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que par ce moyen qu'on peut mettre fin à la guerre. Je n'approuve pas le choix de l'île d'Elbe comme résidence de Napoléon; on la prend à la Toscane; on dispose en faveur d'étrangers d'objets qui conviennent à ma famille. C'est un fait qu'on ne peut admettre pour l'avenir. D'ailleurs, Napoléon reste trop près de la France et de l'Europe. Au demeurant, il faut tâcher d'obtenir que, si la chose ne peut être empêchée, l'île d'Elbe revienne à la Toscane après la mort de Napoléon; que je sois nommé co-tuteur de l'enfant pour Parme, et que, dans le cas où ma fille et l'enfant viendraient à mourir, les États qui leur sont destinés ne soient pas réservés à la famille de Napoléon. »

Il est plus qu'évident que l'empereur François, en admettant qu'il eût jamais eu, ce qui est douteux, quelque sympathie pour son gendre, n'en gardait pas la moindre trace. Il le considérait comme un danger pour l'Europe, en général, et en particulier pour l'Autriche. Napoléon se faisait encore des illusions: il s'imaginait que son beau-père s'était sérieusement intéressé à son sort et lui avait fait obtenir la souveraineté de l'île d'Elbe épave d'un colossal naufrage. Napoléon se trompait. Il ne devait l'île d'Elbe qu'à la magnanimité de l'empereur Alexandre, à qui il avait fait tant de mal, et qui agissait en ennemi généreux. L'Autriche, au contraire, se

montrait implacable pour l'homme auquel elle ne pardonnait pas plus Wagram que Marengo.

Le 2 mai, 1814, Marie-Louise quitta le sol de France. Escortée par un détachement de cavalerie suisse, qui la reçut à la frontière, elle entra à Bàle le même jour, au milieu d'une double haie de troupes suisses, autrichiennes et bavaroises. Sa suite et celle de son fils se composaient de la comtesse de Montesquiou, qui conservait ses fonctions de gouvernante du petit prince; la duchesse de Montebello qui, bien que n'étant pas dame d'honneur, avait voulu accompagner l'impératrice jusqu'à Vienne, afin de retarder de quelques jours le moment d'une séparation douloureuse pour la souveraine et pour elle-même ; la comtesse de Brignole, qui avait succédé à Mme de Montebello, et qui devait rester et mourir auprès de Marie-Louise; le général Cafarelli, le baron de Saint-Aignan, le docteur Corvisart, le chirurgien Lacorner, qui se proposaient de revenir en France au bout de quelques jours, avec la duchesse de Montebello; le baron Méneval, Mme Hureau de Sorbec, le baron de

me

de

Bausset, Me Rabusson et Mme Soufflot, qui avaient l'intention de rester pendant quelques années encore auprès de l'impératrice. Dans son service personnel, rien n'était changé. C'étaient les mêmes individus, la même représentation, les mêmes usages, le même état de

maison, la même étiquette, la même domesticité, les mêmes équipages. Le cortège se composait de vingt-quatre voitures. Les frais de poste du voyage à travers la France s'étaient élevés à la somme de cinquante mille francs. MarieLouise voyageait en souveraine; et cependant le petit roi de Rome s'apercevait d'un changement dans sa destinée. « Ah! disait-il, je vois bien que je ne suis plus roi, car je n'ai plus de pages. »

A Bâle, Marie-Louise reçut une lettre que Napoléon lui avait adressée de Fréjus, à la date du 28 avril 1814, et cette lettre ranima dans son cœur le regret qu'elle exprimait souvent de n'avoir pas été rejoindre son mari à Fontainebleau. En même temps, M. de Méneval recevait une lettre, également datée de Fréjus, dans laquelle le général Bertrand lui disait : « Nous avons fait un triste voyage, comme vous pensez bien, assez bon dans presque toute la France, où l'empereur a reçu des témoignages de regret et les égards dus à sa position; mais, en Provence, nous avons été exposés à des insultes qui heureusement n'ont pas eu de suites. Vous devez croire que nous désirons beaucoup que l'impératrice vienne partager son séjour entre Parme et l'île d'Elbe; nous serions si heureux de la voir quelquefois; elle a été si bonne pour ma femme et pour moi, que plus que personne je le désire vivement. Veuillez mettre à ses pieds l'hommage de mon respect et de mon dévoue

ment. L'empereur s'est constamment bien porté, malgré la cruelle position où il s'est trouvé depuis un mois. >>

A ce moment, les liens qui attachaient MarieLouise à Napoléon n'étaient pas rompus. Nous n'en voulons d'autre preuve que cette longue lettre qu'elle écrivit de Zurich à son père : « J'ai eu à Bâle la consolation de recevoir des nouvelles de l'Empereur. Il se porte bien, mais il est fort triste de la façon dont il a été reçu en Provence. Il a aussi d'autres préoccupations dont je voudrais vous entretenir. Vous savez combien il m'est désagréable de parler d'argent. Mais je crois qu'il est de mon devoir, comme épouse et mère, de vous représenter dans quelle situation se trouve l'empereur, et de vous demander pour lui votre intervention. Je ne vous demande rien pour moi; car je pense que vous ne me laisseriez manquer de rien, si je me trouvais dans le besoin. L'empereur a peu d'argent avec lui. Dix ou douze millions, fruit de ses économies sur sa liste civile pendant douze ans, et une grande quantité de tabatières entourées de brillants sont à Orléans, confisqués sans droit par un commissaire du gouvernement provisoire. Tout cela est la propriété de l'empereur et de mon fils. On lui a même enlevé sa bibliothèque et les choses dont il se sert journellement. Je vous supplie d'employer tous les moyens possibles pour qu'il soit remis en possession de ce qui

lui appartient. Les choses qui appartenaient à la couronne, diamants, placements sur la Banque et autres valeurs, ont été rendues par l'entremise des intendants ou trésoriers. On a reconnu à l'empereur deux millions de rentes sur le grand-livre; mais la façon dont se comporte le gouvernement ne permet pas qu'on se flatte que cela sera jamais payé, si vous, mon cher papa, avec votre caractère si équitable, vous ne défendez les intérêts de votre gendre, qui n'est plus votre ennemi. Ma confiance absolue dans votre générosité et votre bonté me portent à faire auprès de vous cette démarche. Je suis sûre que ma confiance ne sera pas trompée.

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Pendant que Marie-Louise, encore fidèle à ses devoirs, plaidait la cause de son époux, l'oligarchie autrichienne allait chercher tous les moyens possibles de l'en éloigner à jamais. On ne négligea rien pour que le retour de la souveraine détrônée dans sa patrie eût plutôt l'apparence d'un succès que d'un revers. Marie-Louise retrouvait dans son voyage le même éclat, les mêmes hommages, les mêmes pompes qu'au palais des Tuileries. << Notre marche, a dit le baron de Bausset, qui était du voyage, avait l'air d'un triomphe plus que d'une fête; on eût cru peut-être avec raison que l'Autriche, forcée de prêter momentanément une princesse adorée, célébrait son retour comme une conquête. Tous les souverains de Bade, de Wurtemberg, de Bavière, dont nous

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