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du mineur ne le doit-elle pas suivre partout? Le législateur protégerait un incapable pour les biens qu'il a en France, et il ne le protégerait pas pour les biens qu'il a en Angleterre! Que si la loi étrangère permettait au mineur de disposer au profit de son tuteur, pourquoi la loi française le lui défendrait-elle? A l'appui de cette opinion, on peut encore invoquer le texte même du code Napoléon. Le chapitre II est intitulé: De la capacité de disposer ou de recevoir. C'est donc une condition de capacité qui est établie par l'article 907; dès lors le statut est personnel.

111. Aux termes de l'article 908, l'enfant naturel ne peut rien recevoir, par donation entre vifs ou par testament, au delà de ce qui lui est accordé au titre des Successions. Voilà encore un statut réel, d'après la plupart des auteurs. Il ne frappe pas l'enfant naturel d'une véritable incapacité, dit-on. En effet, dès qu'il n'est plus en concours avec des parents légitimes, son père peut lui donner tous ses biens. Quel est donc le but du législateur? C'est de confirmer la loi sur les successions: il craint que le père ne soit trop porté à dépouiller ses parents légitimes au profit de ses enfants naturels : donc il veut conserver les biens dans la famille légitime. Cette question est douteuse, même au point de vue des principes traditionnels sur les statuts. On peut dire : Non, le but de la loi n'est pas de conserver les biens aux parents litimes, car dès que ceux-ci ne sont pas réservataires, le défunt peut tout donner, sauf à l'enfant naturel; il y a donc ici une véritable incapacité, partant un statut personnel (1). Si l'on scrute les motifs de la loi, la chose, nous semble-t-il, sera évidente. L'enfant naturel est en concours avec des parents légitimes, pourquoi la loi limite-t-elle la portion de biens qu'il peut recueillir? Pour honorer la parenté légitime, et par suite le mariage; pour réprouver le concubinage et écarter les enfants auxquels il donne le jour. C'est donc bien un motif d'état qui a déterminé le législateur. Voilà pourquoi, quand il n'y a point de parents légitimes, l'enfant

(1) Marcadé expose très-bien les motifs pour et contre la réalité du statut (Cours élémentaire de droit civil, t. Ier, p. 52).

naturel peut tout recevoir; c'est qu'alors l'intérêt du mariage est hors de cause; il n'y a plus le scandale qu'il y aurait si des parents naturels étaient préférés à des parents légitimes. Ainsi, que la loi déclare l'enfant naturel capable de recevoir ou incapable, c'est toujours l'honneur dû au mariage qui dicte ses dispositions. Et l'on veut que cette loi soit réelle, qu'elle n'ait en vue que les biens!

112. Il y a des lois et des coutumes qui défendent à la femme de s'obliger pour son mari. La cour de cassation a vu dans cette prohibition un statut réel : et elle a raison en ce sens que la loi veut empêcher que la femme ne se dépouille elle et ses enfants dans l'intérêt de son mari; elle a donc pour but la conservation de ses biens. Mais l'arrêt même qui le décide ainsi nous donne un motif de douter, au point de vue des vrais principes. Il ajoute que ce statut a le caractère d'une convention tacite, sous la foi de laquelle le mariage a été contracté (1). Si c'est une convention, ne faut-il pas, avant tout, consulter l'intention des parties contractantes? Et cette intention peut-elle dépendre de la situation des biens? Les époux ont-ils une autre intention pour les biens situés en France que pour les biens situés en Angleterre ? Si c'est une convention, les effets qu'elle doit produire se règlent non d'après la loi du lieu où les biens sont situés, mais d'après le statut personnel, ou d'après le statut du domicile, si le domicile diffère de la nationalité. La personnalité du statut est certaine, si l'on considère les motifs qui ont fait établir la prohibition. Sans doute, la loi veut empêcher que la femme ne se dépouille elle et ses enfants : est-ce à dire qu'elle ait principalement en vue les biens de la femme? Si tel avait été le but du législateur, il aurait dû la déclarer absolument incapable, mais alors aussi la personnalité du statut eût été incontestable. Si la loi défend à la femme de s'obliger pour son mari, tout en lui permettant de s'obliger pour des tiers, c'est qu'elle suppose que la femme n'est pas libre, quand il s'agit de son mari, de refuser son consentement. C'est donc un élément essentiel de la capacité, le

(1) Arrêt du 25 mars 1840 (Dalloz, au mot Lois, no 411).

consentement qui manque ou qui est altéré n'est-ce pas là un statut essentiellement personnel?

113. La prohibition faite aux époux de s'avantager mutuellement, en certains cas, est un statut réel. En effet, elle a principalement pour but d'empêcher les époux de se dépouiller l'un l'autre, et par suite elle tend à conserver les biens de chacun d'eux à leurs héritiers. Les anciens parlements l'ont décidé ainsi, et l'on peut voir dans Boullenois les témoignages de nos plus grands jurisconsultes qui partagent cette opinion: Dumoulin et d'Argentré, en désaccord sur tout, sont ici du même avis (1). Au point de vue de la doctrine traditionnelle, la question n'en est donc pas une (2). Mais si on laisse là la tradition pour consulter la raison, des doutes sérieux s'élèvent contre la réalité de ce statut. La loi a pour but, dit-on, de conserver les biens aux époux; et cependant elle leur permet de les donner à qui ils veulent! Il y a donc là une prohibition qui ressemble singulièrement à une incapacité. N'est-elle pas fondée sur des considérations tirées du mariage? Le législateur n'a-t-il pas craint l'influence excessive d'un conjoint sur l'autre? N'en résulte-t-il pas une violence morale, une espèce de vice du consentement? Et tout ce qui tient au consentement n'est-il pas personnel par essence?

Merlin avoue que les motifs de la loi sont personnels : elle veut assurer, dit-il, entre les époux l'union et la concorde. N'est-ce pas une raison pour déclarer le statut personnel? Non, répond-il; pour discerner si un statut est réel ou personnel, il ne faut pas s'arrêter aux motifs qui ont pu arrêter le législateur, il ne faut considérer que l'objet sur lequel porte la loi. Or, quel est l'objet d'une loi qui défend les avantages entre époux? Les jurisconsultes romains nous le disent, c'est d'empêcher les époux de sc

(1) Boullenois, Traité de la personnalité et de la réalité des statuts, t. II, p. 100 et suiv.

(2) Ainsi jugé par arrêt de la cour de cassation du 4 mars 1857 (Dalloz, Recueil périodique, 1857, 1, 102). Le même arrêt décide que la loi sarde qui défend aux époux de stipuler une autre communauté que celle d'acquêts, est un statut réel. Au point de vue de la doctrine traditionnelle, la décision est irréprochable. Mais d'après l'intention des parties? d'après la raison ?

dépouiller mutuellement de feurs biens: c'est donc sur les biens que porte le statut, partant il est réel (1). Merlin raisonne logiquement: mais la logique ne témoigne-t-elle pas ici contre la doctrine? Quoi! il faut faire abstraction des motifs pour lesquels le législateur a établi la prohibition! N'est-ce pas là une façon mécanique d'interpréter les lois? Les motifs, c'est l'esprit de la loi, c'est son âme; il faut donc laisser l'âme de côté et s'en tenir au corps! Le législateur craint que le consentement des époux ne soit altéré par l'influence abusive que l'un exerce sur l'autre mais il borne sa crainte et sa sollicitude aux immeubles situés en France; si les époux disposent de biens situés dans un pays où la loi leur permet de se dépouiller l'un l'autre, la loi française approuve : le consentement est vicié en France, il est libre en Angleterre! Il nous paraît impossible de scinder ainsi et de déchirer la volonté de l'homme.

114. La cour de Liége a jugé que le statut qui défend au mari d'aliéner les immeubles de la femme sans son consentement est réel (2). C'est toujours la même raison; la loi a pour objet principal de conserver les immeubles de la femme. Sans doute; mais quel est le principe de la prohibition? N'est-ce pas la volonté même des parties contractantes? Il est certain que les droits du mari sur les biens de la femme dépendent des conventions matrimoniales des époux, expresses quand ils règlent eux-mêmes leurs intérêts, tacites quand ils s'en rapportent à la loi qui forme le droit commun. Or, les conventions ne résultent-elles pas de la volonté des parties? et qu'est-ce qu'il y a de plus personnel que la volonté? Les époux ne veulent pas que le mari aliène les immeubles de la femme situés en France; mais si les immeubles sont situés en Allemagne, leur volonté est autre ! La volonté se divise-t-elle; changet-elle d'après la situation des biens? Le droit français dit que les conventions matrimoniales sont irrévocables : n'est-ce pas dire que la volonté des époux est fixée telle

(1) Merlin, Questions de droit, au mot Avantages entre époux, § 2. (2) Arrêt du 31 juillet 1811 (Dalloz, au mot Lois, no 413)

qu'elle est exprimée lors du contrat? Et l'on veut cependant qu elle change d'un pays à l'autre, et qu'elle change sans qu'ils en aient conscience! car ils ne connaissent pas même ces législations locales selon lesquelles on leur fait vouloir le contraire de ce qu'ils ont réellement voulu!

115. Quelle loi règle l'aliénabilité ou l'inaliénabilité de la dot? Presque tous les auteurs se prononcent pour la réalité du statut; et cette opinion a été consacrée par de nombreux arrêts de la cour de cassation. Il a été jugé que le statut qui a pour objet la conservation d'une certaine espèce de biens dans les familles est essentiellement réel. D'où suit qu'une femme étrangère, mariée sous le régime dotal, ne peut aliéner ses immeubles dotaux situés en France que dans les cas où la loi française le permet par exception (1). Cette opinion est fondée sur la doctrine traditionnelle des statuts. Pour qu'un statut soit personnel, dit la cour de Lyon, il faut qu'il règle directement, et abstraction faite des biens, la capacité ou l'incapacité générale et absolue des personnes de contracter: quand une loi reconnaît la personne capable d'aliéner ses biens et lui défend seulement d'aliéner certains biens, ce dernier statut est réel, car il n'a que ces biens pour objet. Tello est la loi qui déclare les biens dotaux inaliénables: la femme mariée sous le régime dotal n'est pas frappée d'une incapacité générale et absolue, elle reste au contraire capable d'aliéner ses biens paraphernaux : il n'y a que certains biens qu'il lui est défendu d'aliéner, les immeubles dotaux; la loi qui établit l'inaliénabilité du fonds dotal est donc réelle. Il y a une autre raison pour le décider ainsi; les lois romaines nous la disent: il importe à la société que les femmes conservent leur dot, car la société est intéressée à ce que, veuves, elles puissent se remarier (2).

Nous n'entendons pas critiquer une opinion qui a pour elle la doctrine des auteurs et la jurisprudence des arrêts.

(1) Voyez les auteurs et les arrêts cités dans Dailoz, au mot Lois, nos 412 et 413; Merlin, Questions de droit, au mot Régime dotal, § ler, no 2.

(2) Arrêt de la cour de Lyon du 25 janvier 1823, confirmé par la cour de cassation (Dalloz, au mot Lois, no 388).

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