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Louis XVI. Moins aveugle que son frère et que la masse des émigrés rentrés avec lui, il sentait la nécessité de tenir compte des faits accomplis depuis vingt ans, des mœurs et des idées de la France nouvelle; il ne répugnait pas à introduire en France le mécanisme monarchique qu'il avait vu fonctionner avantageusement chez les Anglais, pourvu qu'il fût libre de faire cette concession gracieuse, et non tenu de la subir comme une condition.

Le Sénat lui ayant donné sur ce point toute satisfaction, il s'agissait maintenant de publier un manifeste exprimant les intentions du roi. On y travaillait depuis plusieurs jours dans l'entourage du prince, mais sans avoir réussi à rien faire qui le contentât, parce qu'on tournait toujours autour de deux points dont le roi n'acceptait ni l'un ni l'autre : assurer officiellement la position du Sénat et promettre une Constitution jurée par le roi. Cependant, il fallait se presser, car on était au 2 mai; le roi devait entrer à Paris le lendemain 3, et il fallait que le manifeste le précédât. On abandonna le soin d'en arrêter la rédaction définitive à quelques personnages secondaires, dont le principal était le baron de Vitrolles, et, le 2 mai au soir, fut portée à Paris, imprimée et affichée à vingt mille exemplaires, la pièce connue sous le nom de Déclaration de Saint-Ouen, parce qu'elle fut datée d'un château situé au village de Saint-Ouen, tout près de Paris. En voici le texte :

« Rappelé par l'amour de notre peuple au trône de France, éclairé par les malheurs de la nation que nous sommes destiné à gouverner, notre première pensée est d'invoquer cette confiance mutuelle, si nécessaire à notre repos, à son bonheur.

« Après avoir lu attentivement le plan de Constitution proposé par le Sénat, dans sa séance du 6 avril dernier, nous avons reconnu que les bases en étaient bonnes, mais qu'un grand nombre d'articles, portant l'empreinte de la précipitation avec laquelle ils ont été rédigés, ne peuvent, dans leur forme actuelle, devenir lois fondamentales de l'État; résolu d'adopter une Constitution libérale, voulant qu'elle soit sagement combinée et ne pouvant en accepter une qu'il est indispensable de rectifier, nous convoquerons le Sénat et le Corps législatif, nous engageant à mettre sous leurs yeux le travail que nous aurons fait, avec une commission choisie dans le sein de ces deux corps, et à donner pour base à cette Constitution les garanties suivantes : le gouvernement représentatif divisé en deux corps; l'impôt librement consenti; la

liberté publique et individuelle; la liberté de la presse; la liberté des cultes; les propriétés inviolables et sacrées; la vente des biens nationaux irrévocable; les ministres responsables; les juges inamovibles et le pouvoir judiciaire indépendant; la dette publique garantie; la Légion d'honneur maintenue; tout Français admissible à tous les emplois; enfin, nul individu ne pourra être inquiété pour ses opinions et ses votes. »

§ VI. LOUIS XVIII a Paris. On sortait d'un tel état de compression, d'oppression, de despotisme, que les perspectives ouvertes par la déclaration de Saint-Ouen ne pouvaient manquer de produire le meilleur effet. La nation allait délibérer sur la gestion de ses affaires, déterminer la quotité des impôts, en régler et en contrôler l'emploi ; chaque citoyen serait assuré de sa liberté personnelle, pourrait publier ses idées, pratiquer librement telle ou telle doctrine religieuse; l'inviolabilité de la propriété, l'irrévocabilité de la vente des domaines nationaux rassuraient ceux qui les avaient achetés; l'admissibilité de tous aux emplois publics consacrait le principe d'égalité posé par la Révolution, et le seul que l'Empire n'eût pas entamé; l'interdiction de toute poursuite pour les opinions et les actes du passé tranquillisait aussi bien ce qui restait des hommes de la Révolution que les serviteurs de Napoléon; enfin, le maintien de la Légion d'honneur plaisait à ceux qui avaient réellement mérité la décoration et aux vanités qui savent toujours obtenir des distinctions de ce genre sans y avoir droit.

Si les royalistes raisonnables se contentaient de voir la dynastie qui leur était chère replacée sur le trône légitime, ceux qui n'avaient rien oublié ni rien appris depuis 1789 se plaignaient que le roi n'eût pas intégralement rétabli cet ancien régime, pour la cause duquel ils avaient abandonné leur pays et avaient même combattu contre la patrie à la suite de l'étranger. Mais ces ultraroyalistes ne formaient encore qu'une minorité sans influence, et leurs récriminations se perdaient dans la manifestation générale de joie causée par le rétablissement de la paix.

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La paix! en effet, c'était, à ce moment, le grand, l'unique besoin de la France; elle en était, comme on l'a dit, affamée; sans en remercier les phalanges européennes », ainsi que l'avait fait, à Compiègne, M. Séguier, premier président de la cour d'appel de Paris, elle subissait avec résignation les douleurs de l'invasion, par confiance dans cette paix que l'on aimait à croire revenue pour longtemps,

C'était là ce qui avait valu au comte d'Artois un accueil enthousiaste. Louis XVIII fut reçu un peu plus froidement lorsque, le 3 mai, il fit son entrée dans Paris, soit que la population fût déjà un peu fatiguée de démonstrations, soit que les discours et les prétentions d'une partie des royalistes eussent fait naître quelques défiances. Toutefois, le roi put encore être flatté de l'attitude des Parisiens sur le parcours qu'il suivit pour aller entendre à NotreDame le Te Deum accoutumé. Seuls, les vieux soldats de la garde impériale, qui lui faisaient escorte, restaient silencieux. «< Jamais, dit Chateaubriand, figures humaines n'ont exprimé quelque chose d'aussi menaçant et d'aussi terrible. »>

§ VII. PREMIERS ACTES. Louis XVIII était remonté sur le trône de ses pères et rentré dans ce palais des Tuileries d'où son frère avait été chassé par la Révolution, vingt-deux ans auparavant, et où l'empereur avait eu, pendant dix ans, son siége, en apparence indestructible. C'était un grand événement et bien inattendu; mais ce n'était que la partie la moins difficile de la tâche réservée à la royauté restaurée : il fallait maintenant gouverner.

Pendant tout le mois d'avril, il s'était fait en France un grand mouvement d'idées politiques. Ce n'était pas seulement au Sénat qu'on avait agité les questions constitutionnelles. Des publicistes plus ou moins éminents, parmi lesquels on remarquait, dans le parti libéral, Benjamin Constant, et, dans le parti ultra-royaliste, M. de Villèle, discutaient les conditions d'existence de la nouvelle royauté. Les journaux, peu nombreux alors et encore moins influents, disaient leur mot sur les brochures des uns et des autres. Les royalistes les plus ardents avaient l'oreille du roi. Louis XVIII tenait, par-dessus tout, à son droit héréditaire, qui primait toute considération, qu'aucun, événement n'avait pu détruire ni même suspendre, et en vertu duquel il pouvait faire des concessions sans avoir à subir ou accepter de conditions. Ce droit mis hors de conteste, il ne répugnait pas à de certaines transactions: la déclaration de Saint-Ouen en portait témoignage,

Mais si le scepticisme ou les tendances naturelles de son esprit lui rendaient ces transactions plus faciles qu'aux autres membres de sa famille, il n'en était pas moins dans la fâcheuse disposition d'esprit des hommes qui, longtemps éloignés de leur patrie par l'exil, volontaire ou forcé, croient, en y rentrant, retrouver les choses et les gens au même point qu'à l'heure où ils sont partis. Tout son entourage était dans le même cas. Ceux des personnages

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MONARCHIE CONSTITUTIONNELLE.

de l'Empire qui avaient accès auprès de lui n'avaient ment, de Constitution que dans leur propre intérêt, p des situations ou des dotations. Entre les souverai l'empereur de Russie avait seul insisté, dans des vues stabilité, pour des institutions que lui-même se ga dans ses États. Si le roi de Prusse avait, l'année préc ou laissé parler chez lui de liberté, ce n'était là qu'un guerre qui ne devait pas survivre au renversement d tion française. L'empereur d'Autriche était un souver ne comprenait pas d'autre régime. L'Angleterre, fière d tions parlementaires, mais ne trouvant pas que la France poussait Louis XVIII à reprendre l'autorité royale tell pratiquée Louis XIV. L'opinion publique, seule, réclan ranties libérales avec quelque énergie; encore avait-ell par la déclaration de Saint-Ouen et elle mettait une fiance dans les intentions du roi.

el Louis XVIII, cependant, n'avait point hâte d'aborder les assez ardus dont on attendait de lui la solution. Instal leries, il laissait passer les jours en réceptions ou en secondaires et même un peu puérils. Il reconstituait sa vile et militaire sur le mode et avec les appellations de cour. On voyait, avec surprise, reparaître un grand France, un confesseur du roi, un premier panetier, échanson, un premier tranchant, des juges et des hér mes, etc. Les costumes attribués à ces charges et la tou gulière de ceux qui en étaient revêtus, ne prétaient pas les titres même à l'esprit de raillerie naturel en France. d'ailleurs, était affaire d'intérieur de palais et n'alarmait coup l'opinion. Une mesure plus fâcheuse fut celle de struction de la maison militaire. Ici, en effet, non-seul reprenait les vieilles dénominations de gardes du corps suisses, de mousquetaires, de chevau-légers, dont quelq étaient restées impopulaires, mais on en faisait des corp giés, où des gentilshommes seuls étaient admis, et qui a prééminence sur tous les autres corps militaires. L'esprit plus fort encore que l'esprit de liberté, en fut froissé et l'a fut profondément blessée.

En même temps, Louis XVIII ressuscitait, pour les prin famille, les titres de colonels généraux de diverses armes. § VIII. PREMIER MINISTÈRE. Le 13 mai seulement, le r

acte vraiment sérieux : il organisa son premier ministère qui fut ainsi composé : Garde des sceaux, grand chancelier, M. Dambray, les honneurs du titre étant conférés à M. de Barentin, beau-père de M. Dambray, qui avait occupé ce poste sous Louis XVI; Affaires étrangères, M. de Talleyrand; Intérieur, l'abbé de Montesquiou; Guerre, général Dupont; Finances, l'abbé Louis; Marine et colonies, M. Malouet; Maison du roi, M. de Blacas. La police devenait une direction générale sous le comte Beugnot.

Il n'y avait là qu'un choix excellent, celui de l'abbé Louis, homme habile, intègre, qui avait coutume de dire à ses collègues : « Faites de bonne politique, je vous ferai de bonnes finances. »> On ne lui fit pas toujours de bonne politique, il sut néanmoins mettre beaucoup d'ordre dans les finances et c'est à lui que la Restauration dut sa prospérité financière.

En revanche, le général Dupont était un choix déplorable; non que l'homme fût incapable, il avait été un des plus brillants officiers, un des futurs maréchaux de l'Empire; mais il avait eu dans sa vie une heure fatale, celle où, perdant la tête en un danger pressant, ne sachant plus voir ce que ses ressources lui permettaient de tenter encore pour en sortir, il avait signé la fameuse capitulation de Baylen, qui fit mettre bas les armes à tout un corps d'armée en rase campagne. Cela ne s'était pas vu jusqu'alors. Napoléon avait été furieux, avait accusé le général de trahison et fait procéder contre lui à une enquête sévère qui n'aboutit qu'à une destitution. « Dupont, disait-il plus tard, a été plus malheureux que coupable. » Mais l'accusation de trahison était restée sur le nom du général et sa nomination au ministère fut considérée par l'armée comme une offense et une humiliation.

Les autres ministres étaient des médiocrités, politiquement peu significatives.

Le ministère de la maison du roi était encore une réminiscence d'autrefois qui serait restée sans importance avec tout autre que M. de Blacas; mais ce personnage, confident intime du roi, exerçait sur lui une influence très-considérable, dont il usait trop souvent pour gêner ou empêcher même les communications de ses collègues avec Louis XVIII.

SIX. TRAITÉ DE PAIX DU 50 MAI 1814. Tandis que ce ministère s'occupait d'administration intérieure, de réorganiser la marine et l'armée, de préparer le grand acte constitutionnel promis par la déclaration de Saint-Ouen, la diplomatie française et étrangère

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