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aprés nouvel examen, concluent à la licéité, à l'utilité et à l'expérimentation de cette pratique. La Condamine, converti à l'inoculation par lady Montagu, s'en fit l'apôtre en France. On s'étonnera peut-être de voir un astronome s'occuper de médecine et on sourira à la pensée d'un géomètre discutant d'une matière aussi étrangère à ses études ordinaires. On en conclura à son ignorance et à sa fatuité. On aurait tort. La Condamine n'a point la prétention de s'ériger en docteur de la Faculté. Il n'est et ne veut être qu'un simple vulgarisateur de cette pratique. Ses mémoires sur ce point sont empreints du plus grand bon sens, remplis d'idées extrêmement justes. Il n'a garde de vouloir parler de cette méthode en docteur éclairé. Ce n'est pas aux savants qu'il s'adresse particulièrement mais au public. « Ou les savants n'ont point de préjugés, écrit-il (1), alors ils doivent être partisans de cette pratique, ou bien s'ils en sont remplis, alors rien ne peut les détruire. » Aussi écartet-il le côté technique, théorique de la question pour en faire valoir les conséquences utiles à l'humanité : car, pour lui, l'inoculation est, par dessus tout, une pratique humanitaire. Le bien des hommes est le seul mobile qui l'excite à parler, à écrire en faveur de cette méthode. « C'est pour les gens du monde, a dit Condorcet (2), pour les mères tendres et dont le courage avait besoin d'un appui, qu'il écrivit ses mémoires. Il les écrivit avec assez d'agrément pour qu'ils fussent lus et il y mit moins de raisonnement que d'expérience. Il cherchait à rassembler des faits avec une activité infatigable. »>

(1) Premier mémoire, 1754.

(2) Éloge.

Sa conviction s'était faite et affermie dans son voyage en Amérique. Il y avait été témoin des succès de l'inoculation, alors qu'il traversait un pays à moitié sauvage. Un missionnaire, qui la connaissait, l'avait employée dans une épidémie : il avait sauvé la peuplade qu'il évangélisait d'une destruction totale. Ce succès, raconté à La Condamine par le missionnaire lui-même, avait convaincu notre voyageur de l'utilité de cette précieuse méthode et formé en lui la résolution de la répandre dans son propre pays.

Son premier mémoire est de l'année 1754. Il nous y dévoile le mobile qui l'a tracé le bien de l'humanité. « Une maladie aflreuse et cruelle, dit-il, dont nous portons le germe (les médecins sont partagés sur la réalité de ce germe. Je n'entends, comme plusieurs d'entr'eux, par ce mot, qu'une disposition qui rend la plupart des hommes susceptibles de la petite vérole) dans notre sang, détruit, mutile ou défigure un quart du genre humain... L'inoculation, préservatif sûr, avoué par la raison, confirmé par l'expérience, permis, autorisé même par la Religion, s'offre à nous pour arrêter le cours de tant de maux. »

Ce mémoire est divisé en trois parties dont la première contient l'historique de la méthode, la seconde les objections et la troisième ses conséquences et ses avantages.

La Condamine savait qu'il allait rallumer les anciennes querelles soulevées autrefois à propos de cette pratique mais il savait aussi que le remède proposé était sérieux et son action réelle. Il veut forcer les savants français à s'en occuper de nouveau. Il en appelle même à l'Europe entière dans des mé

moires, lus aux assemblées solennelles de l'Académie des Sciences; dans des lettres publiques adressées à des amis influents comme les Bernouilli; à des Académies étrangères comme celles de Berlin et de Londres mémoires et lettres très documentés, fort bien écrits, restant toujours dans les limites imposées par la politesse et la réserve scientifique. On y voit éclater, malgré les attaques et les railleries mordantes d'adversaires sans conscience, la bonté naturelle, le calme et la sérén té d'âme de La Condamine.

Son premier mémoire, « curieux et agréablement écrit, a été fort applaudi», nous dit Grimm (1). et plus loin: «Voltaire avait parlé de l'inoculation dans ses Lettres anglaises 2) sans faire la moindre impression sur l'esprit public; le mémoire de La Condamine fut reçu avec beaucoup d'applaudissements (3). » Il fut plus qu'applaudi: il fut mis en pratique. Il avait été lu le 24 avril 1754 et quelques mois après, au commencement de 1755. Tenon (4), de l'Académie des Sciences, avait le courage de faire, en France, les premières inoculations publiques. Il fallait du courage, en effet, pour les tenter et s'y soumettre. Il fallait surtout, comme l'a dit Condorcet, « de ce courage d'esprit qui brave les erreurs de la multitude, qui fait que l'on règle sa conduite sur sa propre raison et non sur l'opinion que les autres hommes formeront d'après l'événement (5) ».

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(4) Jacques-René, célèbre chirurgien, né à Sépeaux (Yonne), en 1724, mort à Paris en 1816.

(5) Eloge.

C'était surtout le recommencement d'une lutte sourde et tenace, implacable et hypocrite. On reprit les anciennes objections du docteur Hecquet contre l'inoculation. « Son antiquité est mal établie, disaiton. » Et voilà La Condamine rapportant de ses voyages en Angleterre, au pays de Galles, en Turquie à Constantinople, en Amérique, en Grèce et en Afrique, des faits tout contraires. « La communication artificielle de la petite vérole, rép'ique-t-il, s'est pratiquée de temps immémorial en Circassie, en Géorgie. Connue autrefois et depuis négligée en Grèce et en Turquie, elle fut rapportée à Constantinople, au siècle dernier, par une femme de Thessalie qui la pratiquait avec un grand succès, mais seulement parmi le peuple. Dès le commencement du sixième siècle, en Chine, on communiquait la petite vérole sans incision et par le nez, en faisant respirer la matière des boutons desséchée et réduite en poudre (1). » Puis il cite les noms de médecins célèbres qui pratiquèrent l'inoculation: Emmanuele Timone, médecin grec qui en donna la description au docteur Weedward en 1713; Jacques Pilarini, qui en publia la défense à Venise en 1715, avec l'approbation de l'Inquisiteur. Il cite encore la fameuse lady Wostley Montagu, rencontrée par lui à Constantinople et inoculée en 1717. Tronchin (2) n'inoculait-il pas en Hollande et à Genève? Avait-il hésité à inoculer son fils en 1748? « Du reste, ajoutait La Condamine, je ne m'étonne pas de ces attaques de toutes sortes, c'est le sort de toute nouveauté. L'émétique et le quinquina

(1) Ier Mémoire.

(2) Théodore, né à Genève en 1709, mort à Paris en 1781,

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n'ont-ils pas éprouvé les mêmes vicissitudes (1)? » Mais, objectait-on encore, est-ce bien la petite vérole que l'on communique par inoculation et la maladie communiquée n'est-elle pas plus dangereuse que celle que l'on veut prévenir ?

Non, répliquait La Condamine compliquer le mal ne pourrait être dents indépendants de la chose.

ce qui pourrait le fait que d'acci

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Mais alors, disait-on en insistant, la petite vérole inoculée met à l'abri de la petite vérole naturelle. Assurément, répondait La Condamine. Les faits que je vous cite le prouvent surabondamment.

Les docteurs adverses reprenaient la petite parcelle de venin transmise dans le sang par la voie de l'inoculation ne peut-elle pas être l'enveloppe ou la semence d'autres maux, communiqués par la même voie, tels que le scorbut. les écrouelles, etc. .?

Ce danger, leur répondait La Condamine, est chimérique, et il le leur prouvait. On nous a assuré, disaient les adversaires, que l'inoculation laisse de fâcheux restes comme des plaies, des humeurs, etc. Les faits que je vous cite, répondait inlassablement La Condamine, prouvent qu'il n'en est rien.

Toutes ces objections physiques avaient été soulevées par le docteur Hecquet (2). Celui-ci avait soutenu que cette opération était fausse dans les faits, injuste, sans art, sans lois, et n'évacuait pas la matière de la petite vérole,.. puis il ajoutait ces paroles tout à fait de parti pris: elle a un double caractère de réprobation: elle est contraire aux vues du Créateur;

(1) Ier Mémoire,

(2) Dans son Traité de la Peste, in-12, Paris.

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