égard de ces sortes d'honneurs du monde. >>

C'est ainsi, ajoute l'abbé Ledieu, « qu'il éloignoit tout >> ce qui pouvoit blesser tant soit peu sa modestie, et >> qu'on le fit sortir de sa douceur ordinaire, qui le por>> toit toujours à laisser passer les discours désobligeants >> sans les relever, plutôt que de faire la moindre peine » à ceux qui en étoient les auteurs; mais sur la mo

» destie, il ne peut souffrir qu'on l'entame et qu'on le » flatte, tant il en fait une haute profession, et tant il >> lui est cher d'en conserver la réputation. »>

Bossuet, dans sa modeste retraite de Germigny, offroit un spectacle digne de l'admiration des étrangers que la magnificence de la cour de Louis XIV attiroit en France. Les plus distingués d'entre eux croyoient n'avoir satisfait qu'imparfaitement leur curiosité, s'ils n'avoient demandé et obtenu la faveur d'être admis à Germigny. Il étoit peu de princes et de grands seigneurs en France qui ne s'y arrêtassent, en se rendant aux armées d'Allemagne. Les uns et les autres étoient frappés du contraste de tant de simplicité et de douceur avec tant de grandeur. Ils se vantoient en quelque sorte d'avoir vu Bossuet chez lui, et aimoient dans la suite à rappeler ces courses passagères comme des époques remarquables de leur vie.

Il étoit passé en usage que tous les prédicateurs qui avoient prêché à la cour, sollicitassent l'honneur de venir la même année prêcher devant Bossuet le jour de la fête de son église cathédrale. Ils regardoient cette distinction comme le sceau des éloges, qu'ils avoient reçus à Versailles, et comme le titre le plus incontestable de leur talent pour la chaire. L'opinion publique attendoit toujours que Bossuet se fût expliqué sur leur mérite pour fixer son jugement. A ce sentiment naturel, dont les hommes les plus exempts des foiblesses de l'amour - propre ont quelque peine à se défendre, se réunissoit la satisfaction plus pure et plus douce encore de jouir de son entretien dans sa retraite et dans la liberté de sa vie intérieure. Ils en recevoient toujours quelque avis utile, ou quelque trait de lumière que Bossuet laissoit échapper sans affectation, et qui servoit à les éclairer sur les beautés ou les défauts de leurs sermons.

Nous regrettons que les manuscrits de l'abbé Ledieu ne nous aient pas fait connoître avec quelque détail l'opinion de Bossuet sur Bourdaloue et sur Massillon.

On lit seulement dans une lettre de Bossuet à madame d'Albert de Luynes, en date du 4 août 1694 : « Le père Bourdaloue a bien voulu être le porteur du >> paquet où sera incluse cette lettre. Il nous a fait un » sermon qui a ravi tout notre peuple et tout le dio

>> cèse. »

Bossuet paroît avoir conçu les présages les plus favorables du talent de Massillon. On lit dans le journal de l'abbé Ledieu : « M. de Meaux a entendu le 4 mars » (1701), le sermon du père Massillon sur la Samari»taine, et il en fut très-content. >>

Il est vraisemblable que c'est la dernière fois que Bossuet a entendu Massillon. Massillon ne reparut à Versailles, pour prêcher devant Louis XIV, qu'en 1704, et ce fut cette même année que mourut Bossuet.

Ainsi, par une disposition singulière de la Providence, qui voulut favoriser Louis XIV jusqu'au dernier moment, et perpétuer, sans aucune interruption, pendant la longue durée de son règne, la succession des plus grands orateurs qui aient illustré l'éloquence chrétienne, on avoit vu Bourdaloue monter dans la chaire au moment où Bossuet en descendoit, et Massillon succéder à Bourdaloue, au moment où la mort de Bourdaloue laissoit la chaire évangélique dans le deuil et dans le silence.

Bossuet avoit toujours sous ses yeux l'extrait d'un sermon de saint Augustin, qu'il se proposoit pour règle de conduite; il l'avoit même placé sur son bureau pour ne le jamais perdre de vue : on éprouve une sorte d'attendrissement, en lisant ces paroles simples et touchantes de saint Augustin, que Bossuet vouloit toujours avoir présentes à ses regards et à sa pensée :

« Je n'ai pas assez de présomption pour oser me >> flatter de n'avoir donné à aucun de vous un juste su»jet de se plaindre de moi, depuis que j'exerce les >> fonctions de l'épiscopat. Si donc, accablé des soins et » des embarras de mon ministère, je n'ai pas accordé 1 Sermon CCCLXXXIII.

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