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V

MARIE-LOUISE EN SUISSE.

Les dernières lueurs d'une flamme bien faible sont près de s'éteindre. En Suisse, l'ancienne impératrice des Français est déjà beaucoup moins attachée à Napoléon qu'à Aix-en-Savoie. L'heure approche où, pour elle, il ne sera plus qu'un étranger. L'influence de MM. de Méneval et de Beausset diminue à mesure que celle du comte Neipperg grandit. Marie-Louise, qui, d'abord, repoussait si loin d'elle la pensée de séjourner à Vienne en même temps que les souverains vainqueurs de son époux, s'habitue peu à peu à cette idée. Le comte Neipperg ne la quitte plus. Si elle entreprend avec tant de hardiesse dans les glaciers, dans les montagnes, des excursions fatigantes, pour ne pas dire dangereuses, c'est que le séducteur est auprès d'elle. Il lui fait de la musique. Lorsqu'elle chante, c'est lui qui est son

accompagnateur au piano. C'est un chambellan assidu, dévoué, obséquieux, peut-être est-ce déjà un amant. Il va devenir un factotum, un homme indispensable. C'est lui qui se vantera de résoudre toutes les difficultés, d'aplanir tous les obstacles, et de faire entrer Marie-Louise dans ce duché de Parme qu'elle regarde comme une terre promise. Agent et confident du prince de Metternich, il poursuit, avec autant de ténacité que d'adresse, l'œuvre qui lui est confiée par l'oligarchie autrichienne. Il n'est ni jeune, ni beau, mais il a dans le regard, dans la tournure, dans la conversation, quelque chose de séduisant; il porte avec élégance son uniforme de général de hussards: il est d'une extrême politesse, et cache son ambition ardente sous des dehors de modestie et de simplicité. Très brave comme militaire, et très habile comme diplomate, il a le bon goût de ne jamais parler de lui. Il s'exprime avec grâce et écrit de même. Marie-Louise ne songe déjà plus à aller rejoindre son mari à l'île d'Elbe. Peut-être ne voudrait-elle pas y aller, alors même que son père lui en donnerait l'autorisation. Elle n'a plus désormais d'autre objec

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que de régner à Parme, avec son fidèle Neipperg pour ministre. Elle ne se soucie plus de la France. Il semble qu'elle ait dit à ce pays, où elle avait régné, un éternel adieu, en se séparant de la duchesse de Montebello, la seule Française qu'elle ait aimée.

Marie-Louise, qui appréciait les beautés de la nature, se plaisait beaucoup en Suisse, et la présence du général Neipperg, qui lui servait de guide, contribuait sans doute à lui faire trouver ce pays plein de charme. Le 9 septembre 1814, elle couchait à Lausanne, le 10, à Fribourg, le II, à Berne. Elle visitait ensuite les sites de Grinwal, de Lanterburn et du Righi. Dans cette excursion, elle ne fut accompagnée que de la comtesse de Brignole et du général Neipperg. « M. de Méneval et moi, dit le baron de Beausset, nous avions vu assez de neige dans les déserts de la Russie, et nous n'étions pas trop jaloux d'aller parcourir des montagnes qui en étaient couverAinsi, ces deux messieurs laissaient le champ libre au général, qui sans doute ne s'en plaignait pas.

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Marie-Louise était de retour à Berne le 20 sep. tembre. Elle venait d'apprendre la mort de sa grand'mère, la reine Marie-Caroline, et s'en montrait fort affligée. Elle resta deux jours enfermée dans ses appartements; mais, le 22, elle alla se promener à Hofhil, à deux lieues de Berne. Au retour de la promenade, on lui fit savoir l'arrivée de la princesse de Galles, qui ne la connaissait pas, et désirait la voir. Cette princesse était assurément l'un des types les plus curieux du siècle. Fille du duc Charles-Guillaume-Ferdinand de Brunswick, l'ennemi acharné de la Révolution française, l'auteur du célèbre mani

feste de 1792, l'adversaire malheureux de Dumouriez et de Napoléon, elle était née en 1768, et avait épousé en 1795 le prince de Galles. L'année suivante, elle donnait le jour à la princesse Charlotte, la future femme de Léopold (le roi des Belges). Mais à peine était-elle relevée de couches que son mari se séparait d'elle, sous prétexte d'incompatibilité d'humeur. Ce fut le commencement de récriminations et de scandales, qui eurent dans toute l'Europe le plus fàcheux retentissement, et ne finirent qu'avec la vie de Caroline.

Son mari, le prince de Galles, qui avait tant de choses à se reprocher lui-même, et dont toute la jeunesse avait été si orageuse, l'accusa bruyamment d'adultère, et prétendit qu'elle avait caché une grossesse. Le roi Georges III, son beau-père, nomma, en 1808, une commission ministérielle qui, après une enquête, prononça son acquittement, quant à l'accusation de grossesse, mais en déclarant que sa conduite n'était pas exempte d'inconséquences. Le prince de Galles, son mari, devint régent d'Angleterre, en 1811, par suite. de la démence de Georges III, et c'est de lui que le roi Louis XVIII disait : « Après Dieu, c'est au prince régent que je dois ma restauration. » Caroline était donc la fille et la femme de deux des hommes qui avaient été le plus hostiles à Napoléon. Elle désirait pourtant beaucoup voir Marie-Louise, et se proposait même d'aller faire

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une visite à l'empereur à l'île d'Elbe. En septembre 1814, lorsqu'elle se rencontra à Berne avec l'ancienne impératrice des Français, elle commençait un grand voyage. Après avoir parcouru l'Allemagne, elle voulait visiter l'Italie, la Grèce, la Syrie, les Lieux-Saints. Elle était aimable, spirituelle, et parlait le français à merveille. Sa physionomie, sa tournure, sa mise, sa conversation, tout en elle était original. Elle portait une robe de mousseline blanche, sa tête était enveloppée d'un grand voile de même étoffe qui retombait sur ses épaules et sa poitrine; un rang de diamants placés par-dessus ce voile lui servait de diadème. Son costume ressemblait à celui des prêtresses grecques de l'antiquité.

Le 23 septembre au matin, cette étrange et noble voyageuse avait une première entrevue avec Marie-Louise, et lui faisait mille amitiés. Elle lui raconta en détails ses démêlés avec son époux, le prince-régent, et toutes les tracasseries qu'elle venait de subir en Angleterre. « Votre Majesté aura de la peine à croire, disait-elle, que je n'ai pu être admise au cercle de la reine pendant le séjour des souverains de Russie et de Prusse en Angleterre, parce qu'il convenait à mon époux de ne pas se trouver avec moi, soit en particulier, soit en public. Je m'en plaignis à la reine, et j'écrivis même à mon mari une belle lettre que je signai la plus fidèle et la plus soumise des épouses (en disant ces derniers mots, la princesse sou

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