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I.

Si nous faisons reflexion avec les plus grands Saints fur les tentations qui nous viennent par notre corps & par fes sens, helas quels périls n'y voyons-nous pas? quelle violence n'en fouffrent pas les plus gens de bien? Quels combats n'avonsnous pas à foutenir à toute heure contre nos yeux? Je ne parle pas ici de ces gens livrez aux crimes, & dont les yeux fonttoûjours pleins d'adultere & d'un peché qui ne cesse jamais, comme parle S. Pierre. Je parle de ceux-là mêmes qui, felon que ce même Apôtre le dit du jufte Loth, dé-fendent leurs yeux & leurs oreilles, autant qu'ils peuvent, de tout ce qui eft contraire à la justice, afpectu & auditu juftus erat. Quelle perfécution n'y souffrent-ils point, comme ce jufte, par les abominations dont le monde eft plein? Mais outre cela ne fommes-nous pas obligez de veiller fans ceffe fur nos yeux.com me fur des voleurs domeftiques & des traî tres qui ouvrent la porte de notre ame à fes ennemis, & qui la livrent au pillage: (a) Oculus meus depradatus eft animam meam?Ne nous faut-il pas combattre tous les jours dans nous-mêmes le plaifirnecef (a) Thren. 3's I.

C

faire & inféparable du manger & du boire, de peur qu'il ne nous emporte au-delà des bornes, & que cette neceffité ne pafle en délices volontaires ? Car la concupifcence nous dreffe continuellement des pieges dans le paffage de la faim au raffafiement; & à la faveur de l'incertitude où l'on eft fi c'est le befoin qui demande, ou fi c'eft l'enchantement du plaifir qui nous emporțe, fouvent mon ame fe trouve bleffée & vaincue par la volupté.

Je ne m'arrête point à marquer en détail toutes les manieres dont le peché entre en nous par les oreilles ; & comment toutes les paffions des autres fe gliffent par là infenfiblement dans notre cœur, & y font un ravage terrible.

Je paffe fous filence les pechez de l'odorat, dont la tentation eft peut-être la plus foible & la moins dangereuse. Mais qui eft-ce qui fe défend de celles de la langue, cette partie du corps fi petite & qui caufe de fi grands defordres que faint Jacques ne fait pas de difficulté de dire qu'elle eft comme ces étincelles de feu qui caufent l'embrafement des forêts entieres ; que c'eft un monde d'iniquitez, que c'eft un mal inquiet & intraitable; qu'elle eft pleine d'un venin mortel

qui infecte tout le corps; qu'étant enflam mée du feu de l'enfer, elle enflamme tout le cercle & tout le cours de notre vie ; & que l'homme qui eft capable de dompter les bêtes les plus farouches, ne peut dompter fa propre langue? Qui ne frémit à la vûë d'un danger fi prefent? & qui fera affez préfomptueux pour croire qu'il eft cet homme parfait, qui ne fait point de fautes en parlant?

Mais quand on pense à cette autre ef pece de tentation qui fait trembler les Apôtres mêmes, qui fait dire à S. Paul cet homme tout celefte, qu'il eft charnel & comme vendu au peché ; qu'il ne fait pas le bien qu'il veut, & qu'il fait le mal qu'il hait; qu'il n'y a rien de bon dans lui, c'eft-à-dire, dans fa chair; que le mal y réfide, que le peché y habite, qu'il y fent une loi qui combat celle de fon efprit & le rend captif fous la loi du peché. Et ce qui est bien plus terrible quand on fait reflexion fur les chûtes funeftes d'un

fi

grand nombre de perfonnes, qui paroiffant invincibles à ces fortes de tentations, n'ont pas laiffé d'y fuccomber malheureufement; comment peut-on être en repos durant cette vie, où il n'y a jamais de fûreté de ce côté-là?

C'étoir

C'étoit cet état & le fentiment de cette honteuse épreuve qui obligeoit l'Apôtre à châtier fon corps, & à le traiter comme un esclave de peur d'être réprouvé : c'est ce qui le portoit à s'écrier avec larmes : Malheureux que je fuis, qui me délivrera de ce corps de mort? La grace de Dieu par Jefus-Chrift nous délivre de fes attaques, il est vrai : mais elle ne nous délivre pas en cette vie de ce corps même de peché & de mort. C'eft la mort feule qui nous en délivrera entierement: & fi nous ne defirons pas & ne demandons pas comme l'Apôtre, d'en être délivrez ; c'est peutêtre que nous nous accoûtumons & nous familiarifons trop avec ce corps de mort, & que nous ne voyons pas affez le danger où nous fommes & où nous ferons tant que cette vie durera.

Quand viendra, ô mon Dieu, ce jour où mes yeux fe fermeront à la lumiere corporelle & tous les objets fenfibles qui répandent dans ma vie une malheureufe douceur & des attraits fi dangereux? quand n'aurai-je plus d'yeux que pour

ô lumiere veritable & éternelle, qui êtes mon unique bien ? Quand n'aurai-je plus d'oreilles que pour entendre votre voix, plus de langue que pous vous loüer

S

plus de goût que pour votre vérité éternelle? Quand ne refpirerai-je plus que vous,& ne fentirai-je plus que l'odeur incomparable de vos parfums? Quand cefferai-je de me voir déchiré par cette guerre de mes paffions qui combattent dans ma chair? Dégagez mon ame, Seigneur, des filets de la concupifcence, & finiffez cette guerre en abforbant ma mortalité dans votre immortalité; afin que mes fens tant intérieurs qu'extérieurs foient dans une pleine paix avec vous.

II.

A cette premiere efpece de tentation il s'en joint une d'une autre forte qui est en toutes manieres plus périlleufe, dit S. Auguftin (a). Car, outre certe concupifcence de la chair qui fe rencontre dans tous les plaifirs des fens, & de ces voluptez qui fe font aimer avec tant de paffion par les hommes, il y a dans l'ame une paffion volage, indifcrete & curieufe qui fe couvrant du nom de fcience & de connoiffance, la porte à fe fervir des fens, non plus pour prendre plaifir dans la chair, mais pour faire des expériences & acquerir des connoiffances par la chair. Je ne parle point ici feulement de ces Sciences noires, de ces curiofitez facri

(a) S. Ang. Conf. liv. 10. chap. 35,

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