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M. de Méneval comprit que sa présence à Schoenbrunn était devenue plus qu'inutile. Dès le 9 avril, il demanda ses passeports pour la France. Il les attendit près d'un mois. Avant de partir, il se rendit au palais impérial de Vienne, pour y dire adieu au prince, et fut frappé de l'air sérieux et mélancolique de l'enfant. A son aimable enjouement et à sa gracieuse loquacité avait succédé quelque chose de contraint, de gêné, d'intimidé. Il jetait des regards inquiets autour de lui. Sa précoce tristesse - il venait d'avoir quatre ans faisait croire qu'il avait déjà le vague pressentiment de sa destinée douloureuse. Monseigneur, lui dit M. de Méneval, je vais revoir votre père. Avez-vous des commissions pour lui?» Comme s'il se fût senti entouré de personnes malveillantes, l'enfant se tut; puis, dégageant sa main de celle du fidèle serviteur de son père, il lui fit signe, après s'être retiré silencieusement dans l'embrasure de la croisée la plus éloignée, et dit tout bas: « Monsieur Méva, vous lui direz que je l'aime toujours bien. »

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Le 6 mai, à dix heures du soir, M. de Méneval prit congé de l'impératrice Marie-Louise. Cette femme, ordinairement impassible, ne put se défendre alors d'un certain attendrissement. Peutêtre un remords secret agitait-il le fond de son âme. Après avoir dit quelques mots obligeants à l'homme de cœur qui lui avait donné de nobles conseils, hélas! si peu suivis, elle s'exprima à

peu près en ces termes : « Je sens que tout rapport va cesser entre moi et la France. Mais je conserverai toujours le souvenir de cette terre d'adoption. Assurez l'empereur de tout le bien que je lui souhaite. J'espère qu'il comprendra le malheur de ma position. Je ne prêterai jamais la main à un divorce; je me flatte qu'il consentira à une séparation amiable, et qu'il n'en concevra aucun ressentiment. Cette séparation est devenue indispensable. Elle n'altérera pas les sentiments d'estime et de reconnaissance que je conserve. » Puis elle donna à M. de Méneval une tabatière ornée de son chiffre en diamants, et se retira pour cacher l'émotion qui commençait à la gagner.

IX

LE CHAMP-DE-MAI.

Dès son arrivée à Paris, M. de Méneval se rendit auprès de Napoléon pour lui donner des nouvelles attendues avec impatience. L'empereur était accablé de tristesse. Depuis le 17 avril, il avait quitté les Tuileries, résidence morose, pleine de souvenirs funestes, pour s'installer à l'Élysée, où il pouvait parfois interrompre son immense travail par quelques promenades sous de beaux arbres, dont la fraîcheur faisait un peu de bien à son front brûlant. Il sentait que, malgré tout son génie, le terrain lui manquait sous les pas. Il entendait dans le lointain le bruit de la marche des innombrables bataillons qui s'avançaient contre la France, et comprenait que tôt ou tard l'héroïsme serait vaincu par le nombre. Une profonde mélancolie s'emparait de son âme. Il jetait sur les hommes et les choses un regard

clairvoyant, mais découragé. Si son fils était là, s'il pouvait reposer sa vue sur la tête blonde de cet enfant si bon et si doux, peut-être aurait-il quelques instants de calme. Mais le roi de Rome était bien loin. Prisonnier de la coalition, il avait le sort d'Astyanax, ce sort fatal dont son père avait eu le pressentiment.

M. de Méneval trouva l'empereur assis sur une causeuse, la tête appuyée sur sa main, et comme enseveli dans une rêverie sombre. Après avoir accueilli avec une grande cordialité son fidèle serviteur, Napoléon le conduisit dans le jardin, et lui fit une foule de questions. Les moindres détails qui se rattachaient à son fils intéressaient au plus haut degré son cœur paternel. Tout ce qu'il dit de l'impératrice était plein de convenance et de ménagement pour elle. Il la plaignait des épreuves auxquelles elle avait été exposée, et, ne mettant pas en doute que ses sentiments pour la France et pour lui n'eussent été violentés, il allait lui-même au-devant de ce que M. de Méneval aurait pu alléguer pour la défendre.

Abordant les questions politiques, l'empereur dit qu'en revenant de l'île d'Elbe, ce n'était pas Louis XVIII qu'il avait détrôné (car ce prince n'aurait pas pu se soutenir en France encore pendant six mois), mais le duc d'Orléans; qu'il en était fâché, parce que ce prince était le seul Français de sa famille. « Napoléon était touché des sentiments patriotiques que le duc d'Orléans

avait montrés deux mois auparavant, en allant prendre le commandement de l'armée du Nord placée sous les ordres du maréchal Mortier; de la lettre qu'il avait écrite à ce maréchal, en retournant dans la retraite ; mais surtout des paroles rapportées par le capitaine Athalin, l'un de ses aides de camp, que le duc d'Orléans avait autorisé à reprendre son poste d'officier d'ordonnance de l'empereur. Ce prince lui avait dit qu'il fallait avant tout empêcher une nouvelle invasion de la France par les troupes étrangères, l'estimant heureux de retrouver des couleurs que lui-même n'avait quittées qu'avec regret. »

Napoléon s'exprima ensuite tranquillement au sujet des souverains, ses impitoyables ennemis. Ce qui se passait ne le surprenait pas. Il avait compris, en tentant son entreprise, qu'il ne devait en appeler qu'au courage de la nation et à son épée. « Au reste, disait-il avec un sourire mélancolique, Dieu est grand et miséricordieux. »

M. de Méneval ajoute, après avoir relaté cette conversation, pathétique dans sa simplicité : « Tout son langage était empreint d'une tristesse calme et d'une résignation qui firent sur moi une vive impression. Je ne le retrouverai pas animé de cette certitude du succès qui l'avait rendu si confiant autrefois; il semblait que la foi dans la fortune, qui l'avait porté à former l'entreprise hardie de son retour de l'île d'Elbe, et qui l'avait soutenu dans sa marche à travers la France, l'eût

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