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dit à lui-même, avec anxiété : « Réussirai-je ? » Cet immense palais des Tuileries, où il ne retrouve ni sa femme, ni son fils, a perdu pour lui son prestige et n'est plus à ses yeux qu'un séjour morose, mélancolique. Au 20 mars 1815 il a comparé, dans les profondeurs de son âme, le 20 mars 1811. Le berceau du fils n'a pas été plus solide que le trône du père. L'enfant est exilé, proscrit. Maintenant que le pape est rentré en triomphe dans la ville éternelle, le nom de roi de Rome a l'air d'une ironie. C'était un jouet d'enfant que cette royauté d'un jour, et voilà le jouet brisé. Napoléon est bien encore empereur. Mais qu'est-elle devenue cette couronne d'Italie, cette couronne de fer, dont il avait dit avec tant de fierté, sous les voûtes de la cathédrale de Milan : << Dieu me l'a donnée, gare à qui la touche ?» Et ce titre pompeux de protecteur de la Confédération du Rhin, qu'en a-t-on fait ? Où sont les vassaux allemands du souverain qui naguère était un Charlemagne; Comme ces mots : « diminution, décadence,» sonnent d'une manière lugubre aux oreilles du potentat, du conquérant! Peut-être se rend-il mieux compte aux Tuileries qu'à l'île d'Elbe du changement de sa fortune, et peut-être y est-il plus attristé par les nuages qui couvrent les feux de son étoile.

VIII

MARIE-LOUISE PENDANT LES CENT-JOURS.

Pendant que Napoléon marchait comme un triomphateur de Grenoble aux Tuileries, salué par des acclamations enthousiastes, les cris de fureur qui retentissaient contre lui à Vienne et dans l'Allemagne entière ne cessaient de frapper l'oreille de son infidèle épouse. Marie-Louise apprit avec crainte, et non avec plaisir, que l'empereur venait de quitter l'île d'Elbe. Informée de cette nouvelle, au retour de sa promenade, elle parut d'abord l'ignorer. Il y eut, le soir, à Schoenbrunn, dîner, musique et billard, comme à l'ordinaire. Le lendemain, quand le grand événement fut connu de l'entourage, encore français, de l'impératrice, il causa une émotion telle qu'un officieux crut devoir proposer un ordre du jour pour interdire aux gens de la maison toute ré

flexion sur ce sujet brûlant. Marie-Louise finit par rompre le silence. Son langage attestait le trouble de son esprit. Elle disait que les dangers qu'allait courir l'empereur l'inquiétaient au plus haut degré; qu'elle était sûre qu'il ne réussirait pas; que sa situation à elle serait encore aggravée. Son oncle, l'archiduc Jean, vice-roi d'Italie, lui tint, dit-on, ce triste propos : « Ma pauvre Louise, je te plains; ce que je désire pour toi et pour nous, c'est que ton mari se casse le cou. >>

La prisonnière de la coalition eut toutefois un instant quelque velléité de sentiments meilleurs. Quand l'empereur d'Autriche fut certain que Napoléon se rendait non en Italie, comme on l'avait cru d'abord, mais en France, sa colère s'apaisa un peu, et il dit à sa fille que si, contre toute probabilité, son époux réussissait, peutêtre serait-elle autorisée à le rejoindre, au cas où une politique pacifique prévaudrait. A ce moment, une lutte intérieure se fit dans l'esprit de Marie-Louise. Ainsi que le relate M. de Méneval, confident de l'anxiété et des fluctuations de son âme, un jour elle affirmait qu'elle ne retournerait jamais en France, parce qu'elle n'entrevoyait pas d'espoir de repos pour ce pays; le lendemain, elle disait que si son mari renonçait aux projets de conquête et voulait régner paisiblement, elle était fondée à penser que son retour en France n'éprouverait point d'obstacle, et qu'elle n'aurait

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pas de répugnance à y reparaître, parce qu'elle avait toujours eu du goût pour les Français.

Tout n'était donc pas absolument désespéré à Vienne, dans les premiers jours du mois de mars, pour la cause de Napoléon. Mais il avait oublié, dans ses calculs, un Français plus impitoyable pour lui que les étrangers les plus acharnés à sa perte. Cet homme, c'était celui qu'il avait comblé, accablé de ses bienfaits; qu'il avait pris, prêtre défroqué et ruiné, pour en faire un ministre, un prince, un grand dignitaire de l'empire. Le même Talleyrand, qui avait voulu faire déporter son ancien souverain aux Açores, resserra le faisceau de la coalition, et reconstitua la Sainte-Alliance, malgré l'antagonisme qui existait entre les cabinets de Vienne et de SaintPétersbourg. Le 13 mars 1815, c'est-à-dire le jour même où Napoléon, acclamé par le peuple et par les soldats, quittait Lyon, pour continuer jusqu'aux Tuileries sa marche triomphale, son ministre des affaires étrangères, parvenait à faire signer par les puissances la déclaration du 13 Mars, cette diatribe où il était dit, dans un langage antidiplomatique, mélange de haine et de frayeur : « En rompant la convention qui l'avait établi à l'île d'Elbe, Bonaparte détruit le seul titre légal auquel son existence se trouvait attachée. En reparaissant en France avec des projets de troubles et de bouleversements, il s'est privé lui-même de la protection des lois, et a manifesté,

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