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vint au plus près, en courant des bords et en croisant. Les passagers ne comprenaient pas le but de ces manœuvres.

Samedi, 5 août, La journée se passa de la même manière que la veille.

Dimanche 6 aoùt, Vers le milieu du jour, le Bellerophon mouilla dans la rade de Start-Point, où il n'était pas en sûreté, tandis que tout près de là, dans la rade de Torbay, il aurait été en bonne situation. Bientôt l'on sut pourquoi l'on ne se rendait point à Torbay. C'était parce qu'à StartPoint on allait être rejoint par le Northumberland, qui devait conduire Napoléon à Sainte-Hélène. Quelques instants après, ce navire parut, avec deux frégates chargées de troupes, qui devaient composer la garnison de l'île. On vit également arriver le navire le Tonnant, sur lequel flottait le pavillon de l'amiral lord Keith, le chef de la station. Lord Keith et sir George Cockburn, commandant du Northumberland vinrent dans la journée à bord du Bellerophon et remirent à l'empereur une copie des instructions qu'ils avaient reçues. Elles portaient que, le lendemain, Napoléon et les personnes de sa suite seraient désarmés, que leurs bagages seraient visités, et qu'on garderait en dépôt leur argent.

L'empereur n'avait que 350,000 francs en or et le collier de diamants que la reine Hortense l'avait forcé d'accepter, au moment où il quittait la Malmaison. Le collier fut confié à Las-Cases,

qui le cacha, en le portant toujours sur lui. Quant à la somme en or, elle fut répartie entre les domestiques qui la dissimulèrent sous leurs habits, à l'exception de 80,000 francs, qui turent seuls en évidence, et pris en dépôt par l'agent des douanes anglaises. Napoléon choisit pour l'accompagner Bertrand, Las Cases et Montholon. Gourgaud, désespéré d'être laissé en arrière, négocia et réussit. Les instructions des amiraux ne permettaient à l'empereur d'ammener que trois officiers. Il fut convenu de considérer Las Cases comme purement civil, et, grâce à cette interprétation, on admit une quatrième personne qui fut Gourgaud. Quant à son épée, Napoléon se jura lui-même que, si on voulait la lui prendre, il fau drait la lui arracher par la force.

Lundi 7 août. - Le moment de quitter le Bellérophon était arrivé. Vers onze heures du matin, lord Keith vint avec sa chaloupe. A une heure de l'après-midi, Napoléon fit annoncer qu'il était prêt; la chaloupe de lord Keith qui devait conduire l'empereur sur le Northumberland l'attendait. Il serra dans ses bras le duc de Rovigo qui, tout en larmes, se précipitait à ses pieds, et lui baisait les mains. Il embrassa aussi le général Lallemand: « Soyez heureux, mes amis, leur dit-il. Nous ne nous reverrons plus; mais ma pensée ne vous quittera point ni vous, ni tous ceux qui m'ont servi. Dites à la France que je fais des voeux pour elle. » Quand il

traversa le gaillard d'arrière du Bellerophon, les soldats lui portèrent les armes, pendant que retentissaient trois roulements de tambours. Son pas était ferme et mesuré. Il fit un adieu poli, même amical, au capitaine Maitland, qui était aussi ému que s'il était Français. « On pourrait s'étonner, a dit plus tard ce brave marin, qu'il restât un officier anglais prévenu en faveur d'un homme qui causa autant de maux à l'Angleterre, mais Napoléon possédait à un si haut degré l'art de plaire, qu'il y a très peu de personnes qui, comme moi, ayant été assises à sa table pendant près d'un mois, n'eussent éprouvé un sentiment de pitié, et même de regret, en contemplant un homme doué de qualités si séduisantes, et qui avait occupé un rang si élevé dans le monde, réduit à la condition dans laquelle je le voyais.

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Calme et plein de dignité, l'empereur, en se rendant au canot qui allait le conduire à bord du Northumberland, saluait gracieusement de la tête toutes les personnes se trouvant sur son passage. Ceux des Français qui avaient obtenu l'autorisation de le suivre à Sainte-Hélène semblaient fiers et heureux; les autres fondaient en larmes. Las Cases dit en ce moment à lord Keith: « Vous observerez, milord, que ceux qui pleurent sont ceux qui restent. >>

XV

LE NORTHUMBERLAND

Au moment où l'empereur allait passer du Bellérophon sur le Northumberland, l'amiral Keith lui dit avec une tristesse respectueuse : « Général, l'Angleterre m'ordonne de vous demander votre épée. » A cette demande, Napoléon répondit par un regard si fier que l'amiral n'osa pas insister. Le géant des batailles conserva son épée glorieuse. Il fut reçu du Northumberland avec les mêmes honneurs qu'on lui avait rendus au moment où il quittait le Bellerophon. Le lendemain 8 août 1815, jour du départ pour Sainte-Hélène, 1 embrassa une dernière fois ceux de ses compagnons d'infortune qui n'avaient pas obtenu l'autorisation de le suivre dans sa captivité, et qui eurent la permission de venir lui présenter un dernier hommage à bord du Northumberland. De ce nombre était Savary. L'empereur le chargea

particulièrement de dire au capitaine Maitland qu'il eût désiré lui donner une marque de souvenir; qu'il regrettait qu'on l'eût mis hors d'état de le faire; que, du reste, il ne conservait aucun ressentiment contre lui à raison de ce qui arrivait, parce que cela tenait à des considérations hors de sa puissance. « — Je ne crois pas, ajouta-t-il, que le capitaine m'ait trompé sciemment. Je lui ai reconnu, au contraire, assez d'honneur pour être persuadé qu'il est particulièrement peiné de voir que la confiance mise par moi dans son pavillon est devenue le piège de mon infortune, et qu'on l'a rendu l'instrument de la plus honteuse infraction à l'honneur et à la morale, à toutes les lois que respectent même les peuples les moins civilisés. >>

Quelques instants après, tandis que le Bellérophon et le Tonnant rentraient à Plymouth, le Northumberland mettait à la voile pour l'île de SainteHélène, où il ne devait arriver que le 15 octobre. Quand le navire passa à la hauteur du cap de la Hogue, Napoléon reconnut les côtes de France. Il les salua en étendant les mains vers le rivage, et s'écria d'une voix émue: « Adieu, terre des braves! Adieu, chère France! Quelques traîtres de moins, et tu serais la maîtresse du monde. »

Les Anglais allaient mettre le captif sur un piédestal gigantesque. A leur insu,et malgré eux, les bourreaux de sa personne devaient être les courtisans de sa gloire. Le rocher de Sainte-Hé

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