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un defert où l'on ne fait qu'errer, où il faut combatre à tout moment, où il n'y a point de repos, où les ferpens nous piquent, où l'on n'a point de demeure arrêtée, où l'on n'a que des tentes pour demeure, où l'on fouffre la foif, & la foif de la patrie celefte, dans laquelle nous ne ferons pas feulement rafraîchis comme des voyageurs, de l'eau de la pierre qui nous fuit dans le desert, c'est-à-dire, des Sacremens & de la grace de Jesus-Christ, mais où nous ferons raffafiez comme des citoyens, de la fontaine de vie qui eft dans la terre des vivans. Soyons toûjours prêts à en fortir d'autant plus que ce desert eft plein d'ennemis à qui il faut faire une conLinuelle guerre. L'air en est empoisonné, & nous fommes à tout moment en danger d'en être infectez.

S. Auguftin s'étonne qu'on puiffe aimer le monde, défiguré comme il eft par les calamitez publiques, qui lui ont ôté tous fes charmes trompeurs. N'eft-il pas encore fans comparaifon plus haïffable & plus défiguré aux yeux de la foi par cette inondation de cupiditez, de crimes & de paffions qui y regnent depuis la chute d'Adam? Qu'il foit donc à notre égard comme un crucifié & un pendu dont nous X

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devons avoir horreur, comme il a horreur de nous, puifque nous fommes auffi comme un pendu & un crucifié à son égard': Mihi mundus crucifixus eft, & ego mundo. Notre Pere qui êtes dans le ciel, & qui nous en avez fait citoyens par Jefus-Christ votre Fils, qui s'eft livré lui-même pour nous retirer de ce fiecle corrompu & mechant, accompliffez vos deffeins: Libera nos à malo. Délivrez-nous de ce monde d'iniquité, de ce centre de tout mal, de ce défert où l'on ne fait que vous irriter par la revolte, le murmure & la défobéiffance, & où l'amour même de ce monde nous en rend comme idolâtres ; & faites que notre patrie, cette terre promife a vos élûs, foit notre unique defir & le but de notre course, & de ce voyage fi long & fi ennuyeux.

II.

Nous ne fommes pas feulement étrangers dans le monde, dans notre propre patrie, au milieu de nos parens & de nos amis, & dans notre maifon paternelle; nous fommes étrangers même dans notre propre corps qui n'eft point le corps d'un enfant de Dieu, ni d'un citoyen du ciel, mais le corps d'un pecheur & d'un enfant d'Adam. N'ayons point de regret de quit

ter un corps qui n'eft que pourriture,puifque nous fçavons que fi cette maifon de terre où nous habitons comme en une tente, vient à fe diffoudre, Dieu nous donnera dans le ciel une autre maison qui ne fera point faite par la main des hommes, & qui durera éternellement.

Soupirons donc par le defir & dans

l'attente de cette maison celefte. Pendant que nous fommes dans ce corps, gemiffons fous fa pefanteur, defirant d'en être dépouillez, & que tout ce qu'il a de mortel foit abforbé par la vie, puifque Dieu nous a formez pour cet état d'immortalité, qu'il nous a donné fon Efprit pour arrhes & pour gage de cette gloire; & qu'il n'y a que cette chair qui foit un obftacle à notre bonheur éternel.

C'eft trop peu de quitter fans regret ce fiecle méchant, ce corps de peché, cette vie mourante: il faut forcer Dieu par nos defirs, nos prieres, & nos gemiffemens de nous rappeller de cet exil & de nous attirer à lui. Quand fera-ce, Seigneur, que j'irai à vous, & que je paroîtrai devant votre face? Que ceux-là aiment çe fiecle malheureux,cette vie toute animale, cette muraille de terre qui nous fepare de Dieu, à qui le Dieu de notre Seigneur Jesus

Chrift, (a) le Pere de gloire, n'a point donné l'efprit de fageffe & de lumiere pour le connoître, & dont il n'a point éclairé les yeux du cœur pour leur faire fçavoir quelle eft l'efperance à laquelle il nous a appellez, quelles font les richeffes & la gloire de l'heritage qu'il deftineaux Saints. Mais pour nous à qui il a fait cette mifericorde, (b) difons avec David: Helas que mon exil eft long! Je vis ici comme un étranger parmi les tentes de Cedar: mon ame eft ennuyée de demeurer tant de temps avec les ennemis de la paix. Et levant les yeux, les mains, & le cœur vers notre Pere qui eft dans le ciel, où eft auffi par confequent notre patrie & notre héritage, crions-lui de toutes les forces de notre foi, de notre efperance & de notre charité, Notre Pere qui êtes dans les cieux, délivrez-nous du mal où nous fommes expofez fur la terre, c'est-à-dire, de ce fiecle méchant, à la vanité duquel nous fommes affujettis, & de ce corps de peché en qui la fource de tout mal & de tout peché refide; & faites-nous paffer de ce corps mortel & periffable dans ce corps admirable & celefte de Jefus-Chrift même dont nous devons être avec les Saints, comme nous l'efperons, (a) Ephef, 1. 17. (b) Pfal. 119.

la plenitude & l'avenement dans le ciel.

III.

Il y a encore une troifiéme fervitude dont nous devons demander la délivrance quand nous difons: Libera nos à malo. Le méchant par excellence, c'est le diable. (a) C'eft ainfi que S. Jean l'appelle ordinairement dans fes Epitres: Viciftis malignum; Vous avez vaincu le malin. Ör quoique celui qui eft né de Dieu, & qui fe conferve pur par cette naiffance divine en ne pechant point, ne foit pas fous la puiffance du demon: (b) Malignus non tangit eum, il eft neanmoins dans fon empire tant qu'il eft dans ce monde : car ce monde eft fous l'empire du diable: (c) Totus mundus in maligno pofitus eft. S. Paul dit qu'il eft le Dieu : (d) Deus hujus faculi excæcavit mentes infidelium. Jefus-Chrift même l'appelle le prince du monde ; parce qu'il regne dans tous ceux en qui la charité ne regne pas, les tenant captifs pour en faire ce qu'il lui plaît, comme parle faint Paul. Et à l'égard de ceux qui ont fecoué fon joug & fa tyrannie, quoiqu'il n'exerce pas fon empire fur leurs cœurs, il ne ceffe point durant cette vie de les

(a) 1. Ep. S. Joan. 2. 13. (b) Ibid. c. 5. 18. (c) Ibid. #. S. 19. (d) 2. Cor. 4. 4.

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