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VIE

DU DAUPHIN,

PÈRE DE LOUIS XV.

Je ne sais si, depuis l'établissement de la monarchie française, aucun prince du sang de nos rois fut plus généralement estimé pendant sa vie, et plus sincèrement regretté après sa mort, que le Dauphin, père de Louis XV. La bonté de son cœur, la supériorité de son génie, une application infatigable à tous les devoirs de son rang lui avoient mérité l'affection du Français, l'estime de l'étranger, et toute la confiance de Louis XIV.

Avant l'âge de trente ans, ce prince étoit consommé dans l'art difficile du gouvernement. Fénélon lui en avoit appris la théorie, et Louis-leGrand la pratique. Le petit-fils mourut avant l'aïeul. Aussitôt après sa mort on publia un recueil abrégé de ses vertus, et cet ouvrage, fruit de quelques jours d'un travail précipité, eut, en moins de deux ans, quatre éditions, et fut traduit en plusieurs

langues. On ne cessa, depuis ce temps-là, de demander l'histoire complète de ce grand prince, et il y a trente ans que M. de Voltaire se plaignoit sur le ton de l'indignation qu'elle n'eût pas encore paru. «Nous avons, dit-il, à la honte de l'esprit » humain, cent volumes contre Louis XIV...... et » pas un seul qui fasse connoître les vertus du duc » de Bourgogne, qui auroit mérité d'être célébré >>s'il n'eût été que particulier. »

Qui ne croiroit, à entendre parler ainsi l'écrivain le plus fécond de son siècle, qu'il va consacrer les premiers instans de son loisir à réparer l'injustice de ses contemporains? Cependant M. de Voltaire, depuis ce temps-là, composa trente volumes, et l'on sait quels volumes! Et cet ouvrage, qu'il étoit honteux pour l'esprit humain de n'avoir pas encore produit, la France l'attendoit toujours. Je me félicite de me trouver, par les circonstances, à portée de remplir enfin aujourd'hui des vœux formés depuis si long-temps par la nation; et j'ose espérer (si je sais bien juger de l'importance du sujet que j'ai traité) que le public recevra la Vie du Dauphin, père de Louis XV, avec autant d'empressement qu'il a reçu celle du Dauphin, père du roi.

C'est M. l'abbé Soldini, confesseur de Louis XVI, qui m'a communiqué les écrits les plus précieux qui se trouveront dans le corps de cet ouvrage, et c'est de feu madame la Dauphine, mère du roi, qu'il les tenoit. « Je suis charmé, monsieur, me

»mandoit ce respectable ecclésiastique, dans une »lettre écrite de Versailles, en date du 19 juillet » 1774, je suis charmé que M. l'archevêque vous ait » adressé à moi, parce que personne n'est plus en »état de vous satisfaire et ne s'y portera avec plus » de zèle. J'ai rassemblé, sous les yeux et par les » ordres de feu madame la Dauphine, tout ce qu'elle » avoit concernant la vie et la mort de monseigneur »le Dauphin... J'oubliois de vous dire que parmi >> les mémoires relatifs à monseigneur le Dauphin, wil y en a de fort détaillés par le feu duc de la »Vauguion; et que j'ai encore quelques autres »écrits que madame la Dauphine m'avoit remis, »les croyant de monseigneur le Dauphin, parce » qu'ils sont écrits de sa main et qu'ils se trouvoient » parmi ses papiers les plus secrets; mais ils sont » d'un autre Dauphin, de ce fameux élève de Féné»lon, père du feu roi. On ne peut rien imaginer » de plus intéressant; et je pense qu'ils ne pourroient que faire un très-bon effet à la suite de >> votre ouvrage. C'est de quoi nous causerons à »notre aise, lorsque vous viendrez à Versailles. Je » serai à vous tous les jours de la semaine, excepté » le samedi... »

J'ai aussi fait usage d'un manuscrit de la bibliothèque de M. l'abbé du Terney, confesseur de madame Louise; de quelques écrits particuliers, tant de madame de Maintenon et de M. de Fénélon, que des abbés de Choisy et Fleury; du recueil des

vertus du prince par son confesseur; et enfin, pour la partie militaire, j'ai consulté les historiens contemporains français et étrangers, en m'attachant particulièrement aux Mémoires du marquis de Quinci, et à ceux du maréchal de Berwick.

Je divise l'ouvrage en cinq livres, qui offriront successivement dans le Dauphin les dispositions d'un digne élève de Fénélon, les talens d'un habile général, les vues et les travaux d'un grand prince, les vertus de l'homme, et la perfection du chrétien.

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LIVRE PREMIER.

Louis XIV, après le traité de Nimègue, qui rendit la paix à l'Europe, donna pour épouse au Dauphin, son fils unique, Marie-Anne-Christine-Victoire de Bavière, princesse qui joignoit à une rare piété le goût des belles-lettres et un attrait particulier pour la retraite. Le premier fruit de ce mariage fut le prince dont j'écris la vie. Il naquit à Versailles, le 6 août 1682.

Cet heureux événement, à la suite des plus glorieux succès, parut mettre le comble aux prospérités de Louis-le-Grand. La joie qu'en ressentit le monarque se communiqua à toute la nation, qui la fit éclater par des transports dont l'histoire nous fournit peu d'exemples. «Le roi, dit un témoin »oculaire*, sortit le premier dans l'antichambre, » et nous dit : Madame la Dauphine est accouchée >> d'un prince. J'étois présent à la naissance de Mon» seigneur ** et à celle de M. le duc de Bourgogne : >> je remarquai une différence notable entre joie et

* L'abbé de Choisy.

** C'est le nom que l'on donnoit, et que nous donnerons dans la suite au Dauphin, fils de Louis XIV.

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