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III

LA REINE MARIE-CAROLINE.

Pendant que Napoléon s'installait à l'île d'Elbe, Marie-Louise reprenait à Schoenbrunn les habitudes de son enfance et du commencement de sa jeunesse. L'existence qu'elle menait dans sa paisible retraite, après de si grandes agitations, lui était agréable. Elle consacrait ses matinées à son fils, dont l'appartement communiquait avec le sien par un cabinet de toilette. Dans la journée, elle dessinait, faisait de la musique, étudiait la langue italienne, dont la connaissance lui serait nécessaire à Parme; elle montait à cheval, elle se promenait à pied et en voiture dans le parc de Schoenbrunn ou dans les environs, elle visitait les curiosités de Vienne. La foule, silencieuse et respectueuse, se montrait toujours avide de la contempler, et la gentillesse de son fils, qui était le plus bel enfant du monde, excitait une admi

ration générale. Elle se plaisait beaucoup dans la société de ses jeunes sœurs: Léopoldine, née en 1797 (future impératrice du Brésil); Marie-Clémentine, née en 1798 (future princesse de Salerne); Caroline-Ferdinande, née en 1801 (future princesse de Saxe); Marie-Anne, née en 1804 (future abbesse du Chapitre des Dames Nobles de Prague). Elle voyait aussi très souvent ses frères: le prince impérial Ferdinand, né en 1793, et François-Charles-Joseph, né en 1802. Ce prince (père de l'empereur d'Autriche actuel), était le compagnon de jeux du roi de Rome, qu'on n'appelait plus que le prince de Parme.

Les chevaux de selle et d'attelage, les voitures de parades et les fourgons chargés des objets qui appartenaient en propre à Marie-Louise, et qui étaient partis de Rambouillet sous des escortes de troupes autrichiennes, arrivèrent à Vienne en juin. Parmi les chevaux de selle, il y en avait un de race arabe, que Napoléon aimait à monter. On conseilla à l'empereur d'Autriche de faire sur ce cheval son entrée solennelle à Vienne. Il eut le bon goût de refuser un tel genre de triomphe.

Marie-Louise attendait son père avec impatience. C'était à Rambouillet qu'elle l'avait vu pour la dernière fois; en lui elle plaçait toutes ses espérances. Le 15 juin 1814, elle partit de grand matin de Schoenbrunn, pour aller au-devant de lui. Elle s'arrêta à Siegartsirken, à deux postes de Vienne. Elle avait été précédée par ses frères,

par ses sœurs et sa belle-mère, l'impératrice. Elle reçut son père, au relai, dans la même chambre où Napoléon avait reçu, en 1805, la députation qui lui remit les clefs de Vienne. L'Empereur François monta dans la même calèche que sa fille, et se rendit avec elle à Schoenbrunn. Il ne lui laissa pas d'illusions sur le genre de protection qu'il était disposé à lui accorder. « Comme ma fille, lui dit-il franchement, tout ce que j'ai est à toi; comme souveraine, je ne te connais pas. » Le lendemain, il fit triomphalement son entrée dans sa capitale, où il n'avait point paru depuis la derrière guerre. Il parcourut toutes les rues de Vienne, au milieu des acclamations. La marche dura cinq heures. Elle se termina à la cathédrale de Saint-Étienne, où fut chanté un Te Deum. Puis l'empereur retourna à Schoenbrunn, auprès de Marie-Louise.

au

Toute la famille de l'ancienne impératrice des Français conspirait pour la détourner de son époux. Seule, une de ses parentes, qui venait d'arriver à Vienne, essayait de la ramener sentiment de ses devoirs : c'était sa grand'mère, la reine des Deux-Siciles, Marie-Caroline, fille de la grande impératrice Marie-Thérèse, et sœur de l'infortunée reine de France, Marie-Antoinette. Féconde comme son illustre mère, elle avait eu dix-huit enfants, entre autres la princesse Marie-Thérèse, qui fut la seconde femme de l'empereur François et la mère de l'impératrice Ma

rie-Louise. La vie de la reine Marie-Caroline avait été très agitée. Courageuse jusqu'à l'héroïsme, énergique jusqu'à la cruauté, religieuse jusqu'à la superstition, autoritaire jusqu'au despotisme, elle eut une existence remplie de révolutions, de troubles et de crises de tout genre. Née le 8 août 1752, elle avait épousé le 7 avril 1768 le roi des Deux-Siciles, Ferdinand IV, qui régnait depuis 1759. En 1800, elle était venue à Vienne auprès de son gendre et de sa fille. Elle y resta deux ans, travaillant de toutes ses forces à augmenter, si cela était possible, la haine que la France et les idées françaises inspiraient à la cour, à l'aristocratie et à toute la nation autrichienne.

En apprenant que Bonaparte était vainqueur à Marengo, Marie-Caroline perdit connaissance, et faillit mourir d'une attaque d'apoplexie. Ayant eu également à se plaindre de la Révolution, qui avait tué sa sœur, et de l'Empire, qui lui avait pris son trône de Naples, elle avait eu autant d'anathèmes pour la France que pour Napoléon. Il existait pourtant quelqu'un à qui elle avait voué une aversion plus grande qu'à l'empereur, c'était Murat. Ce fut peut-être elle qui la première s'aperçut, en 1813, que Murat voulait abandonner la France, pour s'allier à l'Autriche. Elle était alors réfugiée en Sicile, où elle régnait avec son mari, sous le contrôle des Anglais, qu'elle regardait plutôt comme ses tyrans que comme ses protecteurs. A ce moment, elle

eut la velléité de se réconcilier avec Napoléon, et envoya un agent à Vienne pour prévenir l'ambassadeur français de la défection prochaine de Murat.

Chose étrange, il y avait, en 1814, deux reines des Deux-Siciles, qui toutes deux s'appelaient Caroline: l'une était la soeur de Marie-Antoinette, l'autre la sœur de Napoléon. Eh bien ! à cette époque, la plus napoléonienne des deux, ce n'était point la femme de Murat; et, chose non moins étrange, lorsque ces deux femmes se disputaient avec un égal acharnement le trône de Naples, le prince de Metternich était beaucoup plus favorable à la reine Caroline, sœur de Napoléon, qu'à l'autre Caroline, une Habsbourg, qui avait été la belle-mère de l'empereur d'Autriche, son souverain. Le monarque de l'île d'Elbe ne dut pas être médiocrement étonné, s'il apprit quelle était l'avocate qui le défendait avec le plus d'énergie, et insistait avec le plus de force pour exhorter sa femme à rester une épouse fidèle.

Marie-Louise, qui se souvenait d'avoir vu dans son enfance sa grand'mère, se montra joyeuse de la retrouver. Le voyage de la vieille reine avait été une aventure. Suivie de quelques fidèles, elle avait quitté furtivement la Sicile qu'elle regardait comme une prison, tant la domination. britannique lui était odieuse. La crainte d'être arrêtée par les nombreux vaisseaux anglais qui

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