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trait dans une situation affreuse vis-à-vis de mon gouvernement. >>

Las Cases tressaillit. Que n'aurait-il donné pour que la nouvelle fut vraie? Mais elle ne l'était pas. «< A quelle heure, dit-il au capitaine Maitland, prétend-on que l'empereur soit parti? A midi. Rassurez-vous, j'ai quitté l'empereur à l'île d'Aix, a quatre heures de l'après-midi. Me l'affirmez-vous? Je vous en donne ma parole. Alors se retournant vers quelques officiers qui étaient auprès de lui, le capitaine Maitland leur dit en anglais : « La nouvelle doit être fausse. Le comte de Las Cases est trop calme. Il a l'air de trop bonne foi, et, d'ailleurs, il vient de me donner sa parole. >>

On ne s'occupa plus que du lendemain : « Voulez-vous, dit Maitland à Las-Cases, que mes embarcations aillent chercher l'empereur? Non, reprit Las Cases. La séparation est trop douloureuse pour les marins français. Il faut leur laisser la satisfaction de garder l'empereur jusqu'au dernier moment, »>

Samedi, 15 juillet. - Le matin, à l'île d'Aix, Napoléon commençait à s'habiller, lorsque le général Beker accourut lui annoncer qu'il venait d'arriver à Rochefort un émissaire chargé de le faire arrêter. Il n'y avait donc plus une seule minute à perdre. Au point du jour, Napoléon, se décidant enfin à partir, descendit au rivage, et, après avoir reçu les adieux douloureux d'une foule

émue et attendrie, s'embarqua avec ses compagnons d'exil sur des canots qui les conduisirent au brick l'Epervier, d'où ils devaient se diriger vers le Bellerophon.

Avant de monter sur l'Epervier, l'empereur prit congé du général Beker, dont il n'avait eu qu'à se louer, et qui fondait en larmes. «- Général, lui dit-il, je vous remercie de vos procédés nobles et délicats. Pourquoi vous ai-je connu si tard? Vous n'auriez jamais quitté ma personne. Soyez heureux, et transmettez à la France l'expression des vœux que je fais pour elle. » Alors le général le supplia de lui permettre de l'accompagner jusqu'au Bellerophon. Non, répondit l'empereur. Je ne sais ce que les Anglais me réservent; mais s'ils ne répondent pas à ma confiance, on prétendrait que vous m'avez livré à mes ennemis. »

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Profitant de la basse marée pour sortir de la rade de l'île d'Aix, et naviguer vers celle des Basques, où était mouillé le Bellerophon, Napoléon y arrivait avec peine, à cause du temps trop calme. Le capitaine Maitland, plein d'impatience, regardait avec une lunette d'approche l'horizon, pour voir si l'illustre captif approchait. Il envoya un canot à sa rencontre. L'empereur, quittant alors le brick français l'Epervier, monta sur le canot anglais. A partir de ce moment, il cessait d'être libre; il devenait le prisonnier de ses ennemis les plus implacables. Il y eut, à bord de

l'Epervier, comme un long gémissement entrecoupé des cris de Vive l'empereur ! Tous les matelots pleuraient, et suivaient des yeux le grand homme, qui abordait le Bellérophon.

XIV

LE BELLÉROPHON

Quand l'empereur aborda le Bellerophon, M. de Las Cases, qui était à l'échelle du vaisseau, lui nomma le capitaine Maitland. Napoléon, ôtant son chapeau, dit d'une voix ferme : « Je viens à votre bord me mettre sous la protection des lois de l'Angleterre. » Le capitaine Maitland, après lui avoir présenté son état-major, le conduisit dans sa chambre, dont il le mit en possession. L'empereur était accompagné par les quatre généraux Bertrand, Savary, Lallemand, Montholon, et par le comte de Las Cases et son fils, ainsi que par les comtesses Bertrand et Montholon. La première avait ses trois enfants avec elle, la seconde en avait un. Ajoutez neuf officiers d'un grade inférieur et trente-neuf domestiques. Les principaux personnages furent reçus à bord du Bellerophon, les autres sur la corvette le Mir

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