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XII

LA MALMAISON

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Le plus pittoresque de tous les historiens, celui qui a pris pour programme cette parole magique « L'histoire est la résurrection des morts, » Michelet a dit dans un de ses cours : « Messieurs, le plus grand homme du monde, c'était un homme! Or, il eut une femme, et, un jour, il voulut en changer. Grande douleur, larmes, cris. Il dit : « Ce n'est qu'une femme ! » Vous n'avez pas vécu du temps de l'Empire, messieurs, mais moi j'y ai vécu. J'étais enfant, alors. Je vous dirai que c'était un temps où personne ne parlait. L'empereur avait fait toutes choses, vous savez; il changeait l'Europe, supprimait des nations, il jetait la République par la fenêtre. Personne ne parlait; silence profond. Un matin, il voulut renvoyer sa femme; tout le monde parla. Voilà dans chaque ménage une dis

cussion qui commence. J'ai entendu cette polémique entre le mari et la femme. L'homme disait : «< Elle ne lui donne donc pas d'enfant? Elle a eu quelques torts. Il eût pu divorcer en revenant d'Égypte. Mais il ne l'a pas fait, disait la femme. Pourquoi pas maintenant? L'empereur est tout seul. Ne faut-il pas qu'il se rallie des familles puissantes? Son isolement est celui de la France. » A quoi la femme, sans discuter, répliquait simplement : « — N'importe, cela ne lui portera pas bonheur? - Et pourquoi? Cela ne lui portera pas bonheur ! »>

Le dimanche 25 juin 1815, quand le vaincu de Waterloo se retrouva dans la Malmaison, cette poétique résidence toute remplie des souvenirs de Joséphine, il compara, dans le fond de son âme, sa seconde femme à la première, et reconnut, trop tard, hélas ! combien le divorce lui avait été fatal. Evidemment, le sentiment féminin et l'instinct populaire ne s'étaient pas trompés: Cela ne lui avait pas porté honheur. En rentrant à la Malmaison, il oublia tout, excepté Joséphine, Joséphine dont le gracieux et douloureux fantôme lui apparaissait dans chaque pièce du château et au détour de chaque allée du jardin. « Il ne faisait aucune allusion à sa situation, a dit Mme Caffarelli, un témoin oculaire, mais il s'entretenait de toutes les scènes domestiques auxquelles il avait pris part dans le mème lieu, il rappelait, à l'occasion de chaque porte, de chaque

fenêtre, ou quelques mots de Joséphine ou quelque plaisanterie du temps passé, ou quelque jeu de son intimité. » Du présent, de l'avenir, il ne disait pas un seul mot. Mais le passé revivait tout entier.

Je me souviens des vers d'Alfred de Musset.

La foudre maintenant peut tomber sur ma tête,
Jamais ce souvenir ne peut m'ètre arraché.
Comme le matelot brisé par la tempête,
Je m'y tiens attaché.

Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent,
Ni ce qu'il adviendra du simulacre humain,
Ni si ces vastes cieux éclaireront demain

Ce qu'ils ensevelissent.

Je me dis seulement: A cette heure, en ce lieu,
Un jour je fus aimé : j'aimais, elle était belle,
J'enfouis ce trésor dans mon âme immortelle,
Ef je l'emporte à Dieu. -

Lorsque l'empereur était arrivé à la Malmaison, personne n'avait osé lui adresser de questions sur son sort. On l'avait laissé à ses rêveries. C'était un court moment de repos sur ce calvaire dont les stations devaient s'appeler la Malmaison, Rochefort, le Bellerophon, le Northumberland, Sainte-Hélène. Napoléon méditait, comme désintéressé des choses de ce monde. L'inaction de cet homme actif entre tous avait je ne sais quoi d'effrayant. Le lendemain, lundi 26 juin 1815, ceux qui l'entouraient rompirent ce silence, et discutèrent devant lui le parti qu'il y avait à prendre. Le duc de Bassano l'assura que le peu

ple et l'armée étaient toujours pour lui; que s'il le voulait, il pouvait encore ressaisir les rênes du gouvernement, se faire obéir des troupes, dissoudre les Chambres. Quand le duc fut sorti, Napoléon dit avec un sourire de tristesse : « Maret est toujours le même, toujours prêt à me flatter et à se flatter lui-même, toujours prêt à voir et à croire tout ce qu'il désire. »

Le même jour, la comtesse de Las Cases vint trouver à la Malmaison son mari. « Chère amie, lui dit-il, en faisant mon devoir j'ai la consolation de ne pas heurter tes intérêts. Si Napoléon II doit nous gouverner, je te laisse de grands titres auprès de lui. Si le ciel en ordonne autrement, je t'aurai ménagé un asile bien glorieux, un nom honoré de quelque estime. Dans tous cas, nous nous retrouverons, ne fût-ce que dans un meilleur monde. »> Après des pleurs et des reproches mêmes qui ne devaient m'être que doux, a dit l'auteur du Mémorial, elle se rend, me promet qu'elle pourra venir me joindre bientôt, et, dès cet instant, je ne trouve plus en elle que l'exaltation, le courage qu'il m'eût fallu, si j'en eusse eu besoin. »

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Cependant la journée du 26 s'était passée sans que l'empereur eût parlé de l'avenir. Il écoutait tout et faisait des remarques sur ce qu'on disait, mais il ne manifestait aucune résolution.

Mardi 27 juin. - Que deviendra le grand empereur, que deviendra le proscrit ? Où ira-t-il ?

En Amérique ou en Angleterre ? Sera-t-il libre? Sera-t-il prisonnier ? S'il quitte la Malmaison, cet asile de quelques heures, qui le garantira contre les outrages dont il fut abreuvé un an auparavant, lorsqu'il se rendait à l'île d'Elbe? N'est-il pas exposé à devenir le trophée de Blücher, ou à tomber sous les coups de sicaires royalistes? S'il veut partir pour l'Amérique, comment arrivera-t-il au port d'embarquement? Et, en mer, comment échappera-t-il aux croisières anglaises? Autant de questions que tout le monde se pose autour de Napoléon, mais que lui-même semble craindre d'aborder. Au milieu de sa détresse, il a encore je ne sais quelle vague espérance de rentrer en scène. Il attend d'une manière inconsciente quelque événement miraculeux. Il hésite à s'éloigner de la Malmaison, comme en 1812, il hésitait à quitter le Kremlin. On dirait qu'une force secrète le retient dans cette résidence de ses beaux jours, dans ce temple gracieux de sa jeunesse et de sa gloire. Mais le temps presse. Les Prussiens s'avancent. Bon gré mal gré, il va falloir partir.

La veille, 26 juin, le gouvernement provisoire a rendu un arrêté ainsi conçu:

« Art. Ir. Le ministre de la marine donnera des ordres pour que deux frégates du port de Rochefort soient armées pour le transport de Napoléon Bonaparte aux États

Unis.

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