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vint aux catégories, M. Duvergier de Hauranne demanda la question préalable, dont l'effet était de déclarer qu'il n'y avait pas lieu à discuter et que la Chambre passait à un autre article. Après une épreuve douteuse par assis et levé, on procéda au scrutin; la question préalable fut votée par 184 voix contre 171. Les catégories étaient rejetées.

Un débat court, mais violent, s'éleva au sujet des indemnités, c'est-à-dire de la confiscation. M. de Vaublanc y mit fin en faisant entrevoir que le vœu de la Chambre pourrait être réalisé plus tard. L'article fut rejeté aussi.

La disposition relative aux « régicides » fut soutenue avec passion par M. de Béthisy, qui déclara que les royalistes devaient la voter, fallût-il s'exposer au mécontentement du roi, en criant: Vive le roi quand même ! Ce mot de la fin allait devenir la devise des ultras. Personne ne répondit au fougueux royaliste et l'article passa. Le scrutin sur l'ensemble de la loi donna 534 voix contre 32.

Le 9 janvier, le duc de Richelieu porta la loi au Luxembourg, où elle fut adoptée sans aucune discussion.

Le résultat de ces débats laissa entre le ministère et la majorité un germe de mécontentement, qui devait se développer par la suite, et aboutir à une rupture complète. Ils présentèrent aussi cette particularité curieuse, que la prérogative parlementaire y fut soutenue, et avec beaucoup d'énergie, par les royalistes à outrance, tandis que la prérogative royale était défendue, avec non moins de chaleur, par les membres de l'opinion libérale. Cette apparente contradiction, ce singulier renversement des rôles s'expliquent par cette considération, que les premiers, plus royalistes que le roi, voulaient faire servir l'autorité parlementaire à des mesures de rigueur, à des actes de vengeance que le roi repoussait, tandis que les seconds s'appuyaient sur l'autorité royale pour protéger des milliers de familles contre les fureurs de la réaction.

En présentant la loi, le duc de Richelieu avait invoqué le souvenir d'une amnistie accordée par Henri IV en 1594. M. Corbière eut le plaisir de donner une leçon d'histoire au chef du cabinet, en lui apprenant que l'amnistie de 1594 n'était venue qu'après nombre d'exécutions et d'exils. C'était vrai. Si le cœur des Bourbons a toujours été facile aux séductions féminines, il a su rarement s'ouvrir aux inspirations de la clémence; Louis XVIII ne démentait pas sa race.

Étrange amnistie, en effet, que cette loi de 1816, qui ne profitait à aucune des personnes frappées par l'ordonnance rendue six mois auparavant, et se bornait à ne pas augmenter le nombre des victimes. Encore ne fut-elle pas loyalement exécutée sur ce dernier point. Un article ordonnait la continuation des poursuites entamées avant la promulgation de la loi. Dans le court intervalle entre le vote de la Chambre et la promulgation, le duc de Feltre, ministre de la guerre, expédia, par le télégraphe, ordre aux parquets militaires de commencer des poursuites contre des personnes qu'il désignait, recommandant de faire au moins entendre un témoin.

CHAPITRE V

Monuments funéraires. - Condamnations, exils, destitutions.

latifs. Mutations ministérielles. grégation.

Débats légis

Mariage du duc de Berry.

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§ I. MONUMENTS FUNÉRAIRES. Le jour même où la Chambre des pairs livrait, sans phrases, tant de Français à la mort, à la proscription, elle adoptait une motion de M. de Sosthènes de la Rochefaucauld, érigeant le 21 janvier en un jour de deuil national et décidant qu'un monument expiatoire serait élevé à Louis XVI. M. de Chateaubriand, dans une déclamation biblique, réclama le même honneur pour Louis XVII; M. de Lally-Tollendal, pour madame Élisabeth; M. de Mortemart, pour Marie-Antoinette. Quelques jours après, à la Chambre des députés, M. Hyde de Neuville y ajouta le duc d'Enghien. Tous ces monuments furent votés.

Une ordonnance royale du 19 janvier 1816 réunit les monuments de Louis XVI, de Marie-Antoinette et de madame Élisabeth en un seul, la Chapelle expiatoire, dont la construction fut prescrite sur l'emplacement de l'ancien cimetière de la Madeleine. Cet édifice, achevé seulement en 1826, a été épargné par trois révolutions faites contre la monarchie.

Au duc d'Enghien on éleva, dans la Sainte-Chapelle du château de Vincennes, un tombeau, rélégué aujourd'hui dans une dépendance de cet édifice.

Quant à Louis XVII, on ne s'en occupa point.

§ II. CONDAMNATIONS, EXILS, DESTITUTIONS.

La loi sur la liberté

individuelle, la loi sur les actes séditieux, la loi sur les cours pré

vôtales, enfin, la loi d'amnistie, étaient autant d'armes terribles dont la réaction royaliste ne se faisait pas faute d'user et d'abuser. Une circulaire de M. Decazes, du 26 mars 1816, ayant pour objet de définir les mots ennemis de l'État, donnait des indications qui laissaient aux préfets la latitude la plus arbitraire. Aussi dans les premiers mois de 1816, les prisons de toute sorte regorgeaient de prisonniers arrêtés sous tout prétexte ou même sans nul prétexte. Conseils de guerre, cours prévôtales, cours d'assises, y faisaient des vides bientôt remplis. Pour se débarrasser du trop❜plein, les préfets, usant de leur pouvoir discrétionnaire, exilaient les détenus à de grandes distances de la ville où ils avaient leur famille et leurs intérêts, par exemple, de Rennes à Marseille, à Bayonne, à Bordeaux, etc. Ces exils à l'intérieur entraînaient des ruines nombreuses, des séparations déchirantes, qui frappaient à tous les étages de la société, aussi bien des gens opulents, des médecins, des avocats, des avoués, des industriels que d'anciens soldats et des ouvriers.

Simultanément, et sur toute l'étendue du territoire, on procédait, de la plus large façon, à cette épuration des fonctionnaires tant réclamée par les gens de cour, par les royalistes des deux Chambres et de la presse. La destitution s'attaquait à tous les échelons de la hiérarchie administrative: généraux, préfets, receveurs généraux, percepteurs, maires, conseillers municipaux, adjoints, desservants, instituteurs primaires, gardes champêtres, facteurs de la poste, tout était fauché. A Paris, le préfet de police ne dédaignait pas d'obliger une entreprise de messageries à renvoyer quatre conducteurs de diligences. Tous, selon la formule consacrée en pareil cas, étaient des ennemis de l'État et de la société.

Le 5 mars, comparaissent devant un conseil de guerre, à Paris, l'amiral Linois, gouverneur, et le colonel Boyer de Paireleau, commandant en second de la Guadeloupe, accusés de haute trahison envers le roi. Le premier avait essayé de conserver l'île aux Bourbons, le second y avait arboré le drapeau tricolore, au mois de mai 1815. Après cinq jours de débats, l'amiral fut acquitté, le colonel condamné à mort.

Le 22, ce fut le général Debelle, qui s'était opposé à la marche du duc d'Angoulême; le 24, il est condamné à mort.

Le 18 mars, le conseil de guerre de Rennes jugeait le général Travot, accusé de révolte contre l'autorité légitime. Il avait, au mois de mai 1815, été chargé de comprimer les tentatives insurrection

nelles dans l'Ouest, et l'avait fait avec autant d'énergie que de modération. Le conseil de guerre était présidé par le général Canuel, une créature du général révolutionnaire Rossignol. Ce Canuels'était signalé, en 1795, dans la guerre de Vendée, par des actes de férocité. Laissé de côté pendant tout l'Empire, il s'était donné aux Bourbons, en 1814 et, l'année suivante, s'était mêlé aux bandes vendéennes que Travot contraignit à mettre bas les armes. Il avait pris une part active au procès des frères Faucher, et était venu de Bordeaux à Rennes avec le général Vioménil, ancien émigré, qui venait d'échanger le commandement de la Gironde pour celui d'Illeet-Vilaine. Un avocat de Rennes qui, sur la prière de la famille et des amis de Travot, avait osé s'adresser à Vioménil pour avoir copie de l'écrou du prisonnier, fut, par ordre de ce général, exilé à Bordeaux. Aussitôt trois autres avocats de Rennes, MM. Courtpont, Bernard et Lesueur, rédigèrent un mémoire, que signèrent avec eux treize de leurs confrères, parmi lesquels les professeurs Toullier et Carré. Les trois défenseurs essayèrent, sans succès, de récuser le général Canuel.

Travot fut condamné à mort. L'accusation lui reprocha surtout la modération, la clémence, dont il avait fait preuve deux fois en Vendée. Le 22 mars, à la requête de Canuel, MM. Courtpont, Bernard et Lesueur furent arrêtés à cause de leur consultation, d'observations et d'un précis, publiés au sujet du nommé Travot, propres à égarer l'esprit public et injurieux à la justice. Les deux derniers furent mis en liberté; le premier, M. Courtpont, passa en jugement. à cause de huit points qui figuraient à la fin d'une phrase du précis signé de lui. Il fut acquitté; mais il était, en même temps, inspecteur d'académie : il fut destitué.

Le 6 avril, Drouot passa à Paris en conseil de guerre. Il se défendit en disant que, resté au service de Napoléon reconnu souverain de l'île d'Elbe, il avait dû obéir aux ordres de son souverain. Il fut acquitté, à la minorité de faveur de trois voix contre quatre.

Le 20 avril, Cambronne dut son acquittement à la même circonstance: deux voix contre trois.

La peine de Debelle fut commuée en 10 ans de détention; celle de Travot en 20 ans.

Le 9 mai, le général Choutran est condamné à mort par le conseil de guerre de Lille, et exécuté le 22.

Le 5 juin, le général Bonnaire et son aide de camp Mielton sont jugés, comme coupables du meurtre d'un prétendu parlementaire

envoyé pour sommer le général de rendre la place de Condé qu'il commandait. Acquitté sur le chef du meurtre, Bonnaire fut, à l'unanimité, déclaré coupable de n'avoir pas réprimé le meurtre.

Le conseil, tout en reconnaissant que le fait imputé au général n'était prévu par aucune loi pénale, civile ou militaire, le condamna à la déportation et à la dégradation de la Légion d'hon

neur.

Mielton, déclaré coupable de meurtre, fut condamné à mort et fusillé le 29. Le même jour, Bonnaire fut dégradé publiquement à la place Vendôme.

Le 15 juillet, Mouton-Duvernet est condamné à mort par le conseil de Lyon, et fusillé le 26. Le lendemain, des dames lyonnaises allèrent, en grande toilette, danser sur le lieu du supplice; des royalistes fêtèrent l'exécution par un banquet, où fut servi un foie de mouton que les convives percèrent de leurs couteaux.

Le 17 mai, à Paris, le général Gruyer avait été condamné à mort; la peine fut commuée en vingt ans de détention. Il mourut en prison.

D'autres condamnations capitales furent prononcées, mais par contumace, contre les généraux: Lefebvre-Desnouettes (11 mai); Rigaud (16 mai); Gilly (25 juin); Drouet d'Erlon (10 août); Lallemand aîné (20 août); Lallemand jeune (21 août); Clausel (11 septembre); Brayer (18 septembre); Ameilh (15 novembre).

Les vengeances royalistes n'atteignaient pas seulement les personnes, elles s'en prirent aussi aux choses. On proscrivait, on détruisait tous les insignes, emblèmes, objets quelconques pouvant rappeler la Révolution ou l'Empire. Les aigles disparaissaient du pont d'Iéna, le chiffre de Napoléon était, dans les parties du Louvre construites sous son règne, remplacé par celui de Louis XVIII; le préfet de la Côte-d'Or célébra le 21 janvier 1816, en faisant abattre, dans son département, tout ce qu'il y restait d'arbres de la liberté; à Orléans, en présence de tous les fonctionnaires, y compris les magistrats de la cour royale en robes rouges, le préfet faisait brûler, sur la place du Martroi, par la main du bourreau, le portrait en pied de Napoléon, qui était à l'hôtel de ville, des bustes, des tableaux, des gravures de l'époque impériale; et tout ce monde officiel dansait autour du bûcher en chantant: On va leur percer le flanc.

L'Institut subit une épuration. On en élimina non-seulement les

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