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des cuisines. Napoléon y arrive par les allées détournées du jardin. Il dit adieu à sa mère, à ses frères, à ses fidèles serviteurs. La reine Hortense le supplie d'accepter un collier de diamants, pour qu'il ait toujours sous la main une ressource facile à cacher. Il refuse d'abord. Hortense insiste, elle pleure, il céde, prend le collier, le met dans une poche de son habit, jette un suprême regard sur les ombrages qui avaient naguère abrité tant de joies et tant de gloire. Puis il monte rapidement en voiture. En le voyant s'éloigner, tous les assistants fondent en larmes.

XIII

ROCHEFORT

Lorsque la calèche dans laquelle se trouvait l'empereur avec les généraux Bertrand, Beker et Savary quitta la Malmaison, la chaleur était suffo. cante. Napoléon ne disait pas un mot, et ses compagnons, aussi tristes que lui-même, respectaient son silence. La calèche, qui avait l'air d'une voiture funèbre, se rendit par les bois de Butart à Rocquencourt, et, sans passer par Versailles, qu'elle laissa à gauche, elle alla à Saint-Cyr rejoindre la route de Chartres. On arriva à Rambouillet à l'entrée de la nuit. L'empereur coucha au château. Ce fut la dernière résidence impériale où il logea. Il en avait été de même pour Marie-Louise. L'année précédente, elle y avait séjourné avec son fils, depuis le 13 jusqu'au 23 avril. C'est là où elle était devenue la prisonnière de l'Autriche; c'est là qu'elle avait eu une

entrevue avec son père; c'est de là qu'elle était partie pour Vienne. Rambouillet offrait donc à Napoléon un sujet de réflexions amères. Comme souverain, comme époux, comme père, il pouvait s'y livrer à des méditations douloureuses.

Vendredi 30 juin 1815. - De très bonne heure, l'empereur, ayant toujours dans sa calèche les trois généraux, quitta le château de Rambouillet par l'allée conduisant à la porte du parc qui donne au delà de la ville, sur la route de Chartres.

Au relais de Châteaudun, la maîtresse de poste se montra tout effarée à la portière de la voiture, en demandant aux voyageurs s'ils venaient de Paris, ét s'il était vrai qu'il fût arrivé un malheur à Napoléon. A peine achevait-elle cette question qu'elle reconnut l'empereur. Sans dire un mot, elle leva les yeux au ciel, et rentra en pleurant dans sa maison.

Les voyageurs continuèrent leur chemin par Vendôme, jusqu'à Tours, qu'ils traversèrent, pendant la nuit. La voiture s'arrêta à la sortie de la ville sur la route de Poitiers. L'empereur voulut voir le préfet, que Savary alla chercher, et s'entretint un quart d'heure avec ce fonctionnaire. Puis il poursuivit son trajet, dans le plus strict incognito.

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Samedi 1er juillet. Dans la journée on passa par Poitiers. La chaleur était excessive. On s'arrêta quelques instants dans la maison de

poste, qui se trouvait en dehors de la ville, et on prit là un peu de repos sans être reconnu.

A Saint-Maixent, on trouva du monde assemblé sur la place de l'Hôtel-de-Ville. La garde nationale était en alerte depuis le renouvellement des troubles de la Vendée. Elle arrêta la calèche, et demanda les passeports des voyageurs. Le général Beker exhiba le sien, et montra les ordres du gouvernement provisoire. Il n'y était pas fait mention de l'empereur, que, du reste, on ne reconnut pas. La fermeté du général vint à bout des difficultés qui lui étaient opposées, et l'on put se remettre en route. A la nuit close, on arrivait à Niort, où on allait rester près de deux jours. Napoléon avait encore le vague espoir qu'il pourrait être, par quelque événement imprévu, rappelé sinon sur le trône, du moins à la tête des troupes, et, n'abandonnant pas la pensée de revenir en arrière, il voyageait avec une lenteur calculée.

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Dimanche, 2 juillet. Les sentiments que témoigna la population de Niort entretint les dernières illusions de l'empereur. Il y avait dans la ville des troupes destinées à réprimer les troubles de la Vendée. Elles firent à Napoléon un chaleureux accueil. Il était d'abord descendu dans une petite hôtellerie. Dès que son arrivée fût connue, des soldats, des bourgeois, des hommes du peuple accoururent en foule sous les fenêtres en demandant à le voir. Il parut, et fut

acclamé. Le préfet le pria de loger à la préfecture, et il accepta cette offre. La journée se passa dans une émotion profonde, que lui et la population ressentaient au même degré.

Lundi, 3 juillet. - Le général Beker, toujours plein de respect pour l'empereur, lui dit le matin qu'il pourrait être dangereux de s'attarder ainsi, et qu'il y avait lieu de craindre l'arrivée d'une croisière anglaise devant Rochefort, ce qui rendrait impossible le départ pour les États-Unis. Napoléon se laissa convaincre, et quitta Niort, non sans regret. Un piquet de cavalerie légère l'escorta. Avant la fin de la journée, il entrait à Rochefort. Dans la ville ou dans les environs, il y avait un régiment d'artillerie de marine, quinze cents gardes nationaux, près de trois mille hommes de gendarmerie, tous bien disposés pour l'empereur. On lui faisait des protestations de dévouement. On lui demandait de le suivre. Il logea à la préfecture maritime, et la population lui fit le même accueil qu'à Niort. Il n'y eut pas un militaire à dix lieues à la ronde qui ne voulût le voir. « La population, » a dit un témoin oculaire, le duc de Rovigo, « ne quittait pas le dessous des fenêtres de l'empereur, qui était obligé quelquefois de se montrer pour satisfaire son impatience. Chaque fois qu'il parut, il fut accueilli avec le même respect que s'il eût triomphé de tous ses ennemis. Rochefort est une des villes pour la salubrité desquelles Napoléon avait fait le plus de

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