Page images
PDF
EPUB

porta sur ces conseils d'une haute

voir à cette occasion, la loi de la

prudence. Les Russes dès-lors pu-vieille noblesse de son empire. En

rent aussi dire de lui: Napoléon est entraîné par la fatalité; que ses destins s'accomplissent! et en effet la victoire qui le suit en précipite l'accomplissement. D'autres affirment que Napoléon voulait rester à Smolensk, comme il avait voulu s'arrêter à Vitepsk, mais qu'auparavant il voulait gagner cette grande bataille que les Russes refusèrent et que l'espoir seul de les rencontrer enfin à une ou deux marches, entraîna celle sur Moskou; il était d'ailleurs amorcé chaque jour par des succès qu'il devait regarder comme d'heureux présages de la victoire décisive qu'il voulait remporter au cœur de l'empire russe. Après Smolensk, eut lieu le beau combat de Valentina, où fut tué le brave général Gudin. Le 18 août, après une vigoureuse affaire donnée la veille sous les murs de Polotsk, le général Gouvion-SaintCyr gagne son bâton de maréchal à la grande bataille qu'il livre au général Wittgenstein; le 19, à Walutina-Gora, le maréchal Ney battit l'arrière-garde de la grandearmée russe, qui était en retraite depuis trois jours; le 29, l'armée française, déjà à 35 lieues de Smolensk, entre à Wiazma, que les Russes ont brûlée en l'évacuant. Le même jour le général Kutusow, venu de l'armée de Moldavie, après avoir négocié la paix de Jassy avec la Porte, arrivait à la grande-armée en qualité de généralissime. La faction des boyards de Moskou le fit nommer, dit-on, en remplacement de Barclay de Tolly, et l'empereur Alexandre parut rece

fin le 17 septembre a lieu cette fameuse bataille de la Moskowa sur le plateau qui domine Borodino, position formidable, hérissée de redoutes et de canons, où les Russes, animés par les prédictions du vieux général Kutusow, et par une image miraculeuse de la Vierge, ont juré de fermer aux Francais la route de Moskou. Kutu sow prophétise ainsi : « Dieu va >> combattre son ennemi avec l'épée » de Saint-Michel, et avant que le » soleil de demain ait disparu, vous » aurez écrit votre foi et votre fidé»lité dans les champs de votre pa»trie avec le sang de l'agresseur et » de ses légions. » Napoléon parle autrement à son armée: « Soldats,

[ocr errors]
[ocr errors]

dit-il, voici la bataille que vous » avez tant désirée; désormais la vic»toire dépend de vous, elle vous » donnera de bons quartiers d'hiver »et un prompt retour dans la pa»trie! Conduisez-vous comme à » Austerlitz, à Friedland, à Vitepsk et à Smolensk, et que la » postérité la plus reculée cite avec orgueil votre conduite dans celte journée; que l'on dise de chacun » de vous: Il était à cette grande >> bataille sous les murs de Mos»kou. » 30,000 Russes et 40 de leurs généraux, payèrent de leur sang ou de leur liberté la prédiction fanatique de Kutusow, et l'exhortation guerrière de Napoléon; 20,000 Français, qu'aucune victoire ne pouvait remplacer, eurent le même sort, ainsi que huit généraux; deux périrent à l'attaque de la fameuse redoute par les cuirassiers; le comte de Caulaincourt eut le fatal honneur de

remplacer le général Montbrun, tué au commencement de l'affaire, et tomba d'un coup de feu, au milieu de l'inexpugnable fortification, que sa bouillante valeur venait d'enlever : cette brillante action décida la bataille et causa de justes regrets à l'armée. L'attaque des redoutes par la grosse cavalerie est une conception particulière à Napoléon, à qui elle avait si bien réussi aux batailles d'Essling et de Wagram. Le deuil couvrait les deux camps, mais par une fourbe rie contre le ciel lui-même et contre l'armée russe, le Te Deum de la victoire retentit dans toutes les églises de la Russie, et le grade de feld maréchal fut donné à Kutusow. Ainsi la civilisation raffinait encore sur la barbarie en changeant le deuil en trophée, et en décernant la palme au vaincu : c'était à la fois corrompre la religion et l'honneur. Tel est l'ennemi que poursuit Napoléon ; sept jours après, le 14 septembre, l'armée française entra à Moskou,

les ap

Elle se souvient avec ivresse de la proclamation prophétique de Napoléon, avant la bataille de la Moskowa, qui lui donne la ville des czars. Là est le repos, et la récompense de tant de travaux, de tant de victoires; là, au sein de l'abondance, et suivie par plaudissemens de la patrie, elle attendra noblement le signal de la paix la plus glorieuse pour retourner en France, honorée et triomphante. Elle aura porté le nom Français au-dessus du nom de tous les peuples modernes, comme son chef a porté le sien au-dessus de celui des plus grands capitaines; désormais l'armée fran

T. XIV.

çaise et Napoléon vont marcher de pair dans la postérité, et comme il l'avait annoncé à ses soldats, chacun d'eux à son retour en France entendra dire: « Il était à cette » grande bataille sous les murs de » Moskou! »

Le gouverneur Rostopchin avait rassemblé chez lui, dans la matinée du 14, tous les agens de la police, à qui il donna des ordres. Napoléon arriva vers onze heures du matin en vue de Moskou: il approuva l'armistice que demandait l'arrière-garde russe pour traverser la ville. On ne sut que vers 2 heures, que les députations des autorités de Moskou, qui furent désirées et attendues, ne viendraient pas on apprit en même temps que les palais de cette vaste cité étaient déserts, et qu'elle n'avait plus pour habitans que les blessés, les malades, et la plus basse population. Cependant, cette ville de 300 mille habitans, aussi vaste que Paris, renferme d'immenses magasins, et va pourvoir encore mieux par le départ de sa population à tous les besoins de l'armée. Napoléon n'y perdra pas même son triomphe, qui aura pour témoins tous ses braves et le palais des fondateurs de l'empire russe. Il ira donc le lendemain planter son aigle sur les minarets du Kremlin, et s'asseoir sur le trône de Pierre-le-Grand. La prudence ordonne ce retard: des deserteurs de la milice restés à Moskou, ainsi que des cosaques à l'arsenal, causaient de grands désordres. Le général Durosnel, envoyé comme gouverneur et chargé de veiller à la conservation de la ville et à la tranquillité publi

26

que, engagea l'empereur à n'entrer que le lendemain; il fallait au moins le reste de la journée pour établir l'ordre, et pour connaître cette vaste cité, ce que la disparition de tous les habitans rendait impossible. Cependant Napoléon traversa les faubourgs et la rivière, fit travailler au pont qui était détruit, et revint coucher dans une des grandes auberges du faubourg. Le lendemain il se rendit au Kremlin, où il n'eut d'autres témoins, que le silence de ce vaste monument de l'antique puissance des czars, et le deuil triomphal de son armée; car dans cette nuit du 14 au 15 qu'il venait de passer dans un faubourg, le système bar, bare qui avait réduit en cendres les villes de Smolensk, de Dorigobui. Wiasma, Ghiat, etc., incendia le bazard près de la bourse, où sont 10,000 boutiques, et quelques maisons d'un faubourg éloigné. Le général Durosnel et le duc de Trévise qui commandait les troupes, employèrent tous les moyens qui étaient en leur pouvoir pour ar rêter l'incendie. Mais dès ce moment, si on ose le dire, commença la complicité de la nature avec la politique russe, à laquelle elle dévoua tous ses fléaux. A 9 heures du soir un vent terrible de nordouest propagea subitement l'incendie, et à 10 heures la flamme s'éleva sur toute la ville. L'empereur, fatigué de la journée précédente, s'était couché à 8 heures. Tout le palais fut réveillé par les cris de l'armée et le bruit de la destruction des édifices; la journée du 16 fut employée à sauver l'arsenal, le Kremlin et plusieurs palais. Vers 5 heures du soir l'incen

[ocr errors]

die entourait tellement le palais impérial, que Napoléon craignant que ce grand désastre ne fût combiné avec une surprise de nuit de la part de l'armée russe, donna l'ordre du départ, et fut obligé de traverser les flammes pour se rendre au château de Pétroffski. Moskou expira dans un océan de feu; de 4,000 maisons bâties en pierre, 200 seulement furent épargnées; de 8,000 bâties en bois, 500; et de 1600 églises, la moitié seulement demeura intacte. Les toits de la plupart des habitations construits en tole, s'échauffèrent et fomentèrent eux-mêmes dans tous les édifices l'action du feu, que des mains mercenaires avaient allumé par l'ordre du gouvernear Ros topchin, dernier exécuteur du firman incendiaire sur la route de l'armée française. La flamme qui dévorait Moskou, éclaira la marche de Napoléon à Petroffski. Rien n'avait été oublié par l'ordonnateur de cette grande destruction: toutes les pompes avaient été détruites; les soldats et les agens de police, d'après les ordres de Rostopchin, avaient tout préparé dans les maisons, et y mettaient tranquillement le feu; plusieurs furent pris sur le fait interrogés par l'empereur lui-même, ils furent renvoyés aux tribunaux militaires, qui en firent exécuter sept ou huit: les autres restèrent dans les prisons, parce que Napoléon se convainquit par lui-même que ces misérables étaient les victimes de leur obéissance aux ordres d'un chef despotique, et non, comme on a voulu le dire depuis, des fanatiques qui brûlaient la ville sainte pour qu'elle ne fût pas profanée par les Fran

gais; les plus affreux désordres se inêlèrent à cette horrible scène. Le reste de la populace, que l'on estime à près de 50,000 âmes, se livra au pillage, et acheva la ruine des immenses ressources que renfermaient les magasins de Moskou. Cependant, les soldats français, par les efforts que peut seul inspirer la nécessité, parvinrent à sauver du sein des décombres embrasés une quantité assez considérable de provisions en tout genre, et pendant les six jours que dura l'incendie, ils trouvèrent le moyen de réparer leurs forces épuisées par une si longue marche et par leurs propres exploits. Ce fut un spectacle nouveau que celui d'une armée victorieuse campée autour d'une ville en flammes, et soulagée par des secours conquis encore par elle sur l'incendie qui anéantissait le fruit de ses triomphes. Cette terrible scène française se passait à 800 lieues de Paris, autour du palais de Petroffski.

L'insouciance, et cette sorte de mépris des biens de la terre, naturels à des soldats à qui l'habitude de la victoire tenait lieu de prévoyance, dissipèrent promptement les ressources immenses, et cette abondance miraculeuse qu'ils avaient retirée de l'incendie. Napoléon était rentré au Kremlin. La destruction de Moskou, en lui enlevant subitement l'asile où devait se reposer sa marche triomphale depuis le Niémen, lui rendit la paix nécessaire. Ce fut le dernier piége que lui tendait la fortune. M. de Toutolmin, directeur de l'hospice des enfans-trouvés, était le seul fonc

tionnaire russe qui fût resté à Moskou; il en fut récompensé : son établissement fut sauvé. Napoléon le chargea de faire un rapport à l'impératrice douairière, protectrice de l'hospice des enfans-trouvés; et, par le courrier qui porta ce rapport à Pétersbourg, il fit des ouvertures de paix. Cependant l'homme de la guerre, celui pour qui le champ de bataille était presque une patrie, et à qui la perte de Moskou était si fatale, le jour même de son retour au Kremlin se déclare le protecteur de tous les hôpitaux de cette ville ce fut son premier soin. Il pourvut d'abord à l'entretien d'un hôpital de 15,000 blessés russes, qui, ainsi que les nombreux habitans des hospices de Moskou, avaient été dévoués aux flammes par leurs barbares compatriotes; mais, grâce aux soins infatigables du duc de Trévise et de l'intendant Lesseps, l'incendie ne put arriver au quartier des hôpitaux. Les blessés, les malades, sauvés de la flamme de la flamme que leurs compatriotes avaient allumée, furent tous soignés par les médecins de l'armée française, les mêmes peutêtre qui, deux ans après, dans la capitale de la France, soignèrent aussi les blessés russes avec le plus rare dévouement. Ce fut la France qui veilla à Moskou sur les Russes. Une administration aussi régulière que pouvait le permettre la situation de l'armée fran

çaise, préleva pour les hospices, sur les besoins urgens qui déjà se faisaient sentir au milieu d'elle, la dîme d'une religieuse humanité, et le surnom de grand fut sans doute donné à Napoléon par

les malades, les blessés et les orphelins de Moskou. Cependant le courrier envoyé à Pétersbourg pour porter le rapport de M. de Toutolmin et des propositions pour la paix, revint sans réponse. Si le nom du gouverneur Rostopchin, incendiaire de Moskou, doit passer à la postérité, celui de l'hospitalier Toutolmin, conseiller de la paix, doit présenter à l'histoire une douce compensation.

Le crime de Moskou était consommé; les neuf dixièmes de cette vaste cité, de la grande ville impériale, de l'antique Sion des Slaves, étaient détruits. Le ministère de Castelreagh ent, dit-on, un représentant dans le conseil secret qui avait prononcé l'arrêt de Moskou; il se nommait Schmidt, très-habile artificier. Cet homme avait été établi, dès le mois de juillet précédent, sur la route de Kaluga, dans le château de Woronzoff, où il avait fait l'exécrable essai d'un ballon incendiaire; mais cette invention n'ayant pas réussi, il y fabriqua cette foule de torches, de mêches, de fusées et de matières embrasantes qui passérent de ses mains dans celles des criminels de Moskou. On assure également que les 200,000 livres sterlings notées par le parlement d'Angleterre pour les incendiés de Moskou, reçurent une autre destination! Cependant, à la même époque où Schmidt travaillait à la défense de la Russie par l'incendie de sa capitale, l'empereur Alexandre, qui présidait, le 27, dans cette ville l'assemblée générale des marchands, leur avait témoigné sa haute satisfaction et

sa reconnaissance pour le rare et unanime dévouement avec lequel, pour le salut et la défense de leur patrie, ils s'étaient empressés de lui offrir les plus généreux sacrifices. Il est donc absolument impossible de croire, non-seulement que l'empereur Alexandre ait pu consentir à la destruction de Moskou, mais même que ce prince eût eu connaissance de ce détestable projet. L'historien n'est-il pas alors entraîné à présumer que la même faction oligarchique qui avait fait nommer Kutusow généralissime, avait conçu et exécuté à elle seule le dessein d'incendier la ville où elle dominait depuis l'origine de l'empire russe? Le fait est que, le 13 septembre, un conseil de guerre fut tenu à une demi-lieue de Moskou: il y fut agité si on livrerait une dernière bataille sous les murs de la capitale, ou si, ne pouvant la défendre, on la détruirait. Quarantehuit heures après Moskou était en feu; or, l'empereur Alexandre était à Pétersbourg, à cent lieues de Moskou.

Cependant deux armées russes, éloignées du principal théâtre de la guerre, allaient entrer dans les opérations du généralissime Kutuzow: c'était l'arınée de réserve, commandée par Tormazow, et l'armée de Moldavie, par l'amiral Tchitschagoff. Ces deux armées réunies, fortes d'environ 60,000 hommes, opérèrent leur jonction derrière la Styr, du 15 au 18 septembre. Le prince de Schwarzenberg, commandant le contingent autrichien, ne leur opposait qu'environ 42,000 hommes, dont 30,000 Autrichiens, et le reste

« PreviousContinue »