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aimer Dieu parfaitement & de tout notre cœur en cette vie, ce coeur étant partagé e par tant d'objets differens, qui font comme une glu qui l'attache à la terre & l'empêche de s'élever vers cette unité adorable dans laquelle il doit être confommé. C'eft par nos fens que notre ame s'ouvre & s'attache à cette multiplicité d'objets qui ne font point fon Dieu, & qui ne peuvent par conféquent la rendre heureufe. On a beau lui crier en cette vie : O mon ame ne te laisse pas aller au vain amour des créatures. Jufques à quand te laifferas-tu appefantir & entraîner vers la terre pour aimer la vanité & chercher le menfonge? Pourquoite répans-tu dans des ouvrages du Créateur, au lieu de t'attacher au Créateur même uniquement? Pourquoi fuis-tu les fens de ta chair qui ne cherchent qu'à te corrompre par l'amour des beautez périffables; au lieu de les obliger à te fuivre vers cette beauté fouveraine qui est, seule ton veritable bien ?

Quelques efforts qu'elle faffe pour fe détacher des créatures fenfibles & corporelles, elle tient toujours à quelqu'une pendant qu'elle eft unie à celle qui est sa prifon & qui fait sa servitude, fa tenta

tion, & fon inquiétude ici-bas. Venez donc la délivrer, ô beauté feule aimable. Dieu tout-puiffant, changez ma demeure, montrez-moi votre vifage, & je ferai fauvé. Mettez mon ame en état de ne dépendre plus de ces fens, & de n'en être plus captive. Puifqu'elle cherche fon repos dans ce qu'elle aime, féparez-la des chofes qui paffent, & attirez-la à vous qui êtes éternel & immuable; afin qu'elle n'aime que vous & ne fe repofe qu'en vous. Car de quelque côté qu'elle se tourne ici-bas, toutes les chofes qu'elle cherche hors d'elle-même & hors de vous, ne peuvent faire fon repos; & elle n'en aura point jufqu'à ce qu'elle ne foit plus occupée que de vous, qu'elle n'aime plus que vous, qu'elle ne fe repofe plus qu'en vous.

III.

La troifiéme neceffité, eft celle de por ter pendant toute la vie une volonté contraire à celle de Dieu; de fentir en nousmêmes un fond d'oppofition à cette charité infinie, qui eft Dieu même; & de vivre avec fon ennemi capital, non dans une même maifon, mais dans un même corps. Car les plus faints tant qu'ils font ici-bas, éprouvent ces combats de la chair

chair contre l'efprit, &.de la volonté corrompue contre la volonté regenerée. Ils fentent fouvent ces vaines joyes qui meritent d'être pleurées, combattre en eux-mêmes avec les heureufes trifteffes dont ils devroient fe réjouir, & ils ne fçavent de quel côté tourner la victoire.

Seigneur, ayez pitié de moi, vous qui êtes mon médecin & mon liberateur. Je

fçai que votre grace me peut faire vaincre tout ce qui vous eft oppofé en moi, mais c'eft encore une plus grande grace de n'avoir plus à combattre aucune inclination qui vous foit contraire, & d'être par une fainte mort en état de vous être attaché par toute ma volonté, & de vous être foûmis fans combat, fans péril, fans aucune réfistance de cette partie de moimême, qui eft ma honte & ma confufion.

Soupirons donc après le moment qui doit tirer notre cœur de cette fervitude. Crions fans ceffe vers Dieu avec David: Délivrez-moi, Seigneur, de mes neceffitez, & de tout ce qui empêche mon coeur de s'aller perdre dans le fein de la charité même. Puifqu'il n'aimera Dieu autant qu'il le doit aimer, c'eft-à-dire de tout lui-même, que quand fa volonté fera. parfaitement affujettie à la fienne, que le

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vrai Chrétien dife à tout moment avec une fainte ardeur Notre Pere qui êtes dans le ciel, & qui n'êtes parfaitement connu, aimé & obéi que dans le ciel. Que votre volonté foit faite en la terre comme au ciel. Tirez-moi à vous dans ce féjour aimable de la vraie charité. Faites-moi accomplir tous vos deffeins & toutes vos volontez fur la terre; & afin que je les accompliffe encore plus parfaitement par un amour confommé, ouvrez-moi votre fein, & attirez-moi à vous: Fiat voluntas tua ficut in cælo & in terra. POUR LE MATIN.

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LA CHARITE.

'Ecriture, dit faint Auguftin, ne défend rien que la cupidité, & nerecommande autre chofe que la charité. En effet fans la charite, la Religion eft un corps fans ame, la foi eft inutile, l'efperance eft vaine, la pieté n'eft qu'hypocrifie, les vertus font fauffes, & le martyre même ne fert de rien. Et au contraire tout eft bon, tout eft utile & avantageux par la charité. C'eft pourquoi toute l'application du Chrétien doit tendre à for

eft

mer cette vertu dans fon coeur. C'est la robe nuptiale fans laquelle fe préfenter au banquet celefte & aux noces de l'Agneau, c'eft en vouloir être exclus honteufement. Il faut donc bien méditer cè double précepte de l'amour de Dieu & du prochain que Jefus Chrift nous a donné de nouveau, & dont l'efprit & la grace proprement ce qui l'a fait defcendre du ciel pour s'incarner, & pour nous la mériter par le facrifice de fon fang & de fa mort fur la croix. Que nous ferons heureux, fi en nous appliquant fes mérites & en exerçant fur nous fon fouverain pouvoir, il fe fait aimer de nous, & comme Dieu & comme Homme-Dieu, en nous faifant accomplir exactement & de bon cœur tout ce qu'il demande de nous. Car c'eft-là la marque veritable,& qui ne trompe point, de l'amour que nous avons pour Dieu & pour Jefus-Chrift: & c'est Jefus-Chrift même qui nous l'a donnée : Si vous m'aimez, gardez mes commandemens. Plus donc nous aurons de zele pour la loi de Dieu, & que nous aimerons à la connoître, à nous en remplir, à nous y foûmettre, plus nous aurons de quoi nous affûrer de notre amour pour Dieu.

Mais fouvenons - nous toujours que

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