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la garde se font tuer comme les Spartiates des Thermopyles. Les quatre ou cinq carrés de cette infanterie héroïque, au milieu de cent cinquante mille ennemis, ressemblent, selon la comparaison de l'historien national, à des cimes de rocher que l'Océan furieux couvre de son écume. La garde meurt et ne se rend pas!

Un peintre patriote, Hippolyte Bellangé, dont une toile radieuse, la Revue au Carrousel, avait si bien représenté l'armée heureuse et triomphante, a, dans un des tableaux les plus saisissants qui existent, retracé l'agonie de la garde impériale. Ce tableau, douloureux et lugubre, donne le frisson. Le ciel est sombre, funeste, un ciel de Géricault. Derrière un rempart de cadavres anglais aux uniformes rouges, trois grenadiers de la garde sont encore debout. L'un brûle sa dernière cartouche. L'autre fait un geste de fureur, montrant le poing à l'ennemi. Le troisième lève les bras au ciel, en criant encore: « Vive l'empereur! Ce qu'il y a d'énergie farouche, de grandiose colère, d'héroïque désespoir dans la fière attitude, dans les traits contractés de ces trois vétérans qui meurent comme ils avaient vécu, la plume essaierait en vain de le décrire. Malade et déjà envahi lui-même par les ombres de la mort, Hippolyte Bellangé rassembla toutes ses forces pour créer cette toile, qui est comme le testament de son talent si militaire et si français.

Honneur aux grenadiers de la garde, aux sol

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dats, hommes du peuple, qui ont reculé les bornes du dévouement, du courage, de l'esprit de sacrifice! Leur sang sera fécond. Ils auront placés dans le respect de la postérité, une défaite au niveau des plus célèbres victoires. Comme les martyrs de la religion, ces martyrs de la gloire auront triomphé jusque dans la mort. Gloria victis !

Et Napoléon, où est-il ? Les ténèbres ont couvert la plaine. On ne le voit plus. Les uns le disent blessé, les autres tué. Les soldats, ne se sentant plus protégés par son génie, errent à la débandade. Il y en a qui, pour ne point survivre à la défaite, se brûlent la cervelle. Lui, plus tard, il dira: « Waterloo! Waterloo. C'est là que j'au rais dû mourir. » Comme Ney, il n'a pas réussi à se faire tuer. Enfermé dans le carré des grenadiers de la garde, que commande le chef de bataillon Martenot, il marche pêle-mêle avec une masse de blessés, au milieu d'une poignée de vétérans, qui lui font un rempart de leurs corps. Dans quelques jours, Wellington écrira: « Je ne puis exprimer avec quels regrets et quelle douleur je regarde autour de moi. La gloire si chèrement achetée qui suit de telles actions ne console point... En vérité, les pertes que j'ai éprouvées m'ont comme abattu, comme brisé, et je n'ai pas le courage de me réjouir des avantages que nous avons obtenus. » Si le vainqueur tient un tel langage, que doit se dire le vaincu, quand le vaincu est Napoléon? Aux joyeuses fanfares que les mu

siques militaires entonnaient le matin, il faudrait faire succéder le De profundis, le Dies ira, les lamentations de Jérémie. Quelles réflexions celui qui avait été le vainqueur d'Austerlitz ne dut-il pas faire en ce moment sur les misères de l'ambition, sur les caprices de la fortune, sur la part immense qui est laissée au hasard dans les choses d'ici-bas, sur le fil si léger auquel sont suspendus les événements du monde ! Une voix secrète, une voix plus éloquente que celle de tous les sermonnaires qui ont parlé contre l'orgueil, grondait dans l'âme du fugitif. La parole de l'Évangile se réalisait : « Quiconque se servira de l'épée périra par l'épée. » On dit que l'homme au cœur de bronze pleura. Pour déplorer une pareille catastrophe, serait-ce assez d'un océan de larmes ?

XI

NAPOLÉON II.

Le dimanche 18 juin 1815, jour de la bataille de Waterloo, la population parisienne lisait dans le Moniteur la proclamation datée du 14, où l'empereur disait à son armée : « Soldats, c'est aujourd'hui l'anniversaire de Marengo et de Friedland, qui décidèrent deux fois du destin de l'Europe. Alors, comme après Austerlitz, comme après Wagram, nous fûmes trop généreux, nous crûmes aux protestations et aux serments des princes que nous laissâmes sur le trône. Aujour d'hui cependant, coalisés entre eux, ils en veulent à l'indépendance et aux droits les plus sacrés de la France. Ils ont commencé la plus injuste des agressions. Marchons à leur rencontre! Eux, et nous ne sommes-nous plus les mêmes hommes!» Le lundi 19 juin, ironie de la destinée ! cent coups de canon, tirés aux Invalides, annonçaient aux Parisiens une victoire, hélas! déjà

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morte, la victoire de Ligny. Le même jour, le Moniteur gantois publiait la nouvelle suivante : << La journée du 18 a terminé, de la manière la plus heureuse pour les alliés, la lutte sanglante et opiniâtre qui durait depuis le 15. L'armée de Bonaparte, cette armée qui n'est plus française que de nom depuis qu'elle est la terreur et le fléau de la patrie, a été vaincue et presque entièrement détruite. »

Les suites de la bataille de Waterloo venaient d'être non moins désastreuses que la bataille ellemême. La nuit n'avait pas même interrompu le carnage. Tandis que l'armée anglaise, exténuée de fatigue, se reposait enfin, la cavalerie prussienne poursuivait avec acharnement les troupes françaises en fuite. La lune, s'étant levée, facilitait cette chasse à l'homme. Les soldats de la garde impériale avaient crié à Ligny : « Pas de quartier ! » Ce cri se retournait contre eux, comme la peine du talion, canons, caissons, bagages, obstacles de toute espèce encombraient la route. La confusion, le désordre, l'épouvante étaient inexprimables. L'histoire offre peu d'exemples d'un pareil cataclysme. Arrivé à Charleroy, l'empereur laissa le commandement des débris de l'armée à son frère Jérôme, dont la conduite à Waterloo a été héroïque, et partit en poste pour Paris, où il savait que les royalistes, regardant son épée comme brisée allaient vouloir aussi briser son sceptre et sa

couronne.

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