Page images
PDF
EPUB

LE BONHEUR

DE LA MORT
CHRETIENNE.

RETRAITE DE HUIT FOURS:

DIMANCHE I. JOURNE'E.

La mort defirable au Chrétien, comme
Créature de Dieu qui eft fa vie, fon
repos, &fon bonheur éternel.

Pater nofter qui es in Cælis,
Notre Pere qui êtes dans le Ciel.

UOIQUE Dieu foit notre Pere d'une maniere plus noble & plus fainte dans notre nouvelle création en JESUS-CHRIST, il ne laiffe pas de l'être par la premiere

A

1

naissance d'une maniere plus veritable & plus excellente que ne le font les peres qui nous donnent la vie du corps. Car il eft feul & immédiatement le pere de notre ame, par laquelle nous fommes hommes, faits à l'image de Dieu, & capables d'avoir focieté avec Dieu : & c'eft de lui que nous recevons l'être, la vie, la raifon & tout ce que nous appellons les dons de la nature.

Il ne donne pas feulement la vie à notre ame: il est lui-même la vie de notre ame. * La vie de votre chair, c'est votre ame: la vie de votre ame, c'est votre Dieu. La difference qu'il y a, c'eft que le corps reçoit tout d'un coup toute fa vie naturelle, & qu'elle ne fe perfectionne point en lui par degrez; au lieu que la vie de notre ame n'eft ici-bas que commencée ; qu'elle fe perfectionne de jour en jour; qu'elle peut recevoir de moment en moment de nouveaux accroiffemens; & qu'enfin il viendra un moment où elle recevra fa plenitude & fa derniere perfection, accompagnée d'un bonheur infini.

Mais ce n'eft pas en ce monde que cela

* Vita carnis tuæ, anima tua: Vita animæ tuæ Deus tuus. Ang. tit. 47. in Joan.

saccomplit: & fi nous pouvions concevoir quelle difference il y a entre l'état prefent de notre ame, & celui où elle fe trouvera quand elle fera détachée de ce corps qui l'appefantit, & qu'elle fera unie parfaitement à Dieu, & comme abimée en lui, toute notre vie préfente ne feroit qu'un defir continuel de la vie future, comme de celle où Dieu fera, 1. la perfection & la plenitude de la vie de notre ame, 2. fon repos éternel, 3. fa beatitude parfaite & confommée. Ce font trois confiderations qui nous doivent occuper cette premiere journée.

I.

NOTRE ame n'eft autre chofe qu'une participation de cet Etre éternel, fpirituel, & tout-puiffant qui eft Dieu; & fa vie, une participation de cette lumiere invifible & inacceffible, & comme une étincelle de ce feu qui brûle toujours & ne s'éteint jamais, & qui ne fe nourrit que de la connoiffance & de l'amour de lui-même. Notre ame eft un être spirituel capable de connoître & d'aimer l'Etre fouverainement intelligent & fouverainement aimable, qui n'eft en ce monde que pour fe fanctifier par cette connoiffance & par cet amour, & qui eft destiné

à être éternellement heureux par la per fection de cette connoiffance & la confommation de cet amour. C'est comme un grand vuide que Dieu veut remplir, & que lui feul peut remplir. C'est une capacité de Dieu; c'eft-à-dire, que comme cette vafte étenduë de l'air qui eft entre le ciel & la terre, ne nous paroît que comme une capacité propre à recevoir la lumiere & la chaleur du Soleil visible & que c'eft comme fa vie d'en être remplie, & fa mort d'en être privées ainfi eft notre ame à l'égard du Soleil invifible. Elle est vivante, quand il la remplit de lui-même comme lumiere & ardeur éternelle; & autant qu'il eft fa plenitude, autant eft-il fa vie; autant qu'elle fe remplit d'autre chofe que de fon Dieu, autant perd-elle de fa vie, autant demeuret-elle vuide. Car, comme dit fi-bien faint Bernard, ce qui eft moins que Dieu, peut amufer & occuper une ame capable de Dieu, mais il ne peut la remplir. Et c'est-là la mifere de cette vie de ce qu'au lieu que notre ame ne devroit être occupée & remplie que de fon Dieu, elle eft prefque toujours occupée de toute autre chose.

Cela n'arrive pas feulement par le défaut de fa volonté, qui eft aveugle, char

nelle & inconftante, & à qui le peché a fait perdre le goût de Dieu, mais encore par les neceffitez de la vie préfente, qui nous oblige de nous occuper de beaucoup de chofes qui font indignes de la nobleffe de notre ame, & qui la vuident de Dieu. C'eft la réfléxion que fait S. Auguftin fur ce confeil que Jetro donna à Moïfe accablé d'occupations exterieures envers le peuple d'Ifraël: Ecoutez, lui dit-il, le confeil que j'ai à vous donner, & vous aurez Dieu avec vous. Il me femble, remarque ce faint Docteur, que cela « fignifie que l'ame trop occupée des ac- «< tions humaines fe vuide en quelque fa-« çon de Dieu, & qu'elle s'en remplit a d'autant plus, que dégagée des chofes « temporelles, elle s'éleve aux biens du « ciel & de l'éternité. «

Comment donc pouvons-nous aimer la terre, & trouver de la douceur dans la vie préfente? Comment au contraire ne foûpirons-nous point fans ceffe après le détachement de notre ame, afin qu'elle soit en état d'être remplie de Dieu, in omnem plenitudinem, de toute la plenitude dont elle eft capable, & que Dieu foit fa vie dans toute la perfection qui lui eft deftinée ?

« PreviousContinue »