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des saints; de remplacer par de nouvelles hymnes, composées principalemens par Santeuil, celles dont le rhythme n'était pas pur ou qui contenaient des faits apocryphes; de réformer les répons, d'un style peu convenable, par d'autres composés des paroles mêmes de la sainte Écriture. En général, les membres de la commission se montrèrent préoccupés de la pensée de substituer des passages des livres saints aux répons plus ou moins heureusement composés par des auteurs ecclésiastiques. Cette idée était bonne; car une pensée écrite sous la dictée de Dieu est toujours plus féconde pour l'esprit et le cœur qu'une pensée qui ne vient pas directement d'une source divine.

Les superstitions et les erreurs historiques disparurent ainsi des livres liturgiques de Paris, qui s'enrichirent en même temps des hymnes et des proses les plus belles que l'on eût encore composées ; ils devinrent ainsi les plus parfaits de l'Église catholique. La critique et la science n'en exclurent point la piété ; jamais les mystères de Jésus-Christ n'avaient été chantés avec plus de magnificence; les fêtes de la Sainte-Vierge célébrées avec plus de douceur et d'amour; celles des saints avec plus de pompe et de grandeur.

La réforme de la liturgie parisienne fut un événement ; elle servit de base et de modèle à celles qui furent entreprises dans les autres Églises de France, pendant un demi-siècle.

Quelques particuliers, sans mission, essayèrent une révolution liturgique, au sein de cette réforme. Le cardinal Quignonez avait déjà essayé de cette révolution avec l'approbation du pape Paul III. Son Bréviaire particulier avait même été publié à Rome ; à son exemple, Foinard composa un Bréviaire, et son œuvre fut incontestablement meilleure et surtout plus chrétienne que l'œuvre romaine, qui se ressentait de l'esprit demi-payen de la Renaissance. Les évêques voulaient réformer et non changer radicalement les usages liturgiques de leurs Églises. L'œuvre de Foinard eut moins de succès en France que n'en avait eu à Rome celle de Quignonez.

Le cardinal de Noailles respecta l'œuvre de Harlai, dans les diverses éditions qu'il donna des livres liturgiques. Son successeur,

1 Indiquons seulement les proses Solemnis hæc festivilas; Humani generis; Sponsa christi. Les hymnes de Santeuil sont à peu près toutes des chefsd'œuvre.

Vintimille lui fit subir une modification importante, en donnant au Psautier une nouvelle disposition. Les psaumes furent groupés dans un ordre logique selon les différents jours de la semaine, de sorte qu'à chaque jour fut rattachée une pensée principale, se rapportant soit à une des principales vertus, soit à l'un des mystères du Christianisme. Dans la division nouvelle, chaque prêtre put lire chaque semaine à peu près tout le psautier, au lieu de répéter souvent les mêmes psaumes, comme dans l'ancien ordre, conservé dans la liturgie romaine.

Vintimille remplaça quelques anciennes hymnes par de nouvelles, composées par Coffin ; et des repons et antiennes de style ecclésiastique par des extraits de la sainte Ecriture parfaitement appropriés aux solennités. Sa réforme ne fut donc qu'un développement de celle de Harlai. La plupart des évêques de France adoptèrent le plan de la nouvelle liturgie parisienne, et dotèrent leurs Églises de livres où la piété n'avait rien perdu, où la science et la critique ne pouvaient plus rien reprendre, où l'on trouvait même des chefs-d'œuvre que le goût le plus difficile était forcé d'admirer1; 23 évêques adoptèrent la liturgie parisienne elle-même pour leurs diocèses. Ventimille eut des contradicteurs pour sa ré

1 Nous avons vu s'élever de nos jours des écrivains excentriques et fort peu instruits qui se sont donné la mission d'insulter à la réforme liturgique de France et de créer un nouveau droit qu'ils ont appelé liturgique pour nier le pouvoir qu'ont toujours eu les évêques de donner à leurs Eglises des liturgies en rapport avec les goûts, les mœurs et les usages des peuples confiés à leurs soins. Leurs principes, nouvellement inventés, n'ont aucun fondement; leurs injures à l'adresse de l'Église gallicane ou des évêques réformateurs de la liturgie, retombent sur eux de tout leur poids. A la tête de ces nouveaux écrivains est M. l'abbé Guéranger, qui a toutes les prétentions d'un chef d'école. Cet ecclésiastique, qui a rétabli l'Ordre de Saint-Benoît, moins la science et la gravité des anciens Bénédictins, a fait compiler un gros ouvrage pour transformer en hérésie la réforme liturgique, et en hérétiques les évêques et les écrivains qui y travaillèrent. On n'a probablement pas écrit d'ouvrage plus faux et plus insolent, depuis un siècle, que celui de M. l'abbé Guéranger. Il ne voit partout que des Jansenistes à propos de liturgie, sans réfléchir que le plus grand nombre des évêques réformateurs de la liturgie gallicane furent grands partisans des lettres de cachet, des billets de confession, des refus de sépulture et des autres persécutions dirigées contre ceux que l'on gratifiait de l'accusation de Jansénisme. Il a rencontré, il est vrai, parmi ceux qui travaillèrent à la réforme des livres liturgiques, des écrivains auxquels on a fait la réputation de Jansénistes; mais il aurait dû remarquer qu'ils étaient employés par des évêques qui, comme Vintimille, méritent peu d'être accusés de Jansénisme. Il eût pu remarquer aussi que, dans la

forme du Bréviaire. Il reçut une lettre et une remontrance1 que l'on regarde comme émanant des Jésuites, et qui furent condamnés par le Parlement. On publia trois lettres en réponse aux libelles et l'opposition fut réduite au silence.

La réforme de la liturgie romaine s'arrêta au xvie siècle ; on ne put donc profiter des grands travaux d'érudition ecclésiastique des xvie et xvme siècles. Le savant pape Benoit XIV, qui occupait le siége de Rome dans le même temps que Vintimille était archevêque de Paris, comprit la nécessité de faire disparaître de l'œuvre de Pie V tous les défauts et les erreurs historiques qu'on y avait laissées en grand nombre. Il travailla à cette réforme, et blâma ouvertement l'usage qui s'était introduit à Rome de supprimer l'office du temps qui forme comme la base de la liturgie catholique, par des offices de saints ou de pure dévotion. Benoît XIV ne put mener son œuvre à bonne fin. Ses successeurs l'abandonnèrent. On peut donc dire que ce pape, le plus savant peut-être de ceux qui occupèrent le Saint-Siége, est le seul qui ait compris les nécessités de notre temps et les besoins de l'Eglise, sous le rapport liturgique.

L'œuvre de Pie V est ainsi restée avec ses défauts, auxquels un grand nombre d'autres furent ajoutés avec les offices nouveaux.

théologie, la controverse, toutes les sciences ecclésiastiques, la plupart de ceux qui s'acquirent de la réputation étaient accusés de Jansénisme par ceux dont il continue si bien les traditions. Devant ces deux considérations, un écrivain grave abandonnerait cette absurde accusation de Jansénisme dirigée contre les nouvelles liturgies, et se croirait obligé de réviser de sangfroid le procès qui a été fait si légèrement à tant d'hommes qui font la gloire de l'Église. Mais M. Guéranger n'a sans doute aucune prétention à la gravité, qui conviendrait pourtant si bien à celui qui porte un nom qu'honorèrent les Mabillon, les D'Acheri et tant d'autres savants aussi recommandables par leurs vertus que par leur érudition.

Nous ne pouvons, dans notre ouvrage, réfuter en détail toutes les erreurs de M. Guéranger. Mais c'était un devoir, pour nous de protester contre les injures qu'il s'est permises à l'égard de l'Eglise gallicane, et d'avertir que ses principes sont faux, et ses apparences de science sans aucune solidité.

1 La lettre est composée de 11 pages in-4.0, et la remontrance de 12. On n'y trouve que des banalités qui ont défrayé la science de M. l'abbé Guéran ger. Ces libelles furent condamnés, comme calomnieux, à être brûlés, par arrêts des 8 juin et 20 août 1736.

2 On composa sur cela une chanson assez spirituelle intitulée : Les sensibles regrets des Jésuites, etc., 12 pages in-12, 1736.

3 Lettre de M. l'abbé *** à un de ses amis en réponse aux libelles qui ont paru contre le nouveau Bréviaire de Paris, in-4.0. Paris, Pierre Simon, 1736.

Or, c'est cette œuvre défectueuse que, de nos jours, on veut rendre obligatoire à toutes les Églises de France, et, au lieu d'en faire. disparaître les fausses légendes et les défauts, des écrivains passionnés et ignorants se sont donné la mission de préconiser ces défauts et de proclamer ces fausses légendes comme autant de monuments historiques incontestables.

Le délire ne pouvait guère aller plus loin. Ce qu'il y a de plus triste, c'est que des évêque se sont rendus les échos des témérités et des principes hérétodoxes de ces écrivains1.

Nous n'avons point à entrer dans le détail de l'établissement des nouvelles liturgies dans les Églises de France. Nous devons cependant mentionner la discussion qui s'éleva entre Bossuet, évêque de Troyes, et Languet, archevêque de Sens, au sujet du missel de Troyes. Bossuet ayant voulu, comme les autres évêques de France, donner aussi une liturgie à son Église, Languet crut devoir, sur la réclamation de quelques chanoines, intervenir à titre de métropolitain. Comme il se laissait guider par les Jésuites qui lui composaient ses mandements et ses ouvrages, Languet voyait des Jansénistes en tous ceux qui ne croyaient pas aux révélations de Marie Alacoque ". Bossuet, évêque de Troyes, était un de ceux qui osaient n'y pas croire, aussi Languet se hâta-t-il de publier contre lui trois mandements dans lesquels on retrouve toutes les pauvretés qui ont été rajeunies de nos jours par les admirateurs exclusifs de la liturgie romaine. Seulement on n'y rencontre pas les principes du nouveau droit liturgique qui est de leur invention. Bossuet répondit à tous les reproches de Languet par trois mandements fort solides, et lui

1 Parmi ces évêques, M. Gousset, archevêque de Reims, M. Parisis, évêque d'Arras, et M. Pallu-Duparc, évêque de Blois, se sont fait particulièrement remarquer.

2 V. les mandements de Languet, archevêque de Sens, et de J.-B. Bossuet, évêque de Troyes.

3 Languet publia une vie de Marie Alacoque, qui contenait des choses tellement ridicules, que, sur les observations de plusieurs évêques, il fut obligé de la modifier. Ce fut à l'aide cette vie que l'on répandit l'opinion que la fête du Sacré-Cœur de Jésus avait été établie par suite d'une inspiration divine. Les récits absurdes de Languet rendirent ridicule cette fête aux yeux d'un grand nombre de Catholiques. Si l'on s'était contenté de présenter cette fête comme un hommage rendu à l'amour de Jésus-Christ pour les hommes, aucun Catholique n'eût réclamé; mais les gens sensés ne pouvaient que s'indigner de tout ce que l'on avait imaginé sur les communications de Marie Alacoque avec Dieu. On ne peut évidemment être obligé de croire à l'inspiration de cette religieuse.

fit comprendre qu'il avait, dans son diocèse, le droit de disposer les offices et de régler les cérémonies et les fêtes. Languet fut obligé de lui reconnaître ce droit ; seulement il prétendit que l'évêque de Troyes en abusait; ce qui n'était pas aussi clair qu'il le prétendait. Comme l'archevêque de Sens avait insinué que l'unité liturgique était dans l'intention de l'Église, Bossuet n'eut qu'à le renvoyer à l'histoire de toutes les Églises chrétiennes de l'Orient et de l'Occident, qui eurent, dans tous les temps, des liturgies différentes, pour le convaincre que son opinion était nouvelle et erronée. Il en est en effet de la liturgie comme de tout ce qui tient à la discipline ecclésiastique; les principes fondamentaux doivent en être partout les mêmes; mais elle doit se diversifier dans les accessoires et dans l'application selon la diversité des mœurs, des usages, des habitudes des populations. L'Écriture Sainte et surtout les psaumes, les ouvrages des Pères de l'Église, les histoires véritables des saints, forment la base de chaque liturgie; l'arrangement des lectures et le choix des vies des saints furent abandonnés aux évêques, qui doivent savoir mieux que tous autres ce qui convient au troupeau qui leur est confié : on ne peut, sans blesser la vérité, faire consister l'unité de la prière dans l'uniformité d'arrangement des liturgies; encore moins doit-on faire consister dans cette uniformité l'unité de l'Église, et faire autant d'hérésies des modifications apportées par des évêques à certaines formules liturgiques.

Bossuet, pénétré de ces vérités, battit en brèche les petites chicanes de Languet, ou plutôt des Jésuites. Il le confondit surtout par des arguments ad hominem, car Languet approuvait lui-même le changement de liturgie qui avait eu lieu à Sens comme dans les autres Eglises. C'était en effet plutôt à Bossuet, qualifié de Janséniste, que l'archevêque de Sens voulait s'attaquer, qu'à l'évêque de Troyes publiant un missel pour son Eglise. Bossuet se défendit parfaitement sous l'un et l'autre rapport. Seulement, par amour pour la paix, il consentit à revenir sur quelques-unes des rubriques qu'il avait publiées et auxquelles on donnait un mauvais sens.

On sera moins étonné de la guerre que les Jésuites firent à Bossuet, par l'organe de Languet, quand on saura que, quelques années auparavant, l'évêque de Troyes les avait obligés à reconnaître publiquement qu'ils l'avaient calomnié. Voici à quelle occasion :

Bossuet, ayant entrepris de publier les œuvres posthumes de son oncle, le grand évêque de Meaux, avait commencé par les Élévations

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