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leges, de ces arts magiques & abominables aufquels peut-être peu de perfonnes prennent part; je ne dis rien du defir dereglé de fçavoir les fecrets de Dieu & de penetrer fes myfteres en donnant une liberté toute entiere à fon propre efprit. Mais fans cela combien y a-t'il de Chrétiens dont cette paffion de curiofité remplit toute la vie, les uns par une application continuelle aux fecrets de la nature, les autres par un vain defir de connoître la vie de leur prochain, quelquesun en fe repaiffant de nouvelles inutiles, de lectures vaines & dangereufes, de fpectacles profanes, & d'autres femblables curiofitez ? Et qui pourroit dire en combien de legeres occafions & de chofes de néant nous fommes tous les jours tentez par la curiofité, & combien fouvent nous y fuccombons: combien facilement nous nous ouvrons à des contes frivoles, & comment notre efprit fe remplit de phan tômes, en forte qu'il en eft tout diffipé & comme mis en pieces? D'où il arrive que nous paroiflons devant Dieu d'une maniere très-indigne de lui, que nos prieres en font toutes troublées & toutes traverfées d'imaginations folles & extravagantes, qui viennent se jetter comme en foule

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dans notre efprit. C'eft dequoi toute notre vie eft pleine; & s'il nous femble que ce n'eft pas fi grand'-chofe, c'est une marque que nous ne fçavons gueres ce que c'eft que de prier Dieu, ni combien fouffrent les ames faintes quand elles fe voyent fujettes à ne fe pouvoir quafi occuper de Dieu, ni lui rendre leurs devoirs fans que leur efprit & leur imagination foient auffi-tôt entraînez comme malgré eux loin de lui.

C'est l'état que nous portons & que nous porterons toujours ici-bas. Et pour aimer un tel état & ne pas defirer d'en fortir, il faut que la foi foit bien foible. Si nous defirons fatisfaire notre curiofité, portons-la vers quelque chofe qui foit digne de remplir notre ame. Afpirons à contenter non les yeux de notre chair par la vûë de la vanité, mais ceux de notre cœur par la contemplation de la vérité. L'oreille ne fe remplit point des fons agréables; ni les yeux des fpectacles charmans: mais un fpectacle nous eft réservé dans le ciel qui remplira notre ame, qui la raffafiera. Voir l'Agneau qui a vaincu par fon fang ce lion qui cherchoit à nous dévorer & qui l'a fait mourir par fa mort; voir tous les membres de cet Agneau ar

rachez par fa victoire de la gueule du lion, & enfuite ajoûtez & attachez au corps mystérieux de Jefus-Chrift; contempler ce chef & fes membres, adorer Dieu éternellement; voir Dieu même dans fa majefté & dans fa gloire : voilà les fpectacles des Chrétiens; voilà ce qui est digne de leur curiofité; voilà ce qui dost leur donner du dégoût pour la terre & pour la vie préfente, & leur faire defirer celle qui les délivrera de toute la cupidité des yeux & de l'efprit.

III.

Mais la fource de toutes les tentations, la fémence de toutes les maladies de l'homme, le venin le plus fubtil & qu'il porte durant toute fa vie dans le fond de fes entrailles, c'eft l'orgueil: Caput omnium morborum: Initium omnis peccati : Radix omnium malorum. C'eft une maladie fi enracinée dans le cœur des enfans d'Adam, & dont la cure est fi difficile ; c'eft une tentation fi violente & fimortelle, que Jefus-Chrift qui eft venu au monde pour nous guérir de cette playe, n'a laiffé tourmenter S. Paul par ces tentations honteufes & humiliantes dont il fe plaint fouvent, que pour l'empêcher de fuccomber à celle de la vanité & de

l'orgueil. Elle eft fi cachée que fouvent plus on eft malade, moins on la reconnoît, parce qu'elle couvre ordinairement le cœur de tenebres: témoin ces orgueilleux dont parle faint Paul, (a) dont le cœur infenfé a été rempli de tenebres.

S'il y a des moyens pour difcerner combien on eft fujet aux deux autres forres de corruption, ou combien on y eft moins engagé, il n'y en a prefque point pour s'examiner à l'égard de cette paffion. Elle eft la plus incurable, parce qu'elle eft la plus oppofée à Dieu & la plus indigne de fa grace. Elle eft la plus ruineufe & la plus pernicieuse, parce qu'elle ruine & rend inutiles toutes les autres vertus, toutes les bonnes œuvres, fans excepter le martyre même. Elle eft la plus fubtile & la plus trompeufe: car la naiffance des autres paffions eft ordinairement honteufe & fait peur par ellemême; au lieu que l'orgueil naît de la vertu même & de la victoire de tous les vices. Plus un homme merite de loüanges, plus il a fujet de craindre l'orgueil. Il en eft bleffé & vaincu, dès qu'il les reçoit ; & fi en les rejettant par un genereux mépris, il femble demeurer victorieux & triompher, fon triomphe, s'il

(a) Rom. 1

'y prend garde, fait revivre cet ennemi & le fait triompher à fon tour: Ecce vivo, quid triumphas?& ideo vivo quia triumphas.

O Dieu, quel état eft celui de l'homme en cette vie? Eft-ce vivre que d'être à tout moment dans un péril préfent dé perdre la vraie vie; de n'être pas en fûreté dans un cloître, dans le fond d'un défert, au milieu des plus grandes austéritez, de routes fortes de bonnes œuvres, de toutes les vertus les plus héroïques, en donnant tous fes biens aux pauvres, en livrant fon corps au martyre; puifque l'orgueil qui fe gliffe comme un ferpent & fe cache fous ces fleurs d'une fi bonne odeur & fous l'humilité même, peut de-là nous donner une piquûre mortelle & nous faire perdre avec la vie le fruit de tous nos travaux & de toutes nos vertus? Aveugle donc & infenfé celui qui a de la peine à fuivre la voix de Dieu, quand il l'appelle pour le mettre à couvert de toutes ces craintes & le dérober pour jamais à toutes les tentations de cette vie malheureuse.

Concluons que rien n'eft plus defirable que la mort à qui a de la foi, & que: c'eft quelque chofe qu'on ne peut com+ prendre que l'alliance de la connoiffance

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