Page images
PDF
EPUB

par tous les cris de la plus ardente charité. (a) C'est ce qui doit faire toute la vie d'un bon Chrétien. Tout ce que nous avons à faire ici-bas eft de defirer; puifque ce n'eft point encore le tems de voir & de poffeder la verité. Car comment les ténebres comprendroient-elles la lumiere? le tems, l'éternité, l'erreur, la verité? Les yeux de notre ame éclairez même de la foi font trop foibles pour en foûtenir l'éclat. Quand elle fe veut élever vers cette lumiere éternelle pour s'en nourrir, elle fe fent repouffée par la vivacité & la force de fes rayons, & cette voix fe fait entendre au fond de fon coeur. (b) Je fuis le pain des forts: croif-« fez, & puis vous me mangerez; non «< pour me changer en votre substance,« comme le pain de votre corps; mais «pour être changé en moi. «

I.

Confiderez, I. que tant que nous fom mes fur la terre, nous fommes enfans à l'égard de la verité éternelle, & que la foi eft comme l'enfance du Chrétien. On

(a) Quia modo videre non poteftis, officium vefmmm in defiderio fit. Tota vita Chriftiani boni fanctum defiderium eft. Aug, in Ep. Joan, (b], Aug.

que

n'en peut fortir ici-bas, on ne peut crof tre autant qu'il faut pour être nourri à découvert de la verité, qu'en ceffant de vivre dans ce corps mortel ;& ce n'eft que par une fainte mort que nous arriverons à l'état de l'homme parfait en J. C. Jufques à quand donc, enfans que nous fommes, aimerons-nous notre enfance en aimant la vie prefente? Tant nous ferons enfans, nous parleronsde la verité éternelle comme des enfans; nous en jugerons en enfans, nous en raifonnerons en enfans, & nous demeurerons incapables de cette nourituré folide mais lorfque nous ferons devenus des hommes parfaits en Jefus - Chrift, tout ce que nous tenons de l'enfance, s'évanouira. Nous ne voyons maintenant la verité éternelle que commme dans un miroir & que par des énigmes ; & nous ne la connoiffons qu'imparfaitement : mais alors nous la verrons face à face, & nous la connoîtrons comme elle nous connoît elle-même. Nous la connoîtrons non par des paroles qui raifonnent aux oreilles du corps, mais par l'éclat même & la fplendeur de fa lumiere. Non per verba fonantia, fed per lucentem veritatem. La lumiere qui nous en eft donnée mainte

nant, n'eft, felon S. Pierre (a), que comme celle d'une lampe qui luit dans un lieu obfcur. Celle de l'autre vie eft celle du Soleil de la verité qui luira dans nos cœurs & y produira la lumiere d'un plein: jour. Alors plus de lumieres empruntées, plus de Docteurs, plus de Prédicateurs, plus de S. Paul,plus d'Evangile, plus d'Ecritures. Ce font des lampes pour la nuit 3 & le grand jour sera venu. Nous verrons la lumiere dans la lumiere même, la verité dans la verité, Dieu dans Dieu; & l'œil de notre ame fera pleinement raffafié de cette nourriture de l'éternité: Satietas (b) immortalitas; cibus, veritas. Ce que nous en goûtons ici avec tant de joye, eft une goutte de rofée dont nos lévres font à peine moüillées : là nous boirons à la fource même, & notre cœur en fera enyvré. Nous ne recevons ici que de petits rayons plufieurs fois reflechis, & qui n'arrivent à nous que par des voyes obliques & indirectes; là la lumiere fe communiquera directement, immédia-tement, & tout à nud. Que les enfans de la lumiere ouvrent donc leur cœur, & le préparent à cette manifeftation & à cette infufion de la lumiere. C'est le defir qui

(a) 2. Pierre, 1. 19. (b) Aug. Tr. 35. in Joan.

fait la capacité & l'amplitude du cœurs Etendons le nôtre par les défirs. Mais nous aurons beau l'étendre, il fera toûjours trop étroit en cette vie, & il en faut fortir pour lui faire avoir toute fon étenduë.

[ocr errors]

Toute la vie prefente devroit donc se paffer à defirer d'en fortir, & d'être réüni à la verité effentielle : & notre ame devroit être continuellement dans ce tranfport de S. Auguftin: (a) O éternelle verité!

veritable charité! ô chere éternité! c'est vous qui êtes mon Dieu, & c'eft vers vous que je dois foupirer jour & nuit. Allumez en moi le defir de vous voir. Brûlez-moi de cette faim & de cette foif qui feule merite d'être raffafiée. Que ce voile de ma chair, ce nuage épais qui me dérobe la vûë de votre lumiere; ce corps de bouë qui fait un cahos infini entre vous & mon ame, & qui l'empêche de courir à vous, de fe joindre à vous, de fe perdre en vous, ô verité fouverainement aimable; que ce voile fe rompe, que ce nuage fe diffipe, que ce corps periffe bientôt par une mort chrétienne, qu'elle me tire de cette région d'obscu 42) S. Aug. Conf. liv. 7. c. 10.

&

rité

rité & de ténebres; pour me faire paffer dans cette cité fainte, qui n'eft qu'éternité, que verité, que charité, & dont la vie confifte à voir fans voile & à découvert; à aimer fans partage & fans dégoût, & à poffeder fans changement & fans fin la verité même, dans ce jour unique & immuable de l'éternité, où les forts, c'està-dire, ceux qui font délivrez des ténebres de la foi, de l'incertitude de l'efpérance, & de l'enfance de la charité, mangeront à la table de Dieu le pain qui n'eft rien moins que Dieu même ; pain inalterable, verité éternelle qui nourrit l'efprit fans fe confumer, & qui n'eft pas changée en celui qui s'en raffafie, mais qui le change en elle-même; verité qui eft le Verbe de Dieu,Dieu comme lui, & fon Fils unique: Veritas incommutabilis eft, (a) Veritas panis eft, mentes reficit, nec deficit: mutat vefcentem, non ipfa in vefcentem mutatur. III.

Soit que nous affiftions au faint Sacri→ fice de la Meffe, ou que nous y commu niïons, foit que nous recitions la priere du Seigneur, fouvenons-nous que ce pain éternel que nous offrons dans ce facrifice que nous recevons dans ce Sacrement

(a) Aug. Tr. 41. in Joan. n. 1.

N

H

« PreviousContinue »